Chapitre 7 : Les Ombres du Passé
Elara
Le lendemain matin, le château semblait plongé dans un calme étrange, presque irréel. Le banquet de la veille n’était plus qu’un souvenir lointain, les nobles repartis vers leurs terres, et la cour retrouvait son rythme habituel. Mais pour moi, rien n’était comme avant. La promenade de la nuit précédente avait marqué un point de non-retour. Les mots du roi résonnaient encore dans ma tête, et plus que jamais, je sentais qu’il y avait quelque chose d’inexprimable entre nous. Quelque chose qui allait au-delà de l'ordre social, de mon statut de domestique, et de mon rôle de simple observatrice dans l'ombre de la cour.
Alors que j’effectuais mes tâches habituelles, je ne pouvais m’empêcher de penser à la conversation que j'avais eue avec Aldric. Je me souvenais de ses paroles, de la douleur qui transparaissait dans sa voix, de la vulnérabilité qu’il avait laissée entrevoir. Le roi, dans toute sa gloire et son pouvoir, était un homme brisé, hanté par ses choix, et je me demandais si je pouvais réellement l’aider, ou si je ne faisais que l’empirer en me rapprochant de lui. Mon rôle, après tout, était de rester en retrait, invisible, et de servir sans poser de questions.
Mais comment pouvais-je rester éloignée de cet homme dont je commençais à comprendre les tourments ?
Je n’eus pas le temps de m’appesantir davantage sur mes pensées, car le son des lourdes portes du château retentit. Un messager entra en courant, un parchemin à la main. Le regard des domestiques se tourna immédiatement vers lui, et je m'approchai discrètement. Le messager, essoufflé, s’inclina devant un conseiller du roi et lui remit la lettre, un geste rapide et professionnel, mais sa nervosité était palpable.
"Que se passe-t-il ?" murmurai-je à une autre servante, une vieille amie, qui se tenait près de moi.
"Une nouvelle venant du sud", répondit la servante d’un ton inquiet. "Le duc de Darven, un seigneur puissant, a levé une armée. Il semble qu’il ait l’intention de marcher sur le royaume."
Un frisson parcourut mon dos. Une guerre ? Le duc de Darven était un homme ambitieux, connu pour ses tentatives d’accroître son pouvoir au détriment des autres seigneurs du royaume. Si ses intentions étaient telles que la rumeur le laissait entendre, cela signifiait une guerre imminente. Une guerre qui changerait tout.
Le messager, toujours tremblant, s’éloigna après avoir salué le conseiller, et la tension dans le château monta d'un cran. La nouvelle circula rapidement, atteignant même les oreilles des domestiques. Tous savaient que si ce conflit devenait réalité, tout le royaume serait bouleversé.
Pourtant, je ne pouvais pas me concentrer sur cela. Ma rencontre avec le roi pesait encore lourdement sur mon cœur. Je n'arrivais pas à me détacher de ce lien que je sentais naître entre nous, un lien qui semblait défier toutes les règles. Tout dans ma vie m’avait appris à maintenir une distance, à ne jamais franchir les lignes invisibles entre les classes. Mais chaque fois que je voyais Aldric, chaque fois que je pensais à lui, cette ligne semblait devenir de plus en plus floue.
Je me rendis dans les cuisines pour préparer un peu de nourriture pour les membres de la cour. À ce moment-là, un autre messager arriva, plus précipitamment cette fois. Son regard se posa sur moi.
"Le roi demande à vous voir", dit-il simplement, avant de se hâter vers les appartements royaux.
Mon cœur s’emballa. Le roi… il avait demandé à me voir ? Je pris une grande inspiration, m’efforçant de cacher mon trouble. Ce n'était pas la première fois qu’il me convoquait, mais chaque appel semblait plus significatif que le précédent. Je me hâtais de me rendre dans ses appartements, mon esprit tourbillonnant.
Lorsque les portes des appartements royaux s’ouvrirent, je pénétrai à l’intérieur. Aldric se tenait là, près d’une grande carte du royaume, les mains derrière le dos, ses traits tendus. Il n'était plus l'homme pensif que j'avais rencontré la veille, mais un souverain à l'apparence plus ferme, comme si les préoccupations politiques et militaires avaient repris le dessus.
Il tourna son regard vers moi en me voyant entrer, et ses yeux se durcirent légèrement. "Elara", dit-il, sa voix marquée par l'urgence. "Il semble que la situation avec Darven soit bien plus grave que prévu. Le duc a rassemblé une armée conséquente et se dirige droit vers nos frontières. J'ai besoin de vous."
Je m'inclinai, bien qu’étonnée. "Majesté, que puis-je faire ?"
"Je dois partir en guerre", dit-il, ses yeux se perdant brièvement dans la carte. "Mais avant cela, il y a une tâche qui m’incombe. Vous avez vu la robe que vous avez faite pour la fête de la cour. Elle est magnifique. Mais il y a autre chose. Une armure… une armure spéciale que je dois porter pour cette guerre. Je veux que vous la conceviez. Pas une armure ordinaire. Une armure qui symbolise le royaume et la puissance. Quelque chose de… unique."
Je fus surprise. "Moi, Sire ? Mais je ne suis pas une armurière…"
Aldric se tourna vers moi, un regard d'intensité nouvelle dans les yeux. "Vous ne l'êtes pas, c’est vrai. Mais vous avez des talents que beaucoup ignorent. Vous avez une vision des choses que les autres ne voient pas. Et j’ai confiance en vous. J’ai besoin de cette armure, Elara. Il s’agit non seulement de la protection du roi, mais de la symbolique. Cette armure sera un message. Le message que le royaume ne se laissera pas abattre."
Les mots du roi résonnèrent dans mon esprit, et quelque chose en moi se réveilla. Il me confiait non seulement une tâche physique, mais une mission d’une importance stratégique. Il me offrait sa confiance. Je n'avais jamais envisagé une telle responsabilité, et pourtant, cette confiance était exactement ce dont j'avais besoin pour me rapprocher de lui.
"Je… je ferai de mon mieux, Sire", répondis-je, ma voix plus ferme qu'elle ne l’avait imaginé.
Aldric sembla me regarder plus intensément que jamais, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres. "Je le sais, Elara. Vous êtes plus que ce que vous semblez être."
Il tourna à nouveau son regard vers la carte du royaume, comme s’il s’apprêtait à replonger dans ses préoccupations. Mais avant cela, il ajouta, presque comme une pensée évasive : "Je vais avoir besoin de vous plus que vous ne l’imaginez."
Je m'inclinai une nouvelle fois, me sentant plus proche du roi qu’avant, mais aussi plus distante que jamais. Nous étions liés par des circonstances qui échappaient à tous deux. Je savais que cette mission allait changer notre relation à tout jamais. Mais jusqu’où cette confiance mutuelle pouvait-elle nous mener ? Et quel rôle exactement devais-je jouer dans les bouleversements à venir ? Seul l’avenir le dirait.
Alors que je sortais des appartements royaux, un vent froid soufflait dans la cour, comme si le royaume lui-même pressentait la tempête qui s’annonçait.
