#Chapitre5️⃣
Pdv de Laurine
Nathalie s'est mis en tête de m'aider à ranger mes affaires, étant donné que celles-ci stagnent dans des cartons depuis maintenant deux semaines.
Deux semaines que je suis ici, chez moi, selon ma famille d'accueil. Ceci est et restera totalement faux.
Chez moi, c'est à soixante-dix kilomètres d'ici, dans la maison que mon père a refait à neuf pour nous. Celle où j'ai vécu pendant dix-sept ans, à l'endroit même où ma vie a prit fin et où mon avenir s'est éteint.
- Qu'est-ce que tu dirais d'aller faire les magasins ?
lance joyeusement Nathalie.
C'est une blague ? Dites-moi que c'en est une, elle ne peut pas être sérieuse. Je lève lentement mes yeux vers elle, et constate avec effroi qu'elle est sérieuse. Vu son sourire, c'est indubitable.
- On pourrait aller t'acheter quelques vêtements et se balader au centre commercial toutes les deux, qu'est-ce que tu en dis ?
Ce que j'en dis ? C'est hors de question évidemment ! Je n'en reviens pas qu'elle ose me poser la question. Mon attitude au sein de cette maison ne parle-t-elle pas d'elle-même ?
Je ne veux pas sortir d'ici et ce, pour de nombreuses raisons. La première étant que je n'en ai pas besoin.
Je peux très bien rester toute la journée dans mon pantalon de survêtement et mon tee-shirt qui me sert de pyjama étant donné que je ne suis pas sortie ces quatorze derniers jours et que ça continuera ainsi pendant longtemps. Ensuite, j'ai bien assez de vêtements. Chez moi, dans ma maison qui est inaccessible puisqu'une enquête est en cours. Et dernière raison, et pas des moindres ; j'ai une peur bleue de remettre les pieds dehors.
Qui plus est, dans un lieu public bondé. Je ne suis pas sortie depuis... de nombreuses semaines.
Depuis cette horrible soirée. Je me déplaçais d'un hôpital à une voiture, d'une voiture à un autre hôpital, d'une voiture à une maison... Je n'ai jamais marché plus de trente mètres à l'extérieur, et ça me paraît presque infaisable aujourd'hui.
C'était différent il y a quelques mois. Je pouvais passer des journées entières à me promener dans la rue avec mes amis, ou même rester dans un parc, allongée dans l'herbe pendant des heures et ne rien faire du tout. Je n'étais pas du genre à rester enfermée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, contrairement à maintenant. Mais rien n'est plus pareil désormais. Je n'ai plus envie de prendre l'air et ça me fait peur. Je ne sais pas pour quelles raisons exactement. Ma peur a sans doute été nourrie par le fait de ne pas avoir mis un pied dehors durant plus de deux mois.
- Ou on peut aussi rester là, si tu préfères, conclut Nathalie, me sortant brutalement des pensées dans lesquelles j'étais inconsciemment plongée.
Je vois bien que mon absence de réponse et de réaction lui fait de la peine, mais je ne parviens pas à faire autrement. Parler est bien trop difficile.
Je place mon dernier tee-shirt sur un cintre et le range dans l'armoire, notant au passage que celui ou celle qui est allé chez moi pour prendre mes affaires a dû le faire le plus rapidement possible, s'emparant des premières choses qui lui passait sous la main. Mais peu importe. Je n'ai pas besoin de grand chose.
- Tu veux un thé ? me demande-t-elle alors, toujours cet habituel et implacable sourire sur son visage.
Je la suis dans le couloir sans hésiter. Je ne sais pas ce qu'il y a dans cette boisson, mais j'aime beaucoup, aussi bien en plein milieu de la nuit après un cauchemar, que durant la journée.
