Bibliothèque
Français
Chapitres
Paramètres

Chapitre 6 : L'Écho de la Nuit

Elara

La soirée se poursuivit dans une atmosphère plus légère, mais pour moi, rien ne semblait plus être comme avant. Le regard du roi, ses mots empreints d’une rare vulnérabilité, tournaient en boucle dans mon esprit. La distance entre lui et moi, cette barrière invisible qui semblait infranchissable, avait brusquement rétréci, ne laissant qu’un fil ténu, presque imperceptible, mais suffisamment présent pour éveiller des pensées que je n’avais jamais osé envisager.

Je continuai à circuler parmi les invités, mais mon esprit n'était plus avec eux. Chaque sourire échangé, chaque geste effectué semblait être une simple illusion de normalité. Je n’arrivais plus à penser à autre chose qu'à la conversation que j'avais eue avec Aldric. Le roi n'était plus cette figure distante, ce tyran impitoyable que j’avais toujours cru qu’il était. Non, il était devenu un homme complexe, brisé par des années de solitude, portant sur ses épaules le poids de son propre royaume et de ses choix passés.

À la fin de la soirée, alors que les invités commençaient à quitter le château, je m'efforçai de remettre de l'ordre dans mes pensées. Je me dirigeai vers les écuries pour préparer les chevaux du roi, comme je le faisais chaque soir. Mais cette nuit, l’air semblait différent. La brise légère, portée par la lune, murmurait des promesses et des secrets que seul un cœur sensible pouvait entendre.

En traversant la cour, je vis une silhouette solitaire près de l’une des portes principales du château. C’était lui, le roi. Il semblait perdu dans ses pensées, comme absorbé par quelque chose qui le dépassait. À un moment, il tourna la tête et croisa mon regard. Je m’arrêtai net, un frisson me parcourant, mêlé d'appréhension et de curiosité.

"Elara," dit-il d'une voix basse, mais suffisamment forte pour que je l’entende. Il ne me regardait pas de la même manière que pendant le banquet. Ce soir-là, ses yeux étaient différents, comme s’ils cherchaient quelque chose dans les miens, quelque chose qu’il n’avait pas encore trouvé.

Je m'inclinai respectueusement. "Majesté."

"Il est tard", commença-t-il après un long silence. "Je devrais rentrer. Mais il semble qu’il me manque quelque chose ce soir. Peut-être un peu de compagnie." Il me fixa intensément, comme si son regard pouvait percer mes pensées les plus profondes. "Je me demande si… vous seriez disposée à marcher un moment avec moi. Il ne s'agit pas de cour, ni de protocoles. Juste… une promenade."

Un frisson parcourut ma colonne vertébrale. Un roi demandant à marcher avec une servante. C'était inconcevable, mais il n'y avait ni moquerie ni ordre dans sa voix. Il semblait sincère, presque… humain. Je ne pouvais pas refuser, ni même comprendre pourquoi j'hésitais à accepter. Après tout, il ne m’avait pas demandé en tant que souverain, mais en tant qu’homme.

J’acquiesçai lentement, ma voix faible : "Oui, Majesté. Je vous accompagnerai."

Nous sortîmes ensemble dans le jardin du château, loin des yeux curieux de la cour. La lune éclairait le chemin sinueux, jetant une lumière argentée sur les pierres anciennes. Nous marchâmes côte à côte, mais dans un silence lourd, chacun absorbé dans ses propres pensées. Le roi, d’ordinaire si imposant, semblait plus petit sous l’ombre de la nuit, presque vulnérable. J’avais l’impression que cette marche dans le jardin n’était pas simplement un acte physique, mais une manière pour lui d’échapper à un fardeau invisible, un fardeau qu’il n’avait jamais partagé avec quiconque.

"Pourquoi m’avez-vous appelée ce soir ?" demandai-je après un moment, brisant le silence.

Le roi leva les yeux vers la lune, sa silhouette s’effaçant dans l’ombre. "Parce que la solitude devient insupportable parfois. Parce que même un roi… même un roi peut se perdre dans les ténèbres de ses pensées."

Je le regardai, surprise par la fragilité de ses mots. Il n’avait pas l’habitude de parler ainsi, de partager ses failles avec quelqu’un, et encore moins avec une simple servante. Mais ce soir-là, quelque chose semblait différent. Quelque chose dans l’air, dans le calme de la nuit, dans l’atmosphère entre nous, l’appelait à ouvrir son cœur.

"Vous savez," continua-t-il, "les gens me regardent toujours avec peur ou respect, mais personne ne me regarde vraiment. Personne ne cherche à savoir qui je suis au-delà du trône."

Je baissai les yeux, une bouffée de compassion envahissant mon cœur. Je me souvenais de ma propre perception du roi, de l’image du tyran, du souverain intransigeant. Mais ce que je percevais à cet instant était bien différent. Il y avait quelque chose de brisé en lui, quelque chose qu'il avait enterré si profondément que même lui ne semblait plus pouvoir le reconnaître.

"Je… je vois ce que vous êtes, Sire", dis-je doucement. "Je vois la douleur dans vos yeux, la solitude. Vous n’êtes pas simplement un roi. Vous êtes un homme qui a perdu beaucoup."

Aldric s'arrêta soudainement, tournant son regard vers moi. Ses yeux brillaient d’une intensité nouvelle, presque vulnérable. "Et vous, Elara ? Qu’est-ce que vous voyez en moi ?"

Je mourus d’hésitation un instant. Le silence entre nous devenait lourd, presque électrique. "Je vois un homme qui a dû sacrifier beaucoup pour être ce qu’il est. Un homme qui porte une grande responsabilité, mais qui porte aussi un fardeau que personne ne comprend."

Le roi me scruta longuement, puis, d’un geste presque imperceptible, il détourna les yeux, comme si une partie de lui ne voulait pas entendre ces mots. Mais il ne les rejetait pas non plus.

"Je me demande parfois si… s’il n’est pas trop tard pour changer. S’il est possible de… revenir en arrière." Sa voix se brisa légèrement, trahissant un instant d’humanité. "J’ai fait des choses, Elara, des choses que je regrette profondément. Mais maintenant… je me sens prisonnier. Prisonnier de ce que j’ai créé."

Je m’approchai légèrement, une tristesse douce envahissant mon cœur. Je n’avais pas de réponses à ses questions, pas de solutions. J'étais simplement une servante, mais ce que je comprenais, au fond de moi-même, c’était que le roi Aldric ne cherchait pas un jugement. Il cherchait une oreille attentive, un cœur capable de le comprendre, même un instant.

"Vous n’êtes pas seul, Sire", murmurai-je. "Parfois, il suffit de croire que le changement est possible. Même pour vous."

Nous restâmes là, ensemble, dans le silence de la nuit, sans échanger un mot. Le temps sembla s'étirer, suspendu dans cet instant fragile où deux âmes, pourtant si différentes, se retrouvaient liées par une compréhension silencieuse.

Le vent souffla doucement, et, pour la première fois depuis longtemps, le roi se sentit moins seul. Il avait trouvé un écho dans mes mots, une possibilité de rédemption, même si ce chemin restait flou. Il savait que cette rencontre, cette promenade, marquerait un tournant dans sa vie. Il ne pouvait pas changer le passé, mais peut-être, juste peut-être, pourrait-il se racheter. Et peut-être que moi, la simple domestique, j’aurais un rôle à jouer dans cette quête de rédemption.

Téléchargez l'application maintenant pour recevoir la récompense
Scannez le code QR pour télécharger l'application Hinovel.