Maintenant ou jamais
Manchester, Angleterre
Liam Lemarchal
C'est maintenant où jamais. Je l'ai répété plus d'une fois déjà. Et je le sais que c'est énervant autant de redondance de ma part. Mais cette fois, c'est différent. C'est mon moment qui a sonné. Je suis des plus confiant. Le type il est au plus mal depuis le départ de sa femme. Il me faut lui donner le coup de grâce pendant qu'il est à terre. Et de la pire des manières. Il n'aura que ce qu'il mérite.
De très tôt je débarque à son entreprise d'import-export. Je sais qu'il est là car depuis que sa femme a fugué c'est devenu son refuge là-bas. Ses autres entreprises, c'est son beau-frère qui gère la plupart du temps. Ces deux-là se font une confiance mutuelle déconcertante. C'est son bras droit en tout. Lui aussi aura de mes nouvelles.
Sa secrétaire m'annonce. Au vu du regard désolé de la demoiselle, j'ai compris que ce dernier refuse de me recevoir. Étant donné que je la suivais de près, j'ai fait le forcing pour rentrer dans le bureau. On s'est jaugé du regard lui et moi un bon moment avant que ce dernier ne s'adresse à sa secrétaire qui est une très jolie demoiselle en passant.
- Monsieur j'ai bien mentionné le fait que vous devriez m'attendre dehors.
- Et je suis là.
Elle se tourne vers lui apeurée. Aleksandar se metta debout.
- Merci Eden. Tu peux te retirer. Je vais m'occuper du monsieur. Ce n'est en rien de ta faute s'il est mal élevé. Je t'appelle si j'ai besoin de toi. Quoiqu'il arrive, reste disponible.
- D'accord monsieur.
La fameuse Eden se retire.
- Alors, que puis-je pour vous monsieur Lemarchal ?
- Vous ? Vous ne pouvez rien pour moi Aleksandar. Alors que moi si. Et vous allez très vite le comprendre.
Aleksandar de son sourire narquois qui ne le quitte pas me répond en s'asseyant :
- Dites-moi donc mon cher. J'attends de voir ça. J'adore les clowns.
- J'ai cru comprendre que votre femme en a eu marre de vous et elle s'est barrée. Enfin, c'est ce que la rumeur dit, je me moque de lui.
Il reste impassible en me fixant droit dans les yeux.
- Ça ne me dit toujours pas pourquoi vous croyez que vous pouvez m'être utile monsieur Lemarchal. Ça dit juste que quand vous étiez un enfant que vous aviez été un vilain garçon. Le genre qui écoute des rumeurs. Le genre qui revient toujours quand on le repousse. Vous avez raté votre vocation. Vous auriez dû être... journaliste par exemple.
- Je vais faire fit de ce que tu viens de dire Aleksandar.
Il sourit.
- Je peux te tutoyer, pas vrai ?
Aleksandar pencha légèrement la tête, un sourire en coin toujours accroché à ses lèvres. Son regard se fit plus perçant, presque moqueur, alors qu'il croisa les bras, s'installant un peu plus confortablement dans son fauteuil, tel un fauve dans sa tanière.
- Bien sûr que vous pouvez me tutoyer, répondis-je calmement. Mais ça ne changera rien au fait que vous restez un parasite. Un moustique qui croit pouvoir piquer un lion endormi. Le problème avec les moustiques, c'est qu'ils oublient qu'un seul coup de patte peut les réduire au silence.
Il marqua une pause, juste assez longue pour faire peser la tension, avant de reprendre plus froidement :
- Alors vas-y, Liam. Tutoyez-moi autant que vous voulez... pendant qu'il vous est encore permis de parler.
- Tu veux jouer au plus malin, Petrović ? Très bien. Tu sais, les lions, on peut aussi les écraser avec un dossier bien ficelé. Une belle enquête. Quelques écoutes bien placées. Des témoins apeurés qui finissent par parler. Des comptes offshores qui refont surface. Le genre de choses qui font tomber les lions... même les plus arrogants. Mais bon, c'est la douleur qui parle pour toi. Je reprends ce dont j'ai mentionné tantôt. Je peux t'aider à retrouver ton épouse. Vois-tu très cher Aleksandar, je suis la loi. Et j'ai les bras longs... très longs. Peu importe qui vous pensez être, j'ai plus de ressources que toi et ta bande de voyou. Je travaille avec le gouvernement... Je peux me permettre tellement de choses.
