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Partie 6
Tantie lâche ses paquets et met sa main sur son coeur. Elle regarde les personnes présentes au salon avant de se mettre à sourire. Tonton vient la prendre dans ses bras.
- Vous n’êtes pas du tout gentils. Vous vouliez me faire faire une crise cardiaque ou quoi ?
- Juste une surprise pour célébrer ta promotion. Je suis fier de toi ma chérie.
Elle le regarde avec tendresse et lui fait un bisou sur la bouche. Je regarde discrètement tantie Josy et souris. Elle aimerait bien recevoir le bisou à la place de tantie Ghislaine. Cette dernière se dirige vers ses invités. Elle embrasse les uns, remercie les autres. Tonton me demande d’apporter les plats. Je commence à servir après qu’il ait fait la bénédiction. Je m’occupe des invités, veille à ce qu’aucune assiette ou verre des invités ne soit vide.
- Dotou !
- Oui tantie. Dis-je en m’avançant vers elle.
- Où tu as eu ces habits ? Me demande-t-elle en laissant traîner ses yeux sur ma belle jupe volante et mon chemisier.
- C’est tonton qui m’a donné, tantie. Il a dit que je devais être présentable devant les invités.
Elle fait une moue sceptique et me demande d’aller faire coucher Emeline. Quand je reviens au salon, tantie Josy et tantie Ghislaine sont engagées dans une discussion ponctuée d’éclats de rire. Je me demande bien comment tantie réagira si elle apprend que tonton donne aussi des bisous à son amie Josy. Va-t-elle pleurer ? J’aimerais bien la voir pleurer et souffrir mais je ne dirai rien. Je perdrai tous mes avantages actuels sinon.
Les invités prennent un à un congé de leurs hôtes. Je n’ai pas vu partir tantie Josy mais ce n’est pas grave. Elle reviendra sûrement dans la semaine pour voir tantie ou tonton. J’ai hâte qu’elle revienne. Il faudrait que je pense à ce que je pourrais lui demander pour acheter mon silence.
Les invités enfin partis, je m’attelle à ce qu’il n’ y ait aucune trace de leur passage au salon et vais faire la vaisselle. Tantie m’apporte ma croûte de riz que je prends soin de jeter à la poubelle. Je vais dans le débarras prendre mon plat de calalou dahoméen fait par le traiteur. C’est tantie Josy qui m’a servie, elle m’a aussi donné une bouteille de Coca Cola. Je vais me régaler ce soir.
Je soupire d’aise en mâchant les morceaux de viande. Fini les jours où je devais me contenter des restes ou dormais le ventre vide. Grâce à Akuègnon et tonton, je mange matin, midi et soir et avec tantie Josy, je pourrais même avoir un goûter. Je suis trop contente de moi.
J’ai compris une chose : dans cette vie, il faut se servir des autres pour avoir ce que l’on veut et ne pas avoir de remords car à la première occasion, ceux là ne se gêneront pas pour se servir de nous. Je vais être encore plus attentive à tout ce qui se passe dans la maison. Aucune information qui peut être source de profit ne doit m’échapper.
Je nettoie rapidement mon assiette, jette la bouteille de coca. Je vais tremper les habits des enfants, nettoie la cuisine avant de rejoindre la chambre de ma petite Emeline. Je vais encore avoir une nuit de sommeil paisible, fraîche et loin des moustiques. C’est un luxe dont je ne me lasserai pas.
Un Mois plus tard
Je vide l’eau des bassines en grimaçant de douleur. J’ai mal au ventre depuis que je me suis levée ce matin. Tonton est déjà parti au travail. La seule personne qui peut me trouver des médicaments c’est mon cher Akuègnon. Ce dernier commence à se plaindre quand j’arrive à son niveau.
- Qu’est ce qu’il y a encore, Dotou ! Je t’ai donné de l’argent ce matin, non ?
- Oui. Je viens te demander si tu peux me trouver des médicaments s’il te plaît. J’ai très mal au ventre depuis ce matin et la douleur s’intensifie.
Il regarde mon visage déformé par la douleur et s’en va vers son studio. Il revient avec deux comprimés effervescents. Je le remercie et me dirige à toute hâte à la cuisine pour en prendre un. La douleur s’estompe quand je commence à préparer le déjeuner.
