CHAPITRE 3: GEORGE ET DAVID
George marchait lentement, la capuche de son manteau rabattue sur sa tête pour se protéger de la pluie fine. Ses pas résonnaient sur le sol trempé, rythmés par un mélange de tension et de curiosité. Il ne savait pas vraiment ce qu’il cherchait. Il ne savait même pas s’il voulait vraiment trouver.
Mais quelque chose le poussait.
Il s’arrêta devant les grilles de l’église de Mandima. Cette fois, elles étaient ouvertes. Pas de service aujourd’hui. Pas de foule. Juste un silence étrange, presque irréel.
Il s’approcha lentement du bâtiment. Un homme balayait l’entrée. Vêtu de noir, discret. George le reconnut : c’était celui qu’il avait aperçu quelques jours plus tôt.
L’homme leva les yeux, comme s’il l’attendait.
— Pasteur George, dit-il calmement. Vous venez chercher la vérité… ou des réponses ?
George cligna des yeux. Il n’avait pas donné son nom.
— Comment savez-vous qui je suis ?
L’homme esquissa un mince sourire.
— Il y a des choses que la foi sincère n'explique pas. D'autres que seuls ceux qui osent regarder au-delà peuvent comprendre.
George sentit une tension lui traverser la nuque. Il voulut reculer. Mais ses jambes restaient là.
— Je ne suis pas venu pour... m’impliquer. Je veux juste comprendre. Pourquoi certains prospèrent et d'autres non. Pourquoi Dieu semble… se taire pour certains et bénir d'autres sans limite.
L’homme posa doucement son balai contre le mur, comme s’il venait de finir un travail symbolique.
— Ce n’est pas que Dieu se tait, répondit-il. C’est que certains d’entre nous ont appris à écouter ailleurs. Il y a des voix que la religion traditionnelle ne connaît pas… des chemins que seuls les courageux osent emprunter.
George sentit son cœur battre plus vite. C’était une mauvaise idée. Il le savait. Mais il voulait entendre encore. Il voulait savoir.
— Je n’ai pas de mauvaises intentions, murmura-t-il. Je veux juste voir ma mission grandir. Toucher plus de gens. Sauver plus d’âmes. Est-ce mal de vouloir cela ?
L’homme s’approcha. Ses yeux, sombres mais étrangement captivants, se plantèrent dans les siens.
— Non. Ce n’est pas mal. Ce qui compte… c’est le prix que tu es prêt à payer. Tout se paie. Que ce soit par la patience… ou par l’échange.
George ne répondit pas.
Mais dans son esprit, une image revint.
Le rêve.
La couronne d’épines noires et de pierres brillantes.
— Si tu veux comprendre plus, continua l’homme, viens ce soir. Juste pour écouter. Personne ne te forcera. Tu es libre. Toujours.
George acquiesça lentement. Pas un oui. Pas un non. Juste un mouvement.
Et sans ajouter un mot, il tourna les talons et repartit.
Sous la pluie, ses pas faisaient moins de bruit. Mais dans son esprit, le vacarme s’intensifiait.
Il ne le savait pas encore…
Mais le pacte, en lui, avait déjà commencé à naître.
George rentra tard. La nuit était déjà tombée, enveloppant le quartier d’un voile lourd et humide. Il poussa doucement la porte de la maison. Aucune lumière n’était allumée, sauf celle de la petite lampe à huile près de la Bible de David.
David était là, assis, les yeux fermés. Pas endormi. En prière.
George hésita à avancer. Son frère avait ce calme étrange, une paix pesante qui parfois le dérangeait. Il s’approcha doucement, posa sa veste sans bruit, mais David ouvrit les yeux avant qu’il ne dise un mot.
— Tu es rentré tard.
Sa voix était posée, sans reproche. Mais il y avait dans son regard une lucidité désarmante.
George détourna les yeux.
— J’ai marché. J’avais besoin de réfléchir.
Un silence.
David referma sa Bible, doucement.
— C’est vrai que le monde est vaste quand on a le cœur troublé. Il t’offre mille chemins… Mais tous ne mènent pas à la vie.
George fronça les sourcils, agacé sans savoir pourquoi.
— Tu parles toujours en paraboles. Tu crois que tout est blanc ou noir. Moi je crois qu’on peut se battre autrement. Faire avancer les choses. Même si ça demande des choix difficiles.
David le regarda longuement, puis murmura :
— Même les bonnes intentions peuvent être des chaînes si elles te poussent à trahir ce que tu es.
George ne répondit pas.
Il se leva brusquement, alla se laver, puis s’enferma dans sa chambre. Il resta là, allongé, les yeux fixés au plafond.
Son cœur battait vite.
Il se souvenait des paroles de l’homme vêtu de noir. Du rendez-vous de ce soir. Il n’y était pas allé. Pas encore.
Mais il y pensait. Il en avait envie. Il voulait savoir jusqu’où cette route allait. Juste pour voir.
Il se convainquait qu’il pouvait reculer à tout moment. Qu’il ne trahirait rien. Qu’il garderait le contrôle.
Mais au fond de lui, il savait.
Une ligne invisible avait été franchie.
A suivre...
