Partie 7
Chapitre 12 : Le Complot
Le trajet du retour fut un tunnel de silence.
Marisol conduisait sans sentir ses mains sur le volant, le regard fixe sur la route déserte. La clé USB brûlait dans sa poche, plus lourde qu’un lingot de plomb.
Elle songea à appeler Lucía, à tout lui raconter sur Esteban. Mais une peur nouvelle la retenait : Et si chaque ligne téléphonique était sur écoute ? Et si chaque mot qu’elle prononçait précipitait leur perte ?
Quand elle arriva devant la maison, toutes les lumières étaient éteintes. Elle poussa la porte avec précaution, monta jusqu’à la chambre. Mateo et Valeria dormaient enfin, recroquevillés l’un contre l’autre sur le grand lit.
Elle s’agenouilla près d’eux et posa une main sur leurs cheveux. Un instant, elle ferma les yeux. Pour vous… je tiendrai jusqu’au bout.
Dans le bureau, elle verrouilla la porte derrière elle. Elle alluma son ordinateur portable, inspira profondément.
Ses doigts tremblaient quand elle inséra la clé USB.
Une unique fenêtre s’ouvrit : un dossier intitulé LA VERITÉ.
Elle cliqua.
À l’intérieur, plusieurs sous-dossiers :
Enregistrements audio
Documents bancaires
Correspondances
Photos
Elle commença par les enregistrements.
Une voix grave s’éleva, hachée par la mauvaise qualité :
— Torres croit qu’il peut s’en tirer. Qu’il suffit de prier et de racheter sa conscience. Mais il a oublié qui lui a donné sa première avance.
Une autre voix, plus jeune :
— Vous pensez qu’il parlera ?
— Il ne parlera pas. Mais sa femme est plus dangereuse que lui. Si elle fouille trop, on devra la faire taire.
Marisol sentit un frisson glacé lui parcourir la nuque.
Elle lança un autre enregistrement. Cette fois, elle reconnut la voix d’Esteban :
— Vous me faites chanter. Vous me forcez à signer ces déclarations. Mais je vous préviens, un jour, tout sortira.
— Un jour ? répondit la voix grave. Ce jour n’arrivera pas.
Elle coupa le fichier, la gorge nouée. Chaque mot confirmait ses pires craintes.
Elle passa ensuite aux documents bancaires. Des relevés prouvaient que des virements étaient partis de comptes offshores vers les comptes d’Esteban, signés du nom d’Alejandro. Mais quand elle examina attentivement la signature, elle vit la différence : la boucle du T, le tracé du A…
C’était une imitation. Une contrefaçon si habile qu’aucun œil non averti n’aurait su la distinguer.
Elle se couvrit la bouche pour retenir un sanglot.
Ils ont fabriqué ces preuves.
Elle ouvrit le dossier Photos.
Elle cliqua sur une image : Alejandro, plus jeune, souriant, posait avec des hommes qu’elle ne connaissait pas. En arrière-plan, un entrepôt ressemblant à celui de San Jerónimo.
Elle agrandit la photo. Un logo apparaissait sur un conteneur : Grupo Hermandad Internacional.
Elle le nota sur un papier, son esprit déjà en ébullition. C’est eux. Ceux qui ont prêté l’argent. Ceux qui tiennent Alejandro.
Elle s’arrêta enfin sur une dernière vidéo. La voix d’Esteban y parlait directement, comme un aveu préenregistré :
— Marisol, si tu écoutes ça, c’est que tu m’as cru. Ou que tu n’avais plus le choix. Je n’ai pas la force d’affronter ces gens. Mais toi, tu l’as peut-être. Ne les sous-estime pas. Ils sont partout : la police, les tribunaux, les banques. Si tu veux sauver ton mari, tu dois faire tomber Grupo Hermandad. Mais si tu échoues, tu mourras.
L’écran se figea.
Elle resta là, les poings serrés contre sa poitrine, respirant à peine.
Tout était clair désormais : ce n’était pas seulement Alejandro qu’on voulait abattre. C’était elle, c’était leurs enfants, c’était tout ce qu’ils avaient bâti.
