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Chapitre 5

Viel ferma les yeux plus fort, comme si cela pouvait lui permettre de fuir ces pensées. Mais elles revenaient toujours, inévitables, plus pressantes. Pourquoi n’était-il pas « comme tout le monde » ? Pourquoi devait-il porter ce fardeau invisible, ce secret qu’il cachait à tous, même à ses collègues, même à Martine, même à Hubert, qui était devenu un ami, un confident en quelque sorte ?

Cette « malédiction », comme il l’appelait dans ses moments de colère, semblait le condamner à une vie d’isolement. Pourquoi fallait-il qu’il soit différent de tout le monde, qu’il vive dans un corps qui ne lui ressemblait pas, un corps qui ne répondait pas aux attentes des autres, ni même à ses propres attentes ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement être « un homme », tout comme il en rêvait parfois dans ses moments de fragilité ? Un homme avec une masculinité claire, sans ambiguïté, sans cet étrange décalage qui le hantait.

Le poids de ces pensées lui faisait mal, et il sentit une lourde boule se former dans sa gorge. Mais il ne pleura pas, comme il l’aurait fait autrefois. Non, cette fois-ci, il serra simplement les dents, le poing serré. La douleur, il la connaissait maintenant, il savait qu’elle finirait par s’estomper. Mais les questions demeuraient. Toujours. Ces questions sans réponse.

Il se leva brusquement du canapé, comme si tout cela devenait trop lourd à porter. Il marcha à grands pas jusqu’au miroir de la salle de bain. Il se scruta longuement. Le reflet qui lui faisait face était celui d’un homme, oui, mais pas tout à fait. Pas tout à fait comme les autres hommes. Ses yeux se posèrent sur sa poitrine, qu’il dissimulait toujours sous des vêtements amples. Il se força à regarder, à affronter ce qu’il avait toujours évité de voir. Cette poitrine qui n’était pas celle d’un homme, mais d’une femme, même si elle était discrète. Il baissa les yeux vers ses hanches, plus larges que celles des autres hommes. Puis il se dirigea plus bas, vers ce qui lui restait de masculinité. Son pénis, petit, presque insignifiant comparé à ce qu’il avait pu voir chez d’autres hommes.

Une autre vague de dégoût le submergea. Il se tourna brusquement, comme s’il voulait fuir ce corps qu’il n’avait jamais vraiment accepté. Mais il savait qu’il ne pouvait pas fuir cette réalité. Elle faisait partie de lui, et ce corps était le seul qu’il avait. La vérité était là, crue et implacable. Ce qu’il avait, ce qu’il était, il n’avait jamais eu le choix. Ce fardeau était son héritage, et il devait vivre avec, même si cela semblait parfois insupportable.

« Pourquoi moi ? » chuchota-t-il, la voix brisée, alors qu’il fermait les yeux pour éviter de voir son reflet une fois de plus.

Ce moment de vulnérabilité leissa un goût amer dans sa bouche. Mais Viel savait aussi qu’il n’avait pas le choix. Il fallait avancer, encore et encore. Parce qu’au fond de lui, il savait que la vie, malgré tout, continuait.

Le week-end arriva enfin, apportant avec lui un vent de fraîcheur qui balayait les angoisses de la semaine. Viel avait attendu ce moment avec une certaine appréhension, mais aussi une sorte de soulagement. Le temps passé loin de ses parents et de la maison familiale lui avait toujours donné une occasion de se recentrer, de se retrouver lui-même, loin des questions sans fin et des doutes qui l’habitaient.

Il enfila sa veste, attrapa son sac et, après avoir vérifié une dernière fois que tout était en ordre dans son appartement, monta dans un taxi en direction du quartier où il avait grandi. Les routes étaient familières, les mêmes depuis toujours, mais aujourd’hui, elles semblaient différentes. Peut-être était-ce l’angoisse d’affronter la maison de son enfance, un lieu qui lui avait toujours procuré à la fois du confort et une étrange gêne.

Le trajet ne dura pas longtemps, mais chaque minute semblait s’étirer. En arrivant devant la maison, il se permit un instant de pause. Il observa l’ancienne bâtisse, avec ses volets bleus fanés et son jardin en désordre. La maison avait vieilli, tout comme lui, et, de manière étrange, il eut un léger sentiment de nostalgie. Il se souvint des après-midis passés à courir dans le jardin, des éclats de rire avec ses frères et sœurs, avant que tout ne change. Avant que les choses ne deviennent plus compliquées, avant qu’il ne comprenne réellement ce qu’il était.

Il paya le chauffeur, sortit du taxi et se dirigea vers la porte. Lorsqu’il entra dans la cour, son petit frère, Mathias, et sa petite sœur, Elsa, étaient déjà là, jouant dans l’allée. Mathias, un garçon de huit ans, semblait avoir hérité de la vivacité de leurs parents. Il courait, sautait, et faisait des bruits d’animaux comme un petit cascadeur. Elsa, quant à elle, était assise sur une petite balançoire, un sourire innocent accroché à ses lèvres, semblant profiter de la simplicité de l’enfance.

En les voyant, un sourire léger se dessina sur les lèvres de Viel. C’était une des rares choses qui réussissaient à détendre ses muscles tendus. Il les salua d’un signe de la main avant de les rejoindre.

« Eh, Viel ! » s’écria Mathias en courant vers lui, les bras grands ouverts. « Tu es là ! » Il s’arrêta brusquement, le fixant avec un regard un peu plus sérieux, comme s’il avait soudainement pris conscience de la présence de son frère aîné. « T’es pas trop fatigué ? »

Viel éclata de rire, caressant les cheveux de Mathias. « Non, ça va. C’est juste que je viens de passer un long moment dans le taxi. »

Elsa, quant à elle, s’était accrochée à la balançoire et, voyant que Viel s’approchait d’elle, elle s’élança dans sa direction, son visage rayonnant. « Viel ! » lança-t-elle joyeusement en sautant dans ses bras. « T’es enfin là ! J’ai tellement de choses à te raconter ! »

Viel la serra doucement contre lui, un frisson de tendresse traversant son corps. C’était ces moments-là qui le rendaient un peu plus humain, un peu plus connecté à la réalité. Ses frères et sœurs ne se préoccupaient pas des choses qui le tracassaient. Pour eux, il était simplement leur grand frère, quelqu’un avec qui jouer, rire et partager des instants de bonheur.

Après quelques instants de jeux et de bavardages, les deux enfants se lancèrent dans une autre course effrénée, cette fois-ci avec leur frère aîné qui ne pouvait s’empêcher de se joindre à eux. Viel se laissa emporter, oubliant l’inquiétude qui l’avait envahi juste avant. Il se sentait à sa place, comme s’il retrouvait une part de lui qu’il avait longtemps négligée. Mais ce moment de bonheur, aussi simple et éphémère soit-il, n’était pas exempt de ses propres démons. Lorsqu’il aperçut leur mère, Madeleine, à l’intérieur de la maison, un léger nœud se forma dans son estomac. Les retrouvailles avec ses parents étaient toujours un mélange de réconfort et de tension.

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