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GEMMA JENNIFER NDOUNDA
La galère fait rage dans ma vie actuellement, et d’une force qui ne dit pas son nom. Les petites miettes que j’ai pu me faire à mon arrivée, sont entrain de finir. Ici, il faut acheter à manger, il faut mettre du crédit pour appeler les structures, se déplacer etc…
Le sommeil ne peut qu’être que léger… Ici, ma présence dans la maison commence à déranger. Je le vois dans le regard et les gestes de ma sœur. Si jamais par le plus grand des malheurs je refuse de faire quelque chose, exemple laver son linge qu’elle aurait trempé, hum… Dieu seul sait…
C’est pour cette raison que malgré tout, je quitte la maison le matin en même temps qu’elle et le week-end, j’essaie aussi de sortir même si ce n’est pas évident. Je vais passer toute la journée au bord de mer avec ma paperasse.
La galère frappe tout le monde depuis mon retour dans la ville, je n’ai pas eu de draguer. Il faut vraiment que je trouve une solution à ma situation… que je parte de la maison de ma sœur, c’est ma priorité. À mesure que ma poche se vide, l’urgence se fait ressentir.
De plus, elle fait tout pour me mettre mal à l'aise. Je dors dans le salon, si elle décide de se lever à 6h30 un samedi, je dois aussi me lever. C’est chez elle, je ne peux pas discuter. Avec son type et ses gros yeux de hiboux sur moi. Ce n’est vraiment pas joie d’habiter chez les gens… Si les membres de ta famille peuvent te traiter ainsi, je ne suis pas surprise du comportement des « amies » que j’ai eu dans ma vie. Mais bon… la main qui demande est en bas.
Si mes parents étaient encore de ce monde, je ne pensais qu’à 24 ans je serais là en train de ressasser ma vie comme une vieille mémé de 70 ans.
Moi (soupirant longuement) : Hum…
Karelle (sortant de la chambre) : Bonjour Gemma !
Moi (la regardant) : Bonjour Karelle.
Karelle passe devant moi en se rendant dans la cuisine. Je réfléchis déjà où je vais aller aujourd’hui et faire quoi pour tuer le temps. Mes potes avec qui je travaillais au restaurant bossent. Je vais peut-être aller m’asseoir au Cinquantenaire là-bas et regarder l’heure défiler, la faim dans le ventre.
Karelle : Gemma ooooh !
Moi : Oui ?
Karelle (devant la porte de la cuisine) : Mais depuis que je t’appelle tu n’entends pas ?
Moi (la regardant) : Non…
Karelle : Tu fais quoi encore assise ?
Je prends une longue inspiration en me levant, et je la rejoins dans la cuisine en restant debout devant la porte.
Karelle (me regardant) : C’est comment ?
Moi (croisant son regard) : Comment, comment ?
Karelle (elle prépare des œufs) : Dans tes recherches et tout ça ?
Moi (la regardant) : Je cherche… mais toujours rien… Je n’ai que des promesses de rappelle…
Karelle : Depuis la ?
Moi : Ah… c’est votre pays qui est en crise… sinon je suis disponible…
Karelle : Il faut, il faut… ça nous fait six bouches là… c’est trop… pour nous, pour nos petits six cent mille… Les enfants, toi…
Moi : …
Karelle (me regardant) : Il faut que tu t’ actives… ce n’est pas seulement travailler dans l’hôtellerie ou la restauration… il faut postuler pour être nounou, femme de ménage, femme de chambre, tout ce que tu trouves. Même vendeuse au marché. Il faut te secouer…
Moi (soutenant son regard) : C’est ce que je fais Ya Karelle… Mais je ne trouve pas.
Karelle : Maintenant on fait comment ? Au départ Martin ne voulait pas de toi ici… J'ai insisté, j’ai lutté parce que tu m’as dit que ton séjour était temporel.
Moi (la regardant) : C’est le cas.
Karelle : Non, ce n’est pas le cas Gemma… Tu n’as pas de solution… le chômage bat son plein dehors et cela fait un mois que tu es là, sans qu’il n’y ait d’évolution. Bien au contraire, tu régresses dans tout.
Moi : …
Karelle (me fixant) : Tu es en train de passer de visiteurs à habitants de la maison.
Moi (soutenant son regard) : Ya Karelle, je vais trouver du boulot.
Karelle (ferme) : Fais-le ! Fais-le, le plus vite possible avant que ta présence n'empiète sur l’humeur de mon foyer, de mon couple.
