CHAPITRE 2
Gwen Emani, 28 ans, était une jeune femme au teint caramel, mesurant un mètre quatre-vingt-cinq. De corpulence moyenne, elle portait sur ses épaules le poids d’une vie marquée par les épreuves. Orpheline de père et de mère, elle avait grandi dans un orphelinat de Douala sans jamais connaître l’amour parental.
Mère de deux filles, Inès, 14 ans, et Iris, 5 ans, elle se battait chaque jour avec une ténacité admirable pour leur offrir une vie meilleure. Le père de ses enfants les avait abandonnées alors qu’Iris n’avait que trois mois. Pendant longtemps, Gwen avait enchaîné les petits boulots pour joindre les deux bouts, tout en gérant la douleur d’une trahison amoureuse.
Mais depuis trois ans, les choses avaient commencé à s’améliorer. Elle avait été recrutée comme assistante personnelle du PDG d’Ivoire Tech Industries, une entreprise technologique en pleine croissance. Grâce à la recommandation précieuse d’une ancienne employeure, elle avait trouvé dans ce poste une bouée de sauvetage. Le travail était exigeant, son patron insupportable, mais le salaire permettait enfin à ses enfants de manger à leur faim, d’aller à l’école, et à elle-même de respirer un peu.
Ce samedi-là, à seize heures passées, Gwen alla timidement demander la permission de rentrer. Elle savait que dans ce métier, il n’y avait pas d’heures fixes. Elle pouvait être la première à arriver et la dernière à partir. C’était dans le contrat un sacrifice qu’elle assumait, même s’il lui coûtait cher.
_ J’aurais besoin que tu m’accompagnes à l’aéroport et que tu me débriefes sur la conférence de demain. Prépare aussi une liste bien détaillée de tous les invités, et une autre des clients potentiels, dit Laurel sans même lever les yeux.
_ D’accord, Monsieur, répondit-elle avant de s’éclipser.
Gwen soupira intérieurement. Laurel avait ce don de lui donner des tâches de dernière minute, sachant pertinemment que la conférence en question était déjà bien organisée. Il connaissait tous les noms, tous les intervenants. Il testait ses limites, encore et encore.
Elle avait laissé ses enfants seules, leur repas confié à la voisine. Ce genre de compromis devenait de plus en plus fréquent, et Gwen redoutait qu’un jour, cela tourne mal.
Quarante minutes plus tard, Laurel sortit brusquement de son bureau et lui ordonna de le suivre. Gwen rassembla ses affaires à la hâte, mais à sa sortie, il avait déjà disparu. Elle se précipita à la sortie, vit sa voiture quitter les lieux, et héla un taxi en urgence.
Arrivée à l’aéroport, elle chercha Laurel des yeux. Mais il n’était pas là.
Elle tenta de l’appeler en vain.
La sonnerie retentit dans le vide.
Hors de question de le rappeler : il détestait qu’on insiste.
Hors de question aussi de rentrer sans l’avoir vu. Il serait furieux et elle risquait de perdre son emploi.
Alors, elle attendit. Deux longues heures.
Quand il arriva enfin, sortant de sa voiture avec cette élégance désinvolte qui le caractérisait, Gwen se leva aussitôt pour aller à sa rencontre. Ils se dirigèrent ensemble vers la salle d’accueil, et elle se mit à le débriefer rapidement.
_ Je vous ai tout envoyé par mail, avec plus de détails, ajouta-t-elle en le voyant approcher la zone d’embarquement.
Il s’arrêta, se retourna et la scruta de haut en bas. Gwen esquissa un sourire nerveux.
_ C’est la dernière fois que vous portez ce genre de chaussures, déclara-t-il froidement. Ça entache mon image.
Gwen baissa instinctivement les yeux vers ses ballerines. Lorsqu’elle releva la tête, Laurel avait déjà disparu.
Un soupir discret s’échappa de ses lèvres. Elle rassembla ses affaires, jeta un dernier regard vers les portes d’embarquement et tourna les talons.
Le trajet du retour fut silencieux. Le taxi roulait lentement dans les rues de Douala, Gwen appuyait sa tête contre la vitre, bercée par les cahots de la route, l’esprit ailleurs.
Lorsqu’elle poussa enfin la porte de la petite maison, une odeur de riz réchauffé et de savon l’accueillit. La lumière du salon était tamisée. Iris dormait profondément sur le canapé, une peluche dans les bras. Inès, quant à elle, regardait des dessins animés à la télévision, ses jambes repliées contre sa poitrine.
_ Maman, tu rentres tard, souffla-t-elle sans même lever les yeux.
_ Je sais ma chérie, je suis désolée, répondit Gwen en déposant doucement son sac. Tout s’est encore éternisé.
Elle s’approcha d’Iris, l’observa un instant dormir paisiblement, puis la souleva doucement dans ses bras. La petite bougea à peine, murmurant quelque chose dans son sommeil. Gwen la porta dans la chambre et l’installa délicatement dans son lit, avant de retourner au salon.
_ Allez, Inès. Il est tard. Va te coucher toi aussi, dit-elle d’une voix douce mais ferme.
La fillette éteignit la télévision et se leva sans protester. Elle déposa un baiser furtif sur la joue de sa mère avant de disparaître dans le couloir.
Gwen resta un instant seule dans le salon, debout dans la pénombre, écoutant le silence revenu. Elle se dirigea ensuite vers la salle de bains, se débarrassa lentement de ses vêtements, et laissa l’eau froide couler sur sa peau. Une douche rapide, mais nécessaire. Pour apaiser ses muscles tendus. Pour laver la journée.
Quand elle sortit enfin, vêtue d’un vieux t-shirt et d’un short, s’écroula sur son lit, une main posée sur son front, les paupières lourdes. Trop épuisée pour penser. Trop lasse pour rêver. Elle n’avait pratiquement rien mis sous la dent cette journée
Et pourtant, une question persistait dans son esprit, comme une pluie fine et continue : jusqu’à quand pourrait-elle tenir à ce rythme ? Et surtout… à quel prix ?