A l’aube, elle verrouilla la clé USB dans un coffre, puis se regarda dans le miroir du bureau.
Son reflet la surprit : ses yeux n’étaient plus ceux d’une femme terrifiée. Ils étaient ceux d’une femme prête à livrer une guerre qu’elle n’avait pas choisie.
Elle prit son téléphone et composa le numéro de Lucía.
— Lucía… c’est Marisol. Il faut qu’on se voie. Tout de suite.
Elle savait que la suite serait plus dangereuse encore.
Mais elle avait enfin une arme.
Et elle était prête à s’en servir.
Le matin même, Marisol rejoignit le cabinet. Le ciel était lourd, d’un gris presque métallique. Elle avait serré la clé USB dans sa poche tout le trajet, incapable de se convaincre qu’elle devait la montrer.
Quand elle entra, Lucía leva la tête de son bureau. Son visage était impassible, trop impassible.
— Vous avez l’air épuisée, dit-elle d’un ton neutre.
— J’ai… trouvé des preuves, murmura Marisol.
Lucía haussa à peine un sourcil.
— Quelles preuves ?
Marisol inspira profondément.
— Esteban m’a donné une clé USB. Il m’a dit qu’elle contenait des documents et des enregistrements… qui prouvent que tout ça est une machination.
Un silence s’abattit. Lucía posa lentement son stylo.
— Une clé USB ?
— Oui.
Elle s’attendait à voir son avocate réagir, surprise, inquiète. Mais Lucía ne montra rien. Son regard resta figé, presque absent.
— Vous… vous saviez ? demanda Marisol, soudain mal à l’aise.
— Je savais qu’Esteban finirait par se manifester, répondit Lucía, la voix trop calme. Il n’est pas du genre à disparaître sans laisser de trace.
Marisol sentit un frisson lui courir le long de l’échine.
— Comment… comment saviez-vous que c’était Esteban ? Je ne vous l’avais pas dit…
Lucía cligna des paupières, un sourire presque imperceptible aux lèvres.
— C’est une hypothèse. Vous venez de la confirmer.
Elle se pencha un peu, ses doigts tapotant nerveusement le dossier sur le bureau.
— Vous avez la clé USB avec vous ? Il faut que je la mette en lieu sûr. Ici, elle sera protégée.
Marisol sentit son cœur battre plus vite. Quelque chose dans la voix de Lucía sonnait faux.
— Je… je ne l’ai pas, balbutia-t-elle.
— Comment ça ?
— Je… je l’ai oubliée chez moi. Dans le bureau.
Lucía resta immobile, la fixant de ses yeux clairs.
— Marisol. Vous comprenez que cette clé est cruciale. Elle doit être entre de bonnes mains. Je peux la remettre au juge, la faire authentifier. C’est le seul moyen d’éviter qu’elle disparaisse.
Marisol secoua la tête.
— Non. Pas maintenant. Je veux… vérifier encore certaines choses.
Un silence pesant.
Lucía croisa lentement les bras.
— Vous ne me faites pas confiance ?
La question tomba comme une pierre.
— Ce n’est pas ça… murmura Marisol. Je… je veux juste être sûre.
Lucía la regarda longuement.
— Très bien. Comme vous voudrez. Mais sachez une chose : tant que cette clé sera chez vous, vous et vos enfants serez en danger. Si vous changez d’avis, apportez-la-moi immédiatement.
Marisol baissa les yeux, incapable de soutenir ce regard. Elle se sentait soudain comme une petite fille prise en faute.
— Je vous tiendrai au courant, dit-elle d’une voix blanche.
Elle se leva. Lucía ne tenta pas de la retenir.
Quand elle sortit du cabinet, le vent glacé du matin lui fouetta le visage. Elle avait cru que Lucía était sa seule alliée. Mais maintenant, un doute terrible s’insinuait :
Et si elle n’avait jamais été de mon côté ?
Elle marcha jusqu’à sa voiture sans savoir où elle allait.
Son seul instinct, c’était de protéger la clé coûte que coûte.
Elle ne savait plus à qui faire confiance.
Mais une certitude s’imposait : elle était désormais seule.