Je vais chercher les enfants à midi et les ramène à l’école. Je déjeune à mon retour. J’évite de manger quand les enfants sont là. Ils pourraient le dire à leur mère surtout fofo Yann. Je n’ai pas oublié comment il a été méchant avec moi et si j’ai l’occasion un jour de lui rendre la pareille, je n’hésiterai pas.
La vaisselle terminée, les meubles du salon dépoussiérés, je vais faire le lit des enfants. Je suis en train de balayer la chambre de fofo Yann et d’Hermann quand j’ai l’impression que je suis en train d’uriner. Je me redresse automatiquement et cours vers ma douche. Je lâche un cri quand je vois la grosse tâche rouge sur mon slip. Je saigne ! Je regarde attentivement pour voir où j’ai pu me blesser. La blessure n’est pas extérieure. Je commence à m’alarmer. Il y a quelque chose dans mon corps qui ne va pas. Je suis malade. J’espère que ce n’est pas une maladie contagieuse sinon tantie va me tuer. Je mets des feuilles de papier hygiénique pour que ça me serve de compresse et vais au salon. Je compose le numéro de tonton Alindé. Il décroche à la première sonnerie.
- Allô ! Bonjour tonton… Je commence à pleurer.
-Qu’est-ce qu’il y a Dotou ?
-Je suis malade, tonton. Je saigne et la blessure n’est pas visible.
-Comment ça elle n’est pas visible ?
- Tonton c’est…
-C’est quoi ?
J’ai honte de lui dire que c’est mon petit trou mais si je ne lui dis pas il ne pourra pas m’aider.
- C’est mon petit trou tonton, ce qui me permet de faire pipi.
- D’accord. Je vais appeler tantie Josy.
- Il faut qu’elle vienne avant que tantie n’arrive. Il ne faut pas que tantie sache que je saigne sinon elle va me tuer.
-Calme toi Dotou. Tantie Josy viendra très vite.
Je raccroche et vais encore aux toilettes. Oh là là ! Ça ne va pas ! Je n’arrête pas de saigner. Qu’est-ce qui m’arrive ?
Je finis de faire la chambre de Christine et Charline, vais nettoyer la terrasse. Je suis au nettoyage du salon quand on sonne au portail. Je vais voir qui c’est et suis soulagée de découvrir tantie Josy. Je cours vers elle. Je la salue et lui dis que je saigne abondamment du petit trou. Nous nous rendons dans ma douche. Elle me demande de jeter les feuilles de papier hygiénique et me tend une sorte de couche. Elle me dit que je suis une femme maintenant, que je viens d’avoir mes règles et qu’il n’ y a rien d’anormal. Je dois seulement mettre la couche chaque jour jusqu’à ce que le sang s’arrête. Elle me dit aussi que je les aurai chaque mois, que je dois noter leur apparition à chaque fois et que je dois faire attention aux garçons maintenant.
- Faire attention aux garçons. Ça veut dire quoi ?
- Ne t’approche pas d’eux. Ils ne doivent pas te voir nue. Ils peuvent te mettre enceinte maintenant que tu es une femme. Tu as compris ?
- Oui tantie. Merci.
Elle me donne un petit calendrier et de l’argent pour que j’aille acheter un paquet de serviette périodique.
Je vais acheter les serviettes, rassurée. Je ne suis pas malade. Plus de peur que de mal. Je vais dans la chambre d’Emeline quand je reviens. Je me déshabille et me mire. Tantie Josy dit que je suis une femme maintenant. C’est vrai que mon corps a changé: j’ai des seins et des poils. Tantie dit que je ne dois pas m’approcher des garçons mais quel garçon s’intéresserait à moi ?
Deux Mois plus tard
Je me précipite sur le réveil pour l’arrêter et ne pas réveiller Emeline qui dort à poings fermés. Je lui fais un bisou sur la joue puis je quitte la chambre. Je vais prendre ma douche, m’habille et récupère la liste du marché que tantie a déposé hier sur la table. Elle est rentrée de voyage hier soir et elle est trop épuisée pour faire le marché ce matin. Je le ferai donc à sa place. Pour la première fois, j’irai au marché Dantokpa. J’ai souvent entendu parler de ce marché quand j’étais à Kaboua. Il parait que de nombreux commerçants d'Afrique de l'Ouest et Centrale se retrouvent sur ce grand marché pour y faire des affaires.