Moi : Ok.
Karelle (me fixant) : Je te laisse encore jusqu’à la fin du mois en cours… après tu te débrouilleras.
Moi : …
Karelle : De toutes les façons tu n’es pas obligée de vivre à Pog… tu peux retourner chez Gaëlle, à Libreville il y a plus d’opportunités qu’ici.
Moi (la regardant) : Gaëlle vit dans un studio…
Karelle (me fixant) : Et alors ? Si tu trouves un boulot là-bas, vous pourrez prendre quelque chose de plus grand.
Moi : …
Karelle : Ce que j’essaie de te faire comprendre c’est qu’à un moment, il va bien falloir que tu prennes tes responsabilités. Tu as 24 ans, Gaëlle en a 22 ans et elle s’occupe de sa vie.
LOL !
J’ai quitté cette maison à 16 ans et depuis, je me suis toujours occupée de ma personne. Cela fait à peine un mois que je suis là, elle parle comme si elle subvient à mes besoins.
Moi (la regardant) : Ok. J’ai compris.
Karelle : Je le dis pour ton bien Gemma.
Moi : J’ai compris Ya Karelle.
Karelle (me regardant) : Je ne serai toujours pas là pour assurer tes arrières. La vie est difficile, il faut avoir les crocs pour s’en sortir.
Moi : Hum… Je peux m’en aller ?
Karelle : Oui… Mais avant, tu comptes sortir demain ?
Moi : Oui.
Karelle (faisant la moue) : Ah… c’est important ?
Moi : Oui.
Karelle : Ah… c’est que je voulais mettre mon linge à laver… et celui des filles… comme j’ai vu que tu fais la lessive les dimanches…
Moi : Je ne serai pas là ce dimanche.
Karelle (tirant la tronche) : Hum…
Je trace dans la chambre des filles à la recherche de vêtements que j’accroche derrière la porte. Ensuite, je passe à la douche et je me prépare à sortir.
La famille est assise autour de la table en train de partager le petit déjeuner. Le repas le plus important de la journée. Je pourrai bien les rejoindre, mais, j’ai trop le petit cœur pour supporter les réflexions du genre… je n’ai pas bien mangé de leurs enfants ou bien les avants on n’était pas autant à l’étroit de son type. Je n’aime pas me sentir redevable, déjà que je supporte moins le fait de se sentir de trop.
Martin (me regardant) : La chômeuse de luxe.
Moi (froide) : Bonjour !
Martin : Bonjour à toi. Tu vas chercher du travail là ?
Moi : Oui.
Il rit.
Martin : Avec quel diplôme ? Quel niveau scolaire ? Même le BEPC, tu ne l’as pas.
Karelle : Martin…
Martin : Quoi ? Je suis en train de mentir ?
Karelle : Pas devant les enfants…
Quelques années plus haut, j’aurais eu mal. Je serais sans doute en train de pleurer et me lamenter sur le fait que ma sœur préfère rire des conneries que sort son type plutôt que de me défendre. Aujourd’hui, ses réflexions glissent sur moi comme de l’huile dans une casserole.
Maintenant que j’ai été hors de ce pays, que j’ai été confronté à d’autres réalités, je sais que le diplôme du bac ou du BEPC n’est pas un frein à la recherche d’un emploi. Le bac est un plus certes, cependant cela ne vaut rien devant quelqu’un qui a une expérience du terrain. Mais bon, si je lui explique cela, il le prendra comme une injure. Lui l’agent de la mairie.
Moi (levant les yeux) : Foutaise !
Il n’a même pas le bac lui non plus, c’est le népotisme qui le fait entrer dans la mairie et avoir à toucher le salaire qu’il touche aujourd’hui. Sinon lui, moi et Karelle, bonnet blanc, blanc bonnet. Tabac de même pipe.
Moi (rire) : Eh GG, tu parles le grand français maintenant.
Attends, j’ai quand même fréquenté ou bien ? J’ai vécu avec un français et un allemand, avec qui je ne parlais qu’en anglais. Respectons nous ici.
Bref ! Où vais-je ? Maman, allons seulement. Peut-être qu’une fois sur la route, la lumière jaillira. Il est trop tôt pour me rendre au Cinquantenaire… Où vais-je mon Dieu ? Un samedi matin pendant que les autres sont en famille, moi Ndounda, j’erre dans la ville comme une âme en détresse.