- Comme venir m'importuner ? Veuillez abréger s'il vous plaît.
J'aime le voir aussi impatient. De ce que j'ai compris, en dehors de sa sœur, c'est sa plus grande faiblesse. Et je vais me servir de lui. Et quand il sera à ma merci, je l'achèverai comme un vers de terre. Aussi simple que ça.
- Je me suis dit que je pourrais t'aider à retrouver ta femme. Et en retour...
- On retrouve ce qu'on a perdu. Et ma femme, je ne l'ai pas égarée.
- Cela aurait été mieux.
Je souris.
- Je l'aime bien votre femme. Elle a quand même osé quitter le grand Petrović. Non mais quel courage !
- ...
- Quoi ? Tu ne trouves rien à dire ?
- Ce que je vois c'est que vous fantasmez sur ma femme mon cher. Prenez garde à où vous mettez les pieds. C'est toujours MA femme. Terrain miné.
- Comment dois-je prendre cela ? Serais tu être en train de me menacer ?
- Liam LEMARCHAL, 34 ans, agent du MI6, pas de famille, fiancé à Léna LAND, si vraiment elle est ta fiancée. Je peux dire qu'à part elle, vous n'avez pas vraiment d'attache. Et pourtant, j'ai comme l'impression que cet acharnement contre ma personne est personnel. Vous bavez devant ma femme. Mais je ne pense pas que cela soit la raison. Les hommes comme vous ne se lance pas pour une cause perdue d'avance. Alors, dites-moi donc pour qui vouliez-vous autant me coffrez. Vous êtes venue réclamer vengeance pour qui ? Des collègues ? Des amis ? De la famille ? Une petite amie, épouse ou... fiancée ?
Rien que de penser à elle, je me crispe.
- Vu votre tête de constipé, on va dire que c'est pour une fiancée alors. J'ai fait quoi ? Je l'ai mise dans mon lit ? Elle était bonne ?
Je serre les poings sous la table.
- Je ne vis pas entourée de femme. Je ne sors pas avec la femme d'autrui. Ce n'est pas de ma femme qu'il s'agit quoique tu en baves carrément devant elle. Celle dont il est question, à ton regard je pourrais affirmer qu'elle n'est plus. Et pour une raison ou une autre, vous m'en tenez pour responsable. Alors, dites-moi ? C'était qui ? Je lui ai fait quoi ?
- Quoi ? Vous faites ça si souvent que vous avez des difficultés à vous en souvenir ?
Je reviens aux vous.
- Laissez-moi donc vous rafraîchir la mémoire dans ce cas.
Aleksandar entrelaça ses doigts posément et attend.
- Oh, mais faites donc, il dit voyant que je m'étais moi aussi arrêté. Ne me faites pas attendre s'il vous plaît. Voyez-vous, je suis un homme d'affaires des plus importants du pays. Mon temps s'évalue en milliards. Vous comprendrez que je n'ai pas de temps à perdre pour des inutilités.
Je m'arrange avant de commencer à parler pour me donner contenance. Il suit mes moindre faits et gestes en restant droit dans ses bottes. Je veux lui enlever ce sourire merdique qu'il me sert à profusion depuis tout à l'heure. Il pense peut-être avoir pris le dessus. Cela ne fait rien. Quand il va comprendre que cela n'a jamais été le cas je donnerai grand pour pouvoir immortaliser ce moment.
- L'histoire est bloquée quelques parts ? Vous ne dites plus rien.
- Pas du tout. Quand je dis, je fais.
- Alors ?
- Elle s'appelait Maria. Elle était jeune. Très jeune. Elle avait la vie devant elle et vous l'avez tuée. Et le pire, vous lui avez enlevé les deux yeux. Quand on m'a appelé pour l'identification du corps... Vous imaginez l'horreur ?
Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu'Aleksandar est déphasé.
- C'était il y a 3 ans.
- Vous aviez dit qu'elle était quoi pour vous déjà ? Votre sœur ? Votre...
- Ma fiancée du con.
Il prend son temps pour me regarder avant d'afficher un sourire narquois sur son visage en gardant ses iris encrées aux miens.
- Je connais une Maria. Disons que je me rappelle une personne pouvant correspondre à ce nom. Je ne sais pas si c'est la bonne personne. Bon, des Maria, il y en a plein dans cette ville.
Alors qu'il parlait, j'avais déjà activé mon magnétophone afin d'enregistrer ce qu'il allait dire. Il a sûrement dû anticiper mon geste car il était très prudent dans ses dires. Je ne m'attendais pas non plus à réussir du premier coup. Je n'avais pas un débutant en face non plus.
- J'ai connu une Maria. C'était le plan cul de mon beau-frère. On s'est croisé juste une fois à la sortie de chez lui. C'était juste le temps d'un bonjour. Mon beau-frère et elle, c'était régulier de ce que j'ai compris. Mais ça, c'est à lui que tu devrais le demander. Tu devrais savoir qu'entre nous deux ce n'est pas l'amour fou. Je ne connais pas sa vie.
Maria ! Ma Maria ! Un plan cul ! De cet homme ! Il doit dire ça sûrement pour me mettre en rogne. Ma Maria ne fréquente pas ce genre de personne. Elle et moi on a toujours eu des discussions à ce sujet. Je l'ai toujours senti à leur égard ? Le savait-elle ? Pourquoi elle m'aurait trompé avec ce type ? Quand aurait-elle pu avoir le temps pour tout ça ? On vivait tous les deux à Leicester. Si elle voyageait autant pour le retrouver, j'aurais été mis au courant.
La colère qui grandit en moi en cet instant peut à elle seule propulser mes yeux hors de leur orbitre. Je suis totalement décontenancé. A Aleksandar ça l'amuse de me voir perdre pied. Il continua comme si de rien était dans sa tirade. J'ai envie de lui fermer la gueule en l'entendant débiter tant d'horreur contre ma fiancée. Mais mon poing refuse d'obéir. Une partie de moi se dit qu'il se peut qu'il ait raison.
- Tais-toi, je grogne. Tu mens.
- Si tu es si sûr de toi, pourquoi tu t'agites alors ? Bah, elle n'était pas ce genre de fille. Tu la connaissais mieux que moi, donc garde ton calme, se moque-t-il. N'avais-tu pas confiance en elle ?
- Exactement. Donc tais toi.
- Bah voilà. Ce n'est donc pas d'elle que je parlais alors. Je ne connais pas ta fiancée. Lâche-moi donc la queue. Maintenant, si tu veux bien m'excuser. J'ai du boulot mon cher.
La conversation a basculé dans un autre registre. On se tutoie. C'est lui qui a commencé. Sûrement c'était dans le but d'une domination.
Je stoppe l'enregistrement, serre les poings pour ne pas le lui coller dans sa tronche. Ma main tremble mais je me fais violence sur moi-même pour ne pas céder.
- J'en ai vu des hommes dans ta posture, Liam. Des types pleins de certitudes, avec des ressources, des contacts, des galons sur l'épaule. Et tu sais quoi ? Tous avaient oublié un détail essentiel. Le terrain sur lequel ils s'aventuraient n'était pas le leur. Manchester, c'est chez moi. Chaque ruelle, chaque bâtiment, chaque silence... ils me parlent. Et toi ? Tu viens ici avec ton costume de fonctionnaire et tes rêves de vengeance.
Il se pencha un peu plus, baissant la voix, ses mots glissant comme du poison, lentement, méthodiquement.
- Tu crois que c'est ta fiancée que j'ai prise ? C'était juste une pute et Curtis était son client. Comment c'était entre eux ? Je ne saurais te le dire. Peut-être que c'est elle qui l'a voulu. Peut-être qu'elle t'a menti. Peut-être qu'elle a vu en lui ce que tu ne seras jamais. Un homme.
