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Chapitre 2

– Le Premier Matin--

‎Je ne savais plus si j’avais dormi. Peut-être avais-je simplement sombré, quelque part entre l’épuisement et la torpeur. Quand j’ouvris les yeux, la lueur pâle du matin s’infiltrait entre les lourds rideaux. Le satin froid sous mon corps me rappela que je n’avais rien sur moi. Pas même un drap pour me couvrir.

‎Je me redressai lentement. Chaque mouvement réveillait la douleur profonde que Kaelan avait laissée en moi. Mon ventre était encore tiède, mon esprit encore en lambeaux. J’eus la nausée.

‎Mon regard balaya la chambre vide. Le feu s’était éteint. Il n’y avait plus trace de lui. Juste l’odeur de notre union et la certitude que je n’étais plus la même femme que la veille.

‎J’enfouis mon visage dans mes mains, prise d’un sanglot silencieux.

‎Je voulais me lever, m’enfuir, courir vers la porte. Mais mes jambes refusaient de m’obéir. Comme si ce lit m’avait engloutie, corps et âme.

‎Un léger bruit attira mon attention. La porte s’ouvrit, sans fracas.

‎La domestique entrait, un linge blanc plié sur ses bras. Elle ne leva pas les yeux.

‎— Madame… le maître m’a demandé de vous préparer.

‎Je restai figée. Elle approcha du lit et posa le linge près de moi.

‎— Préparer… pour quoi ? soufflai-je d’une voix rauque.

‎Ses doigts se crispèrent. Elle baissa un peu plus la tête.

‎— Pour le rituel.

‎Je crus m’évanouir.

‎— Non. Non, je refuse…

‎Elle ne répondit pas. Elle alla jusqu’à une armoire qu’elle ouvrit doucement. J’aperçus une longue robe couleur crème, presque translucide.

‎Je ravalai ma panique.

‎— Je veux voir Kaelan. Maintenant.

‎Elle prit une profonde inspiration.

‎— Monsieur Arvanis est sorti. Il reviendra avant le dîner. Il m’a dit de vous aider à vous laver.

‎— Je ne veux pas ! hurlai-je.

‎Un silence pesant emplit la chambre.

‎— Madame, je… je suis désolée. Je ne peux pas désobéir.

‎Elle approcha, les mains tremblantes. Elle essuya mon front, mes tempes, mes joues. Ses gestes étaient si doux que j’en fus ébranlée.

‎— Pourquoi… pourquoi me faites-vous ça ?

‎Elle releva enfin les yeux. Dans son regard, je vis quelque chose que je ne compris pas d’abord : une ombre de pitié.

‎— Parce qu’aucune femme n’est jamais repartie.

‎Mon cœur se serra.

‎— Et celles qui refusent ?

‎Sa voix n’était plus qu’un souffle.

‎— Elles disparaissent.

‎Un frisson glacé remonta le long de ma colonne.

‎Je compris qu’il ne s’agissait pas d’une exagération. Ici, je n’avais aucun droit.

‎Elle versa de l’eau chaude dans une bassine et trempa un linge qu’elle pressa sur ma peau. La chaleur me fit frissonner. Chaque geste de toilette me ramenait aux souvenirs de la nuit : la façon dont Kaelan avait murmuré mon nom, le feu qu’il avait semé entre mes cuisses, la honte délicieuse qui m’avait broyée.

‎Quand je fus lavée, elle m’aida à enfiler la robe claire. Elle collait à mon corps, épousant chaque courbe. Mes seins se devinaient sous le tissu. Je tirai dessus, paniquée.

‎— Ils vont me voir comme ça ?

‎Elle baissa la tête.

‎— C’est le rituel.

‎Je fermai les yeux, prise d’un vertige.

‎---

‎Je restai assise sur le bord du lit pendant des heures, sans bouger. La domestique avait disparu, me laissant seule avec mes pensées. Dehors, la lumière déclinait déjà. Le silence du manoir me rendait folle.

‎Je pensais à ma mère. Elle m’aurait traitée de folle de me lier à un homme dont je savais si peu. Mais je m’étais crue plus maligne, plus ambitieuse. Et maintenant…

‎Un bruit de pas résonna dans le couloir. Un pas plus lourd que celui d’une domestique.

‎Je crus que c’était Kaelan. J’étais prête à lui hurler ma haine.

‎La porte s’ouvrit.

‎Mais ce n’était pas lui.

‎Trois hommes entraient.

‎Kaelan, droit et impassible. Derrière lui, deux autres. Le premier était plus massif, plus large d’épaules. Le second avait un sourire presque amusé.

‎Je me figeai.

‎Kaelan s’approcha.

‎— Yasha. Je te présente mes frères. Marek et Evran.

‎Marek. Evran.

‎Leur regard pesait sur moi comme une main invisible. Je sentis la panique revenir.

‎— Pourquoi… pourquoi êtes-vous là ?

‎Kaelan posa sa main sur ma nuque, comme pour m’ancrer à ma place.

‎— Parce que ce qui commence ne peut pas être interrompu. Ce soir, Marek viendra te voir.

‎Je secouai la tête, des larmes brûlantes brouillant ma vue.

‎— Non… non, je ne peux pas !

‎Kaelan effleura ma joue du pouce.

‎— Tu peux. Tu le feras.

‎Ses mots étaient calmes. Inflexibles.

‎Marek s’approcha lentement. Il me dominait de toute sa hauteur, ses bras croisés sur sa poitrine puissante. Ses yeux étaient plus sombres que ceux de Kaelan.

‎— Ne la terrorise pas, murmura Evran derrière lui. Elle finira par adorer ça.

‎Le rire dans sa voix me fit frissonner.

‎Kaelan se pencha vers moi.

‎— Tu dois comprendre, Yasha. Ici, nous partageons tout. Et toi… tu es l’Offrande.

‎Je sentis mes forces m’abandonner.

‎— Laisse-moi partir… je vous en supplie.

‎Kaelan se redressa.

‎— Il est trop tard.

‎Il fit signe à ses frères. Ils reculèrent vers la porte.

‎— Nous dînerons ensemble, dit-il. Après, Marek viendra te rejoindre.

‎Je restai seule. La panique m’envahit. Mes mains tremblaient.

‎Quand je me levai, j’eus l’impression que mes jambes allaient céder.

‎Je courus vers la porte, l’ouvris. Le couloir était désert.

‎Et pourtant, je savais que personne ne me laisserait fuir.

‎Je m’appuyai contre le mur, prise d’un sanglot.

‎Mon corps me trahissait déjà. Il brûlait encore de la nuit passée. Et malgré la terreur, une chaleur sourde naissait sous ma peau.

‎La honte.

‎La plus cruelle des chaînes.

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