Le souci c’est que je ne peux pas me rendre dans une structure sans consommer… Ah tiens, je sais où je vais aller. En avant deux… j’achète le paquet de kleenex pour souvent essuyer mon front. Un deux en avant, je parcours la ville en prenant les raccourcis. La galère qui me fouette actuellement est sauvage. Je ne peux pas me permettre le luxe d’un taxi. Les 100 francs que je vais lui donner, c'est un morceau de pain en moins dans mon estomac.
Je vais écumer les boîtes de nuit et proposer mes services. Pourquoi je n’y ai pas pensé plutôt. Je commence par le Diamant, Non. Le Pélican, non plus. Le Maestro… encore moins. Je soupire longuement… quelle vie de merde !
- Gemma ?
Qui me connaît ici ?
Je me retourne en croisant le regard du type qui vient de citer mon nom… Son visage me dit quelque chose… mais… je n’arrive pas à me souvenir de son nom.
- Paulin
Moi (réfléchissant) : Paulin ?
Paulin (se rapprochant) : Oh ! On était au delta ensemble non !
Moi (ouvrant grand les yeux) : OH, Paulin !
Paulin (rire) : Tu fais genre tu m’as oublié ?
Moi (le regardant) : Gars, quand j’ai quitté le delta tu ressemblais à un mec…
Paulin (rire) : Oui, j’ai beaucoup changé.
Moi (rire) : Tu as violé le changement, tu veux dire ?
Il rit.
Paulin : Aujourd’hui c’est Pauline… c’est ainsi que mes bises m’appellent.
Moi : Ah ça…
Paulin (me regardant) : Tu deviens quoi ? Parait que tu rentres d’Afrique du sud.
Ça fait trois mois que je suis rentrée… gars ou girl… je ne sais même pas …
Moi (souriante) : Oui…
Paulin (m’attrapant par le bras) : Mais viens me raconter… comment c’était ? Je suis moi aussi en train d’y aller… pour faire mon shopping… Tu sais, je vais bientôt ouvrir mon salon de coiffure.
Moi : Ah…
Paulin (souriant) : Oui… J’en ai marre de dépenser mon argent dans les boîtes de nuit. Tu es pressée ? Tu allais quelque part ?
Moi : Euh… non… je cherche du boulot en fait… mais je ne trouve pas.
Paulin (me regardant) : Les belles gosses comme nous ne travaillent pas. On crée du travail pour les autres.
Moi (soutenant son regard) : C’est quand on a les moyens… Je suis pauvre chez les pauvres.
Paulin (reculant en me regardant) : Sérieux ?
Moi : Yup !
Paulin (rire) : Arrête ! Tu me fais marcher !
Moi : Du tout ! Pourquoi vais-je te mentir ?
Paulin : Et ton blanc ?
Moi : Lequel ?
Paulin : Le vieux papa qui te mettait en l’air là, avant que tu n’ailles t’installer en AS ?
Moi : Hum… Si je te raconte ma vie…
Paulin (regardant sa montre) : Donne-moi deux petites minutes. Je dépose un colis et je reviens. Ok ?
Moi : Pas de soucis… ce n’est pas comme si j’avais quelque chose à faire chez moi…
Paulin (me regardant) : Super ! Tu restes là ou bien tu veux m’attendre dans ma voiture ?
Moi : Là, peu importe.
Paulin : Ok ma belle, j’arrive.
Tchô ! Regardez-moi le beau mec qui est devenu pédé.
PS : Rien d’homophobe expression très utilisée dans le langage familier et notamment dans la rue.
Quand je pense que des filles se sont battues pour lui à l’époque, il en a fait pleurer…
Paulin : Je suis de retour ma chérie… On va prendre un verre ?
J’hésite.
Paulin (souriant) : Je t’invite t’inquiète.
Moi : Ok.
Paulin (me regardant) : Une préférence ?
Moi (amusée) : N’importe où ! Je ne vais pas faire la difficile alors que je n’ai rien dans les poches.
Paulin (rire) : J’adore ta franchise. Suis-moi dans ce cas.
Moi : J’ai toujours vécu avec les moyens de ma politique.
[Piong pion]
On s’installe dans son Touareg.
Moi (le regardant) : Ah ça…
Paulin (amusé) : Quoi ah ça ?
Moi (le regardant) : Si c’est comme ça, je vais moi aussi changé de rive hein… La galère me sodomise avec force, tu n’as pas idée.
Il éclate de rire !
Paulin (amusé) : Ma chère c’est quoi cette vulgarité ?
Moi : Je me surprends moi-même !
