Chapitre 4
Je me réveille avec la certitude que cette journée sera parfaite. Ma garde-robe choisie avec soin, mes talons lustrés, et ce sentiment familier que tout est sous contrôle. Mais dès que je descends dans le hall, je le vois. Sébastian. Comme un ombre élégante et imposante, là où je ne l’ai pas demandé. Il ne sourit pas cette fois, se tient droit, mains derrière le dos, attendant que je daigne lui accorder un regard. Je pince les lèvres et fais semblant d’ignorer sa présence. Il est trop proche, trop évident. Trop… tout.
- Bonjour, Madame, dit-il calmement, sa voix comme une caresse glaciale sur ma nuque.
Je lève les yeux au ciel.
- Bonjour , dis-je, sec, sans même le regarder.
Il suit mes mouvements alors que je traverse le salon, plaçant subtilement un fauteuil ou un vase pour bloquer les intrusions imprévues. Comme si sa seule présence pouvait… me perturber. Je mords ma lèvre pour retenir un soupir. C’est absurde. La matinée passe. Réunions, téléconférences, appels de fournisseurs, presse. Toujours sous mon regard, Sébastian. Parfois à côté, parfois derrière, toujours présent, silencieux mais irritant. Je l’ignore, et pourtant je le sens. Ses yeux clairs glissant sur moi, patient, attentif, comme s’il savait exactement ce que je pense ce que personne ne peut savoir.
À midi, je me retire dans mon bureau pour un rapide déjeuner. Je pensais être seule. Erreur. La porte s’ouvre à peine, et sa voix retentit :
- Vous ne voulez pas que quelqu’un vous serve ?
Je lève un sourcil, agacée.
- Je n’ai pas besoin de vous pour ça.
Il sourit légèrement.
- Non, je sais. Mais je suis là pour m’assurer que rien ne vous arrive… même en mangeant.
Je le regarde, bouche pincée. Il joue avec moi. Et ce simple constat me fait frissonner malgré moi. L’après-midi, alors que je quitte mon bureau pour une séance photo, je trébuche légèrement sur un câble que personne n’avait encore vu. Reflexe. Mais avant que je n’aie le temps de réagir, une main ferme se pose sur mon bras. Solide, rassurante, mais pas envahissante. Je me redresse, piquée par la fureur.
- Je n’ai pas besoin de vous pour ça !
Sébastian se contente de sourire.
- Je sais. Mais je ne peux pas laisser quelqu’un comme vous tomber… encore.
Encore... Ce mot résonne dans ma tête. Comme un rappel de ma chute publique, de ma vulnérabilité que je croyais enterrée. Et pourtant, je dois garder le contrôle. Je quitte le studio photo, le cœur battant plus vite que nécessaire. Son regard me suit. Toujours. Même lorsqu’il n’est pas là physiquement, j’ai l’impression qu’il plane autour de moi, invisible mais omniprésent. Le soir, Constance et Florence se retrouvent à nouveau à mes côtés. Elles ont vu mon agitation, elles savent que je me débats contre quelque chose que je refuse d’admettre. Florence, la plus audacieuse, lance, un sourire malicieux sur les lèvres :
- Alors… ce fameux garde du corps ? Il est à la hauteur ?
Je serre le poing autour de ma tasse de thé.
- Il est… présent, dis-je, glaciale. Mais une fraction de seconde, je sens un frisson que je ne peux pas nier.
Constance me regarde, inquiète.
- Victoria… tu es troublée.
Je ricane faiblement, un son sec.
- Moi ? Jamais.
Et pourtant, quand je me couche ce soir-là, je sens son regard encore sur moi. Dans mon esprit. Dans ma maison. Dans mes pensées. Un intrus dont je n’ai pas voulu, mais qui est déjà en train de changer la donne.
Je n’ai jamais cru aux envahisseurs. Mais apparemment, Sébastian Blake a décidé que ma maison, ma vie et même mon espace personnel étaient à lui. Aujourd’hui, il m’a suivi jusque dans mon bureau, silencieux, invisible, comme une ombre parfaitement coordonnée. Et évidemment, il m’observe pendant que je signe des contrats, comme si j’avais besoin de son approbation pour respirer.
Je me lève brusquement, claquant mes talons contre le sol.
- Blake !
Il se retourne doucement, ses mains derrière le dos, ce sourire énervant accroché aux lèvres.
- Madame ? dit-il avec une innocence calculée.
Je plante mes yeux dans les siens.
- Pourquoi êtes-vous là ?
- Pour m’assurer que rien ne vous arrive.
- Je n’ai besoin de rien ! hurle-je, irritée. Rien ! Vous ne faites que me gêner.
Il incline légèrement la tête.
- Même quand je vous protège… ?
Je serre les poings, incapable de supporter son calme insolent.
- Même alors !
Quelques minutes plus tard, alors que je traverse le hall pour rejoindre ma voiture, mon talon accroche un tapis parfaitement posé par… lui, bien sûr. Avant que je ne puisse m’écrouler, il est là, main ferme sur mon bras.
- Je n’ai pas demandé votre aide ! grogné-je, rouge de colère.
- Je sais , dit-il, imperturbable. Mais je ne pouvais pas vous laisser tomber…
Je me retire d’un geste sec.
- Je ne tombe pas ! Et je ne vous ai pas demandé d’être mon garde du corps !
Même lorsqu’il retire habilement un vase qui aurait pu me tomber dessus pendant une réunion, je bouillonne.
- Blake ! Ce vase ne tombait pas !
- Peut-être, mais il aurait pu, répond-il calmement.
Calme. Toujours calme. C’est ce qui me rend folle. Chaque geste parfaitement exécuté, chaque protection anticipée me rappelle que je suis… vulnérable. Et je refuse de l’admettre. Le soir, mes amies me rejoignent dans le salon. Florence, amusée, lance :
- Alors, ton Blake, il est à la hauteur ?
Je crache presque mon thé.
- À la hauteur ? Il m’énerve ! Partout où je vais, il est là. Partout ! Et il sourit en plus.
Constance fronce les sourcils.
- Mais il te protège…
- Je n’ai pas besoin de protection ! rétorqué-je, furieuse. Et je n’ai jamais besoin de quelqu’un qui se croit autorisé à… à… me suivre partout !
Et pourtant… malgré moi, je remarque qu’il est toujours là, juste au moment où j’en ai besoin. Toujours exact, toujours efficace, toujours prêt. Et, bien que je crie intérieurement contre sa présence, je sens un frisson que je refuse d’admettre : sécurité, assurance, stabilité… des sensations que je n’ai jamais connues dans mes rapports avec les hommes. Je ferme les yeux, essayant de faire taire cette irritation étrange qui s’insinue en moi. Blake. Toujours là. Toujours irritant. Toujours… indispensable. Je déteste Blake.