Nathalie m'a dit qu'elle le faisait elle-même et a ajouté avec un sourire énigmatique, qu'elle seule connaissait la recette qui lui venait de sa mère, décédée quelques années plus tôt. Oui, cette femme parle beaucoup. Elle parle pour nous deux, en réalité et sait parfaitement comment combler les silences gênants. Ça m'arrange plutôt bien. Et sa présence ne me dérange plus maintenant. C'est une femme adorable et je vois qu'elle veut m'aider alors parfois je n'ose pas refuser de faire ce qu'elle me demande. Je culpabilise déjà de ne pas lui donner de réponse quand elle me pose une question, alors si elle me somme de faire quelque chose, je n'hésite pas. Même lorsque je n'ai pas envie.
Lorsque nous arrivons dans le salon, Tristan et une jolie jeune fille à la peau matte et aux cheveux noirs de jais nous font face et viennent visiblement de rentrer puisqu'ils sont en train de se déchausser.
- Bonjour Sophia ! s'exclame joyeusement Nathalie.
Comment vas-tu ?
L'interpellée lui sourit et s'approche d'elle pour lui faire la bise.
- Très bien et vous ?
Je reste en retrait et remarque que Tristan lève les yeux au ciel face à cet échange.
- Je vais bien merci. Vous ne deviez pas aller au cinéma ?
- Si, mais Sophia voulait...
Le garçon coule un regard désespéré à son amie avant de le reporter sur sa mère, un sourire hypocrite aux lèvres.
- ... passer te dire bonjour. Ça faisait longtemps qu'elle ne t'avait pas vue.
- C'est gentil de ta part, lui sourit Nathalie. Vous voulez un thé ?
Elle s'adresse aux deux adolescents face à elle qui hochent la tête de concert et la fille la remercie exagérément. Pourquoi fait-elle tout un cinéma ?
On dirait qu'elle se force à être heureuse d'être ici.
Nathalie disparaît rapidement et je m'avance pour la suivre. Sauf que je suis la seule de cet avis puisque Tristan se manifeste :
- Laurine ?
Sa voix derrière moi m'incite à me retourner pour lui faire face. Je vois dans ses yeux que la situation l'exaspère au plus haut point et ses lèvres se pincent en une grimace très étrange que je ne l'ai jamais vu faire.
- Je te présente Sophia. Sophia, voilà Laurine.
Très bien. C'est super. J'en suis heureuse.
Ladite Sophia lui jette un regard de la même intensité qu'un rayon laser avant de m'offrir cette hypocrisie dont elle semble maître, grâce à son sourire et à cette main qu'elle me tend.
- Je suis sa petite-amie, annonce-t-elle avec possessivité comme si cette annonce était la meilleure nouvelle de la journée. Je suis enchantée de te rencontrer.
Ce sentiment est loin d'être sincère, ou même réciproque. Je regarde sa main, puis son visage.
Elle est vraiment jolie. Dommage qu'elle soit si... superficielle et hautaine.
Je ne m'attarde pas plus sur cette conversation et préfère largement rejoindre Nathalie, me fichant totalement de son statut de petite-amie ou de je ne sais quoi d'autre.
- Tu pourrais au moins...
- Sophia, l'interrompt immédiatement Tristan, assez brutalement.
- Quoi ? Elle pourrait faire preuve de politesse tout de même, non ?
J'ignore si son copain lui répond ou non, puisque j'ai déjà atteint la cuisine. La bouilloire est en marche et la boîte de thé est ouverte sur la table. Je m'installe sur une chaise alors que Tristan et Sophia se joignent à nous.
Je n'aime pas cette fille.
Pdv de Tristan
Sophia est tellement insupportable quand elle s'y met ! Je savais qu'elle prendrait très mal le fait qu'une fille - autre qu'elle - ne vive sous le même toit que moi. J'ai réussi à la tenir à l'écart de Laurine pendant pratiquement deux semaines, mais pas plus. Elle voulait absolument « voir à quoi elle ressemble ». Et maintenant qu'elle est au courant que ma nouvelle colocataire est très jolie, je suis fini. Je l'ai vu dans ses yeux et dans sa manière d'agir à l'instant même où elle l'a aperçue.