Je plie soigneusement les billets dans mon pagne avant de quitter la maison. Je m’arrête à l’étal de la vendeuse de pain et m’achète un quart de pain avec des haricots et de la viande. L’estomac rempli, je hèle un zem qui me laisse au troisième pont et je marche pour rejoindre le marché.
Je sors ma liste et me dirige vers les vendeurs de produits vivriers. Je respecte scrupuleusement les quantités indiquées par tantie. Elle ne va pas se gêner de me taper dessus si j’achète un kilo en plus ou en moins. J’essaie d’avoir des remises sur certaines denrées. J’arrive à avoir 300 francs de remise sur le doyiwè et 400 francs sur les bananes. J’espère avoir d’autres remises sur les autres denrées qu’il me reste à acheter. Je ne le fais pas pour tantie. Oh non ! Je le fais pour moi. Les remises entreront dans ma caisse qui est déjà assez fournie grâce aux largesses de tonton Alindé, tantie Josy et mon cher Akuègnon. Je me dépêche de rejoindre l’étal des ignames. Je dois être de retour à la maison avant dix heures. Je lâche un cri de surprise quand je reconnais le visage de la vendeuse. C’est…
-Dotou !
Les larmes nous échappent des yeux presqu’au même moment. L’instant d’après, son étal n’est plus un obstacle entre nous. Nous tombons dans les bras l’une de l’autre. Nous donnons libre cours à nos pleurs sans nous soucier du regard des passants. Je la serre fort contre moi. La dernière fois que je l’ai tenue dans mes bras, nous avions huit ans et elle venait me dire au revoir parce qu’elle partait à Cotonou vivre chez sa tante. Ça me fait du bien de la serrer dans mes bras. C’est comme si j’avais huit ans à nouveau, comme si je retrouvais cette période où j’avais une famille et étais heureuse.
Nous nous détachons l’une de l’autre de longues minutes plus tard. Nous nous regardons pendant de longues minutes sans rien dire. Nous avons beaucoup de choses à nous raconter mais nous ne savons par où commencer.
- Elle est où la vendeuse ?
-C’est moi. Répond Odile en séchant ses larmes.
Elle retourne derrière son étal et s’occupe de sa cliente. Elle me demande de rejoindre son banc une fois sa cliente partie.
-Arrête de pleurer Odile. Tu vas me faire encore pleurer.
- Je suis trop contente de te voir Dotou. Ça fait si longtemps ! Pourquoi tu as coupé tes cheveux ?
- C’est ma tantie qui me les a coupés.
- Ne sois pas triste. Tu es toujours jolie. Tu n’as pas beaucoup changé.
-Comment ça je n’ai pas changé ? Regarde ma poitrine.
-Tes petits seins, là ! Tu as vu pour moi ?
Nous éclatons de rire.
- Ça fait combien de temps que tu es à Cotonou ?
-J’ai quitté Kaboua quatre mois après toi.
-Ah d’accord. Tu vends ou tu vas à l’école ?
-Je suis la servante d’une famille.
Je lui raconte mes débuts chez les Alindé et lui montre mes cicatrices. Mon regard s’attriste quand elle me montre les siennes. Je ne suis pas la seule à souffrir. J’ai encore plus mal pour elle parce que c’est sa tante qui lui fait subir ces choses, la cousine germaine de son papa.
- Elle me frappe essentiellement quand je n’ai pas assez vendu alors je fais tout pour attirer un maximum de clients. Je vends principalement au marché mais il m’arrive de m’occuper des tâches domestiques.
- Tu te lèves aussi à cinq heures aussi ?
- J’ai intérêt sinon c’est l’eau froide en plein visage.
- Et tu manges à ta faim ?
- Quand je suis arrivée chez tantie, je mangeais les restes mais deux fois par jour contrairement à toi. J’ai quelques astuces maintenant pour manger quand je veux. J’ajoute toujours deux cents ou trois cents sur le prix des ignames. J’aime bien les clientes qui ne marchandent jamais. Grâce à elles, je me fais des sous et peux m’acheter de bons repas. Pourquoi tu grimaces ?
- Je comptais négocier le prix des ignames et me faire des sous également.
- Ah non ! Tu vas payer au prix normal. Ma tante dit toujours qu’en affaires,on ne considère pas les liens de famille ou d’amitié.
