CHAPITRE 4: GEORGE ET DAVID
La nuit était tombée depuis longtemps. Une lune pâle filtrait à peine à travers les nuages, baignant la ville d’une lumière froide, presque métallique. George marchait à pas mesurés, comme un homme qui se rend à son propre jugement.
L’église de Mandima ne brillait pas ce soir. Aucune louange. Aucun chant. Juste une faible lumière rougeoyante qui filtrait à travers les vitres teintées. On aurait dit un cœur qui battait dans le noir.
À l’intérieur, une dizaine d’hommes étaient réunis, tous vêtus de noir. Pas de Bibles ouvertes. Pas de croix visibles. Juste des regards perçants, des chuchotements, et une étrange fumée blanche qui s’élevait d’un encensoir central, lentement, comme un esprit sans forme.
George entra.
Personne ne le salua. Personne ne s’étonna de sa présence.
Comme s’il était attendu.
Le pasteur Mandima, assis sur un siège élevé, croisa les bras et prit la parole d’une voix calme.
— Ce soir, nous accueillons un homme en recherche. Il n’est pas encore des nôtres. Mais il est prêt à écouter. C’est ainsi que tout commence.
George baissa les yeux. Il sentait un frisson glacial lui parcourir l’échine.
— Nous ne sommes pas contre Dieu, continua Mandima. Nous comprenons simplement qu’il existe des lois spirituelles que l’Église refuse d’enseigner. Des lois de puissance. D’autorité. Et de sacrifices. Rien n’est gratuit. Tout s’échange.
Il se leva et marcha lentement autour du cercle.
— Vous voulez des foules ? Du respect ? Des miracles instantanés ? Vous voulez que vos mots bouleversent les cœurs ? Alors il faut nourrir ce feu. Le feu ne vient pas seul.
Il s’arrêta devant George.
— Certains paient avec le jeûne et la solitude. D’autres avec le silence de Dieu. Mais ceux qui veulent aller plus vite, plus loin… doivent donner quelque chose de plus personnel.
George releva les yeux. Et à cet instant, dans cette atmosphère lourde et surnaturelle, une image traversa son esprit : celle de sa mère. Souriante, tenant une Bible. Et juste après… une vision fugace, terrible : son visage éteint, sans vie.
Il sursauta. Sa respiration s’accéléra.
— Je… je dois partir, murmura-t-il.
Mais Mandima ne le retint pas. Il se contenta d’un sourire calme.
— Tu es libre. Toujours. Mais sache que cette porte ne s’ouvre pas deux fois.
George sortit. En courant presque.
Dehors, il s’appuya contre un mur, haletant.
Il avait vu quelque chose. Ressenti quelque chose. Il ne comprenait pas tout… mais il savait que cette nuit venait de marquer un point de non-retour.
Au même moment, dans la petite église de David, la lampe s’éteignit d’un coup. Le silence devint pesant.
David était en prière. Il s’interrompit.
Un vertige l’envahit. Puis un frisson étrange.
Il ferma les yeux et vit — en songe, en esprit, il ne savait pas — une main noire posée sur l’épaule de son frère. Et dans les ténèbres autour, des murmures anciens, inintelligibles.
— Non… murmura-t-il. Pas lui. Pas George.
Il tomba à genoux. Et pria. Fort. De tout son être.
Car il venait de comprendre que le combat ne serait plus seulement spirituel.
Il venait de commencer.
George n’avait presque pas dormi. Il s’était allongé tard, le corps tendu, l’esprit en feu. Les paroles du pasteur Mandima tournaient dans sa tête comme une incantation : "Le feu ne vient pas seul."
Il avait dit non. Il était parti. Mais une partie de lui… y était restée.
Au petit matin, David préparait déjà la salle de prière. Il chantait doucement, seul, comme chaque samedi. Une voix simple, pure, sans fioritures. George l’observa depuis l’encadrement de la porte.
Ce chant lui faisait mal. Il était trop pur. Trop vrai.
— Tu es réveillé tôt, fit remarquer David sans se retourner.
George s’efforça de sourire.
— J’ai pas très bien dormi. Des pensées… rien de grave.
David se tourna lentement. Il le fixa.
— Je sais.
George le regarda, surpris.
— Tu sais quoi ?
— Que tu te bats. Et que ce n’est pas contre moi… ni contre toi-même.
George sentit un frisson. Il détourna les yeux.
— Tu vois toujours des combats spirituels partout…
David s’approcha calmement, posa la main sur son épaule.
— Parce qu’ils sont partout, George. Surtout quand ils sont silencieux.
George recula.
— Arrête. T’es pas mon juge.
— Je suis ton frère.
Un silence. Dense. Lourd.
George soupira.
— Je suis juste fatigué. Je gère à ma manière. Laisse-moi tranquille.
Il quitta la pièce, la gorge serrée.
David ne bougea pas. Mais dans son cœur, la certitude s’enracinait. Il pria en silence : "Seigneur, éclaire-le avant qu’il soit trop tard."
Plus tard dans la journée, George prêcha devant une petite assemblée. Mais ses mots étaient vides. Automatiques. Il parlait de foi, mais ne croyait plus entièrement à ce qu’il disait. Il prêchait la lumière, mais une part de lui goûtait déjà à l’ombre.
Un vieil homme, au fond de la salle, l’observait en silence. À la fin du service, il s’approcha.
— Ton message est bien structuré, dit-il, mais ton feu est éteint. Tu es où, vraiment, fils ?
George baissa les yeux, incapable de répondre.
Le vieil homme partit sans un mot de plus.
Et George comprit qu’il ne pouvait plus continuer ainsi.
Il allait devoir choisir.
Bientôt.
A suivre...