En ce moment, elle continue de la scruter comme si sa voisine de table était une bombe à retardement et ça m'exaspère.
Je tente de lui jeter un regard dissuasif, mais le sien est bien trop occupé à essayer de pulvériser Laurine. Sa jalousie maladive a vraiment le don de me taper sur le système, encore plus aujourd'hui.
Ça n'a pas l'air comme ça, mais Sophia est adorable, si on oublie sa stupide possessivité.
Heureusement, Laurine comprend - ou pas d'ailleurs
- qu'elle n'est pas la bienvenue aux côtés de ma petite-amie et choisi de sortir de la pièce.
Quelques secondes plus tard, j'entends la baie vitrée coulisser puis se refermer. J'avais deviné depuis le début qu'elle préférait la solitude, mais ça me fait mal de constater qu'elle ne se sent pas à l'aise ici, avec nous. Je ne réfléchis donc pas et me lève de ma chaise, sous le regard curieux de ma mère, et celui bien moins sympathique de Sophia.
- Tu fais quoi ? m'interpelle cette dernière.
- Je reviens.
Elle m'ordonne ensuite de me rasseoir, mais je ne l'écoute pas et atteins rapidement la baie vitrée.
Laurine est assise sous l'arbre au fond du jardin, là où elle s'installe pratiquement tous les jours, qu'il fasse beau ou non. Aujourd'hui, le temps est gris mais la température est plutôt élevée. Néanmoins, ce n'est pas parce que nous sommes en plein été que nous cessons de boire le thé que nous fait ma mère.
La jolie blonde est actuellement adossée au tronc, ses jambes croisées en tailleur, sa tasse entre ses mains et le regard dans le vide, comme toujours.
J'ouvre la porte vitrée et avance silencieusement jusqu'à elle. Elle ne relève la tête que lorsque je prononce son nom ; ses yeux deviennent gris sous la lumière du jour. Ils changent constamment de couleur suivant le soleil que nous avons. Je m'accroupis pour être à sa hauteur et ses yeux suivent mon mouvement.
- Je suis désolée pour Sophia. Sa façon d'agir peut vraiment être... insensée parfois.
Rien dans son comportement pourrait me faire penser qu'elle comprend ce que je dis, mais je sais que c'est le cas. C'est le cas à chaque fois.
- Ne te préoccupe pas d'elle, d'accord ? N'hésite pas à revenir vers nous, tu sais que tu es la bienvenue.
Je ne m'attarde pas plus longtemps et disparais de son champ de vision pour la laisser seule, mais je déchante très rapidement en entrant dans la maison. Sophia était sur le point de sortir me rejoindre quand je la croise dans le salon.
Heureusement que je ne lui ai pas laissé le temps d'arriver vers nous ! À en juger par son regard sombre et sa posture droite et tendue, je pense qu'elle est en colère. Très très très en colère même.
La discussion qui va suivre m'exaspère déjà.
Ne souhaitant pas me donner en spectacle devant ma mère qui doit surement être dans la cuisine, je la dépasse et avance jusqu'à ma chambre sans un mot. C'est elle qui referme la porte derrière nous.
Je sais d'avance que ma petite-amie, contrairement à Laurine, ne va pas rester silencieuse très longtemps. L'accusation tombe après une dizaine de secondes seulement.
- Elle te plait, c'est ça ?
Je me tourne face à elle en soupirant et la laisse continuer. Parce que ce n'est pas terminé, évidemment.
- Bien sûr qu'elle te plait ! s'écrit-elle en levant les bras au ciel. Pourquoi tu m'aurais caché qu'une fille allait vivre chez toi, dans le cas contraire ? Tu ne me l'as pas dit avant qu'elle ne soit arrivée et tu m'as empêchée de la rencontrer avant aujourd'hui.