- Méchante ! Ta famille ne te manque pas ? Ajouté-je après quelques minutes de silence.
- Un peu mais ce qui me manque le plus c’est l’école. Nous serions actuellement en sixième si on n’avait pas arrêté...
- Et on aurait appris l’anglais. J’ai tellement envie d’apprendre quand je vois Christine faire ses exercices ou la parler. Dis-je avec un air triste
- Yeba a eu plus de chance que nous. Elle continue à aller à l’école.
-Comment tu sais ?
-Je l’ai croisée ici il y a deux mois. Elle accompagnait sa tante au marché. Sa tante est très gentille. Elle nous a laissé discuter et elle m’a même donné cinq cents pour mon déjeuner.Elle est en sixième au collège …. Sa tante s’occupe très bien d’elle. Elle portait une jolie robe et était bien coiffée ce jour là.
-Elle doit avoir les mains toute lisses.
-Pourquoi ?
- On ne lui attribue pas des corvées, non ?
-Pas comme les nôtres. Elle participe aux tâches domestiques mais sa tante veille à ce qu’elle passe le maximum de temps à étudier. Yeba est tombée dans une bonne famille.
Je souris. Je suis contente pour elle mais n’empêche que j’ai un pincement au coeur. J’aurais aimé être à sa place. Yeba deviendra quelqu’un un jour et moi , que deviendrais-je ? Est-ce qu’une servante comme moi a un avenir ? Je ne le pense pas.
- Odile, il faut que je continue mon marché. Je dois rentrer à la maison avant dix heures.
- Tu veux combien de kilos d’igname ?
Elle me sert , me rend ma monnaie avant de me prendre dans ses bras.
- J’espère que tantie me laissera faire le marché maintenant. Je pourrai passer te voir. Salue Yeba si tu as l’occasion de la voir à nouveau.
Elle acquiesce. Nous nous souhaitons un bon courage avant de nous quitter. Il est dix heures dix quand je rentre à la maison. Tantie m’accueille avec une bonne taloche.
- Tu étais où ? Je ne t’ai pas dit de rentrer avant dix heures ?
- Le marché était bondé tantie.
-Et ?
-Pardon tantie. Je ne recommencerai plus.
- Tchrrr. Fais-moi les comptes avant d’aller laver Emeline.
Je fais les comptes avec tantie. Elle me fouille mes poches pour voir si je n’ai pas subtilisé la monnaie. Heureusement pour moi, elle ne fouille pas mon slip. C’est là où j’ai rangé le billet de 1000 francs que j’ai eu grâce aux remises. L’inspection terminée, je vais ranger les courses et laver ma petite chérie. J’éclate de rire quand je l’enveloppe dans son drap de bain. Elle vient de me demander si elle peut me laver aussi. Elle est trop mignonne ma petite Emeline et j’espère qu’elle ne sera ni comme sa soeur Christine ni comme sa mère. Ça me ferait trop de la peine. Je l’installe devant ses dessins animés et vais cuisiner. Une longue journée de dur labeur m’attend.
** Quatre jours plus tard **
Je pose le seau d’eau dans la douche et vais frapper à la porte de fofo Yann. Je frapper à plusieurs reprises avant qu’il ne daigne ouvrir la porte.
- Fofo…
-Désolé d’avoir tardé avant d’ouvrir. J’avais les écouteurs dans les oreilles.
J’ouvre grand les yeux. C’est fofo Yann qui m’a dit désolé ? Il… Eh ! Dotou ! Tu as autre chose à faire que d’analyser le comportement de fofo Yann. Pensai-je
- Fofo Yann, ton eau est prête. Tu peux aller te laver.
-Merci. Dit-il d’une petite voix.
Je quitte sa chambre et vais retrouver mes assiettes à laver. A l’heure du dîner, je vais encore frapper à sa porte. Il me demande d’entrer après le premier coup donné à la porte. Il est étendu sur son lit et me donne dos.
-Fofo Yann tantie dit de venir manger.
-Dis-lui que je n’ai pas faim.
- Fofo Yann, viens le lui dire s’il te plaît. Elle va penser que…
Il vient de se tourner vers moi et les larmes coulent sur son visage. Oh ! Qu’est-ce qui lui arrive ?
