Chapitre 4 Le Prix de la Tromperie

Élise frissonna. La peur qu'elle éprouvait pour Adrien s'était ancrée en elle dès leur première rencontre à l'âge adulte. Ce jour-là, lors de la cérémonie d'investiture du nouveau directeur général du Groupe Huet, elle n'était qu'une simple stagiaire, reléguée au dernier rang. Elle vit Adrien entrer, entouré d'une cour de collaborateurs, vêtu d'un costume noir sur mesure et d'une chemise blanche impeccable. Ses traits, d'une beauté envoûtante, semblaient sculptés pour captiver les regards. Monté sur l'estrade, il prononça un discours, puis, avec une froideur implacable, licencia plusieurs cadres corrompus et les fit incarcérer pour malversation. Son règne débuta par un bain de sang. Pendant des mois, son nom seul suffisait à glacer les veines : on le surnommait « le Yama au visage de glace ».

Élise, elle aussi, le craignait.

Mais ce qui la terrifiait davantage encore, c'était cette attirance qu'elle ne pouvait réprimer, malgré sa terreur.

À présent, son visage était sombre, plus effrayant que jamais. Elle baissa les yeux, fixant le pli parfait de son pantalon. Qu'importe les circonstances, il restait toujours parfait, intouchable, tandis qu'elle n'était que désordre et vulnérabilité. Cette distance abyssale lui rappela cruellement qu'elle n'avait aucun droit d'espérer sa clémence.

— Parle !

Sa voix rauque, chargée d'autorité, fit trembler son cœur. Élise évita son regard glacial, incapable de trouver les mots.

Trois ans plus tôt, après sa fausse couche, elle avait perdu beaucoup de sang. Les médecins lui avaient annoncé que son utérus, endommagé, rendrait toute grossesse future quasi impossible. Elle avait voulu lui avouer la vérité, mais il l'avait prise avec une violence inouïe avant qu'elle ne puisse ouvrir la bouche.

Adrien la transperçait du regard, ses yeux insondables comme un abîme. Hélène, debout à côté d'eux, tremblait.

— Adrien, Élise ne réfléchit pas avant de parler… Elle a dit ça pour me provoquer, rien de plus…

Il l'interrompit d'un ton glacial, aussi tranchant que la lame d'un couteau.

— Je l'emmène à l'hôpital. Les examens nous diront si elle ment.

Sans attendre, il lui agrippa le poignet et l'entraîna vers le parking. Hélène, qui n'avait jamais vu Adrien en colère, hésita entre la curiosité et la crainte. Si Élise ne pouvait vraiment pas avoir d'enfant, sa place dans la famille Huet serait anéantie. Elle comprit alors que, face aux véritables puissants, elle n'était qu'un animal apeuré, recroquevillé dans son coin. Une leçon apprise au fil des années passées dans l'ombre des grands.

Adrien avait déjà disparu avec Élise.

Dans la voiture, il la jeta sur le siège passager et démarra en direction d'une clinique privée. Le silence était lourd, seulement rompu par le ronronnement du moteur. Élise sentait sa fureur, prête à exploser comme un volcan.

Il lui offrit une dernière chance.

— Il nous reste une demi-heure avant d'arriver. Tu peux choisir : avouer maintenant, ou subir les conséquences.

Elle tourna la tête vers la vitre. La nuit était épaisse, reflétant son visage décomposé. Que pouvait-elle dire ? Qu'elle l'avait trompé depuis le début ? Qu'elle lui avait fait avaler des pilules contraceptives pendant deux ans et demi, supportant en silence les effets secondaires, payant le prix de ses mensonges ? La première fois qu'elle avait évoqué l'enfant perdu, il l'avait prise avec une brutalité qui lui avait révélé sa vraie nature : un homme capable de cruauté extrême quand on touchait à ce qui comptait pour lui. Pour lui, elle n'était qu'un récipient. Un récipient brisé n'avait plus d'utilité.

Elle serra les lèvres et garda le silence.

Les jointures d'Adrien blanchirent sur le volant. Quand la croix rouge de l'hôpital apparut au loin, il sut qu'elle ne parlerait pas.

La voiture s'arrêta dans un crissement de pneus. Il en descendit, emportant avec lui une tempête de rage. D'un geste brutal, il la tira du siège et lui releva le menton, forçant leurs regards à se croiser.

— Élise, tu sais quel est le prix de la tromperie.

Elle soutint son regard une seconde – ces yeux noirs, profonds comme des abîmes prêts à l'engloutir – avant de détourner les siens.

Adrien ricana, excédé par son mutisme obstiné.

— Bien. On verra jusqu'où ira ton entêtement.

Il la traîna à l'intérieur.

Les examens gynécologiques furent rapides, efficaces. Dix minutes plus tard, dans le bureau du professeur, Adrien, assis, imposait sa présence comme une menace silencieuse.

Le médecin, nerveux, choisissait ses mots avec soin.

— Monsieur, votre épouse souffre d'un amincissement de l'endomètre et d'adhérences tubaires à la suite de sa fausse couche. Ajouté à la prise prolongée de contraceptifs, son taux de progestérone est bien en dessous de la normale… Il sera extrêmement difficile pour elle de concevoir à nouveau.

Adrien avait pressenti la vérité, mais ignora l'étendue des dégâts. Deux ans et demi. Elle lui avait caché cela pendant deux ans et demi. Chaque pilule qu'il lui avait imposée, croyant l'humilier, n'avait fait que le ridiculiser, lui.

— Depuis quand le savait-elle ? demanda-t-il, la voix aussi tranchante qu'une lame.

Le médecin consulta le dossier.

— Depuis sa visite de contrôle, il y a… deux ans et demi.

Un éclair traversa le visage d'Adrien. Deux ans et demi. Elle avait gardé ce secret, supportant en silence les douleurs, les nausées, les allergies aux médicaments qu'il lui forçait à prendre. Que pensait-elle de lui, pendant tout ce temps ? Se moquait-elle de son ignorance ? Le plaignait-elle ?

— Autre chose, ajouta le médecin, hésitante. Lors de l'examen, nous avons constaté qu'elle était allergique aux contraceptifs.

Adrien sentit sa respiration se bloquer. Les mots du médecin lui transpercèrent la gorge comme un poinçon rouillé. Une douleur sourde lui obscurcit la vue.

Dehors, un coup de tonnerre éclata. La pluie se mit à tomber en rafales.

Recroquevillée sur le lit d'hôpital, Élise sentit son estomac se nouer. Il savait tout, maintenant. Que lui ferait-il ? La répudierait-il ?

À cette pensée, une douleur plus vive lui tordit les entrailles. Peut-être était-ce mieux ainsi. Leur mariage n'avait été qu'une erreur depuis le début. La séparation serait une délivrance, pour eux deux.

Pourtant, pourquoi son cœur saignait-il à cette idée ?

BOUM !

La porte de la chambre s'ouvrit violemment. Élise sursauta. Adrien se tenait sur le seuil, immense, déchaîné, ses yeux injectés d'une fureur presque surnaturelle. Comme un démon. Terrible. Irrésistible.