Je n'ai plus à me demander pourquoi tu as attendu tout ce temps, c'est évident. Et en plus de ça, tu t'es bien gardé de me dire qu'elle était belle. C'est donc qu'elle te plait et tu voulais me le cacher. Tu couches avec elle, c'est ça ?
- Mais tu réfléchis quand tu parles ? m'écrié-je totalement hors de moi.
Je m'attendais à des accusations, mais elle ose vraiment m'accuser d'infidélité ? Elle va trop loin.
Beaucoup trop loin. Je savais qu'elle allait être jalouse mais pas au point de ne plus avoir confiance en moi.
- Tu n'as pas répondu.
- Bien sûr que non ! Je ne couche pas avec elle, bon sang ! On sort ensemble tous les deux, non ?Pourquoi j'irais voir ailleurs ?
- Parce qu'elle te plait.
- Arrête tes conneries, Sophia. Ça commence vraiment à m'énerver.
- Tu ne m'as pas contredit, c'est qu'elle te plait.
Elle va me rendre fou. Je vais littéralement péter un câble. Je prends le temps d'inspirer longuement pour éviter de dire quelque chose que je finirai par regretter. Mais ces quelques secondes de silence de ma part ne font qu'attiser la colère de Sophia et rendre ses propos véridique.
- Peut-être que tu n'as pas encore couché avec elle, mais tu en as envie Tristan. Elle dort dans la chambre d'à côté alors...
- Alors quoi ? la coupé-je brutalement. Je vais aller lui sauter dessus dans la nuit ? Je vois que tu as confiance en moi. Ça fait plaisir, je te remercie.
- J'ai mes raisons pour douter, dit-elle avec dédain, me jugeant de haut en bas.
Je me demande bien qu'elles sont ces raisons. En quatre mois de relation, je ne l'ai jamais trompée, je n'ai jamais embrassé d'autres filles et je n'ai jamais voulu aller vers d'autres filles. Que ce soit avec elle, ou lorsque j'étais avec mon ex, j'ai toujours été fidèle. Alors j'aimerais bien connaître ses raisons pour douter autant de moi.
- Tu m'as dit que ta mère t'avait demandé si tu étais d'accord pour qu'elle vienne vivre ici.
Je ne réponds pas et la laisse continuer sur une voie qui me paraît risquée. Pour elle.
- Et tu as accepté. Tu lui as dit oui sans même me demander mon avis ou sans te donner la peine de m'avertir.
- Parce que ça ne te concerne pas. C'est chez moi qu'elle vit désormais. Chez ma mère. Ça ne concerne que ma mère, Laurine et moi. Pas toi.
- Je ne veux pas qu'elle reste chez toi.
Voilà, elle l'a dit. Et je sais qu'elle ne reviendra pas sur ses mots. Déjà parce qu'elle a trop de fierté pour se contredire elle-même mais plus encore parce qu'elle pense ce qu'elle dit.
- Tu veux que je déménage alors ?
Je sais bien que ce n'est pas ce qu'elle veut, je ne fais qu'exposer son absurdité au grand jour, bien qu'elle soit incapable de le voir. Elle préfère, au contraire, s'enfoncer davantage dans sa connerie.
- Je veux qu'elle dégage. Dis à ta mère que tu as changé d'avis.
- Non, réponds-je sans hésiter.
- Si tu ne la dégages pas de chez toi, c'est moi qui sort de ta vie.
L'ultimatum est enfin posé. Elle n'a pas perdu de temps. C'est tellement pitoyable qu'elle se rabaisse à ce niveau que je me mets à rire nerveusement.
- Je savais que tu étais jalouse, mais à ce point... Tu te surpasses, Sophia. Et tu me déçois.
Énormément. Mais je te laisse encore une chance de revenir sur tes mots.
J'ignore pourquoi je dis cela, je sais que c'est totalement inutile et elle me le fait savoir très rapidement.
- C'est elle ou moi, rétorque-t-elle en plongeant ses yeux noirs dans les miens.
A suivre…