Il redressa légèrement la tête, scrutant les moindres mouvements sur mon visage.
- Ou peut-être qu'elle cherchait juste à fuir quelqu'un comme toi. Quelqu'un de froid, trop propre, trop prévisible. Le genre d'homme qu'on supporte pour un temps... mais qu'on oublie vite, une fois qu'on goûte au vrai danger. Au frisson. A la passion.
Le regard d'Aleksandar se fit plus noir, presque animal.
- Tu devrais te poser une seule question, Liam : est-ce que tu es ici pour la venger... ou pour essayer de comprendre pourquoi elle t'a tourné le dos ?
Un rire bref, sans joie, s'échappa de ses lèvres.
- Parce que peu importe ta réponse, je te garantis une chose : tu n'es pas prêt à entendre la vérité.
Mon poing se crispa lentement contre ma cuisse, mes ongles s'enfonçant dans ma paume. Je vacillais entre rage et douleur, mais mon regard restait planté dans celui d'Aleksandar, comme si je pouvais l'abattre par la seule force de ma haine à son égard.
- Tu parles bien, Petrović. Trop bien. C'est ça, ton truc ? Tu retournes tout, t'emballes tes vérités dans du venin et tu les balances comme des confettis ? Et tu prends ton pied.
Aleksandar esquissa un sourire, les mains toujours dans les poches.
- Je ne fais que mettre en lumière ce que tu refuses de voir.
Je m'avançai d'un pas, plus près que la raison ne me l'aurait conseillé.
- Maria n'était pas comme ça. Elle n'aurait jamais...
- Mais elle l'a fait, il me coupa. Elle l'a fait, Liam. Et t'es là, devant moi, incapable d'admettre que tu ne la connaissais pas aussi bien que tu le croyais. Parce qu'elle a eu une vie sans toi. Parce qu'elle a souri à d'autres, pleuré pour d'autres, frissonné dans d'autres bras. Peut-être même dans les miens. Peut-être pas. Mais ce qui est sûr...
Il marqua une pause, approcha son visage à quelques centimètres du mien.
- ...c'est qu'elle n'est plus là. Et que toi, tu tournes encore autour de sa tombe comme un chien errant qui ne comprend pas pourquoi sa niche est vide.
Je le poussai violemment d'une main contre le torse, mais Aleksandar recula à peine, imperturbable.
- Tu veux m'atteindre ? reprit-il d'un ton bas. T'en crèves d'envie, pas vrai ? Tu crois que si tu me fais tomber, t'auras ta paix. Que t'entendras plus sa voix dans ta tête la nuit. Mais tu fais fausse route. Tu la verras toujours. Pas parce que je suis responsable. Parce qu'au fond, t'as jamais réussi à la retenir.
Silence.
- Dis-moi, Liam. Est-ce que t'es venu ici pour la justice ? Ou juste pour punir celui qui a enlevé de ton chemin une obstacle que t'as jamais eu le courage de voir comme telle.
Je serre les dents. Aucun mot ne sort. Juste un souffle brûlant d'orgueil blessé.
- Tu veux ma chute ? Essaye. Mais fais-le avec autre chose que ton chagrin. Parce que là, tu n'es qu'un homme brisé... Et les hommes brisés, je les enterre.
C'était plus que je pouvais supporter. Je finis par quitter son bureau fou de rage.
- A la prochaine monsieur l'agent, dit-il alors que j'étais au pas de la porte.
J'arrive au bureau agacé par cet échec. Je le tenais. Ou du moins, je le pensais. Je ferme derrière moi dès que je passe la porte.
- Ma femme avec ce Curtis ! Elle a été tuée telle une vulgaire chose car elle se faisait soulever par ce chien. Elle, ce n'était qu'un simple message d'un gang à un autre.
Cette femme que j'ai tant chérie la mémoire. C'est Léna qui avait raison finalement. Elle ne me méritait pas.
