Chapitre 6 – L’éclat de la chute

Le silence dans la voiture des Morel était assourdissant. Seul le bruit du moteur, ronronnant faiblement, accompagnait leur retour du gala d’Éclipse. Dans la pénombre de l’habitacle, les visages étaient crispés, déformés par la colère, l’humiliation… et l’incompréhension.

Ambre, assise à l’arrière, tapait nerveusement l’écran de son téléphone, ses ongles vernis claquant contre la vitre du smartphone.

— Cette garce… Cette garce ! siffla-t-elle entre ses dents. Elle a osé nous humilier comme ça… devant toute la ville ! Je vais la détruire.

Claudine, raide sur la banquette, fronçait les sourcils si fort qu’un pli sévère s’était creusé entre ses deux yeux.

— Elle croit qu’elle a gagné ? Ce n’est qu’une traînée déguisée en femme de pouvoir. Une boniche devenue PDG ? Pff ! Il doit bien y avoir quelqu’un au-dessus d’elle. Elle ne tiendra pas longtemps à ce poste.

Ambre redressa la tête, les yeux brillants d’un mélange d’opportunisme et de stupidité satisfaite.

— En parlant de ça… je connais quelqu’un. J’ai un mentor chez Éclipse. Je ne l’ai jamais mentionné, mais je travaille mes contacts depuis un moment. C’est un directeur influent, très proche du conseil. Il m’apprécie beaucoup.

Claudine se retourna vivement vers elle, un sourire carnassier aux lèvres.

— Tu vois, ma chérie ? Je t’ai toujours dit que toi, tu étais faite pour faire partie de notre famille. Ce que Joyce a volé, tu peux le reprendre. Il suffit de frapper au bon endroit.

Elle se pencha et attrapa la main d’Ambre avec un enthousiasme presque maternel.

— Contacte ton mentor. Dis-lui que cette Joyce est en train de faire couler l’entreprise. Qu’elle agit par vengeance personnelle. Ils doivent la renverser avant qu’elle ne fasse tout capoter.

Adrien, à l’avant, n’avait pas dit un mot depuis leur sortie du gala. Il fixait droit devant lui, les traits figés, l’esprit ailleurs.

La voix de sa mère et d’Ambre lui parvenait comme un bruit lointain. Ce qu’il revoyait, c’était le regard de Joyce. Ce regard glacial, assuré, méconnaissable. Il revoyait aussi son sourire… autrefois timide, discret, celui qu’elle avait dans les débuts. Quand elle l’aimait.

Il se rappelait aussi un moment. Une nuit, où Joyce, un peu ivre, avait murmuré dans son sommeil : « Elliot… » Ce nom qui revenait comme une écharde dans son esprit. Il n’avait jamais posé de question, pensant qu’il s’agissait d’un souvenir quelconque. Mais ce soir, tout prenait sens. Elle ne s’était jamais oubliée. Elle s’était juste tue.

Soudain, son téléphone vibra.

Il décrocha.

— M. Morel ? Ici le service des affaires extérieures d’Éclipse. Je vous appelle pour vous informer que le projet Phoenix a été retiré de vos mains, par décision de la direction.

Adrien se raidit.

— Pardon ? Ce n’est pas possible, nous avons signé l’accord la semaine dernière !

— Le contrat était conditionnel, monsieur. Et suite à la réévaluation du comité exécutif, l’investissement prévu pour vos structures est également suspendu.

La voix était calme, mécanique. Professionnelle. Mais chaque mot était un coup de poignard.

— Le nom de l’initiatrice de cette décision est… ? demanda-t-il, la voix tremblante.

— Joyce Lister, PDG d’Éclipse.

Clac.

Adrien resta figé, le téléphone toujours contre son oreille.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Claudine.

Il ne répondit pas tout de suite. Il posa lentement le téléphone sur sa cuisse, le regard perdu.

— Elle… Elle a tout retiré. Le projet. Les fonds. Elle nous a tout repris.

Ambre ouvrit grand les yeux.

— Quoi ?! Non ! Elle ne peut pas faire ça ! Ce projet devait me revenir aussi !

— Elle peut, répondit-il enfin. Elle l’a fait.

Claudine entra dans une colère noire.

— Cette petite ingrate ose toucher à nos affaires ? Elle veut la guerre ? Très bien, elle l’aura. Je vais appeler nos avocats. J’irai jusqu’à la cour s’il le faut !

Mais Adrien ne l’écoutait plus.

Dans son esprit, une seule chose résonnait :

"Tu as tout perdu, Adrien."