Chapitre 6 : Les murmures de l’âme
Le vent s'était levé, un souffle doux mais persistant qui faisait frissonner les arbres autour de moi et d’Alden. La nuit, autrefois paisible, était désormais marquée par une tension invisible. Les étoiles, autrefois lumineuses et rassurantes, semblaient désormais froides et distantes. La forêt nous enveloppait de ses ombres, et je pouvais sentir la présence de chaque arbre, chaque racine, chaque feuille, comme si la forêt tout entière devenait une extension de moi-même.
Nous marchions, sans un mot, dans la direction de la petite cabane d’Alden, mais le silence entre nous était lourd, presque insupportable. Il n’y avait plus de retour en arrière. La décision était prise, et bien que la forêt semblait nous offrir un pouvoir illimité, une partie de moi ressentait déjà l’ombre de ce que j’avais accepté. Je me sentais changée, mais je ne savais pas encore exactement en quoi. Chaque pensée, chaque souffle semblait résonner dans mon esprit, plus fort, plus clair. La magie de la forêt était omniprésente, comme un murmure constant dans mon âme.
Alden, quant à lui, semblait également perturbé. Ses yeux cherchaient la paix dans l’obscurité, mais il savait, tout comme moi, que quelque chose d’indéfinissable avait changé en nous. "Tu te sens… différente ?" demanda-t-il finalement, sa voix empreinte de douceur, comme s’il avait peur de briser le fragile silence qui nous enveloppait.
Je haussai les épaules, une vague de confusion traversant mon regard. "Je… je ne sais pas. Tout semble plus… intense. Comme si la forêt vivait en moi." Je m’arrêtai un instant, cherchant mes mots. "Je l’entends, Alden. Pas juste les arbres, mais tout. Chaque frémissement du vent, chaque battement de cœur d’un animal… tout cela fait partie de moi."
Il me regarda intensément, inquiet. "Tu es liée à elle. À la forêt. Ce que la sorcière t’a donné, ce n’est pas juste un pouvoir. C’est un fardeau, un fardeau que nous devons tous deux porter."
Je me tournai vers lui, mes yeux désormais empreints d’une lueur étrange. "Tu penses que c’est un fardeau ?"
Il baissa les yeux, les mots lui échappant. "Je ne sais pas. Peut-être. Mais je sais que tu n’es plus la même, et je ne suis pas sûr de ce qui nous attend. Nous avons accepté quelque chose de bien plus grand que nous, Lyana. Nous devons être prêts à tout."
Nous arrivâmes enfin devant la cabane d’Alden. La petite maison, éclairée par la lumière vacillante d’une lanterne, paraissait étrangement solitaire dans cette immensité boisée. Aucun bruit ne venait de l’intérieur, comme si la cabane elle-même attendait que nous franchissions son seuil.
Alden ouvrit la porte et m’invita à entrer. Dès que je mis les pieds à l’intérieur, je ressentis un léger tremblement sous moi, comme une vibration venant de la terre elle-même. Je frissonnai, mais n’en dis rien.
La lumière de la lanterne dansait sur les murs, projetant des ombres longues et déformées. Alden s’assit près de la cheminée et posa un regard pensif sur moi. "Nous devons comprendre ce que ce pouvoir implique. Je pense qu'il est temps de découvrir la vérité."
Je me tournai vers lui, le regard marqué par une résolution calme. "Tu penses que ce que nous avons ressenti dehors, cette connexion avec la forêt, c’est… la vraie nature de ce pouvoir ?"
Alden hocha lentement la tête. "Je le crois. Mais il faut savoir ce que cela signifie. Parce que plus nous attendons, plus nous risquons de perdre le contrôle."
Mon regard s’assombrit alors que je m’assis à mon tour. Je savais que quelque chose clochait. La sorcière n’avait pas dit toute la vérité. Il y avait des choses qu’elle n’avait pas expliquées, des parties de l'accord qui échappaient encore à notre compréhension. Je ne pouvais pas échapper à l’écho des paroles qu’elle avait prononcées ce soir-là : "La forêt prend toujours ce qu’elle veut."
Je fermai les yeux, cherchant à me concentrer. Tout autour de moi, la forêt semblait m’appeler. C’était une sensation étrange, presque obsédante. Comme si des voix lointaines murmuraient à mon oreille, des voix que je ne pouvais pas comprendre. Les racines de la forêt s’enroulaient autour de moi, et je ressentais un écho de cette force ancienne, comme une présence secrète attendant de se manifester.
Je me levai soudainement, le souffle court. "Je dois… je dois savoir ce qu'il se passe", dis-je avec une détermination qui ne laissait pas de place à l'hésitation.
Alden se leva aussi, s'approchant de moi. "Qu’est-ce que tu veux dire ?"
"Je veux comprendre la forêt. Je veux comprendre ce pouvoir." Je me tournai vers la porte, prête à sortir. "Je peux… je peux les entendre, Alden. Les voix. Elles sont là, tout autour de nous, dans l’air, dans la terre. C’est… c’est comme si la forêt elle-même me parlait."
Alden me saisit par le bras, son regard inquiet. "Tu dois te calmer, Lyana. Ce n’est pas le moment de céder à la panique. Nous devons être raisonnables. Il est trop tôt pour comprendre ce que cela implique."
Mais je, poussée par une force que je ne comprenais pas, me dégageai de son emprise. "Je dois savoir, Alden. Tu ne comprends pas… il y a des choses que la sorcière ne nous a pas dites. Des choses qu’il faut absolument savoir."
Je m’élançai hors de la cabane, courant dans la forêt, comme guidée par une force invisible. Alden me suivit, mais il savait qu’il n’y avait pas de retour possible. J’étais déjà trop loin, trop absorbée par ce que je ressentais pour qu’il puisse m’arrêter.
La forêt semblait m’avaler, m’engloutir, et chaque pas que je faisais me rapprochait d’une vérité obscure que je n’étais pas prête à affronter. La voix de la forêt devenait plus forte, plus pressante, un murmure incessant, une pulsation profonde dans le sol qui semblait m'attirer toujours plus près.
Je m’arrêtai au centre d’un cercle d’arbres gigantesques, là où la lumière de la lune peinait à percer les ténèbres. Le sol sous mes pieds vibrait, et j’entendais des chuchotements, des promesses, des avertissements.
"Lyana", dit une voix, douce et grave, dans mon esprit.
Je tressaillis. "Qui… qui est là ?"
"Je suis la forêt. Je suis ton pouvoir. Et toi, tu es mienne."
Le monde sembla s’effondrer autour de moi alors que la voix résonnait dans mon esprit, profonde et imposante. Je compris, à cet instant précis, que mon lien avec la forêt n'était pas une simple connexion, mais un acte de domination. J'avais accepté quelque chose de plus grand que moi, quelque chose qui, au fond de moi, me terrifiait. J’étais désormais l'âme de la forêt, mais à quel prix ? La forêt, ma protectrice et ma maîtresse, n’était pas un lieu de paix. C’était un royaume de forces invisibles et dévorantes. Et moi, Lyana, en étais le cœur.
