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Partie 5
18 Mois plus tard
Je finis d’attacher les gâteaux que tonton va déposer au bureau de tantie pour la vente, je nettoie ses chaussures et vais m’occuper de ma petite Emeline qui rentre aujourd’hui à la maternelle. Je lui ai fait de belles tresses. Je l’emmène la douche puis à table où sont déjà installés ses frères et sœurs. Christine a rejoint Yann au Collège Montaigne, tandis que Herman et Charline sont toujours à Notre Dame. Je supervise le déjeuner et bientôt l’heure de partir à l’école arrive. J’accompagne les plus jeunes. Emeline est en pleurs car c’est son premier jour d’école, elle me fait promettre de revenir la chercher.
Je rentre à la maison le cœur en joie. Tantie a voyagé, pour le travail. Je suis seule à la maison avec les enfants et tonton. Je pense déjà au gari que je vais mettre dans l’eau ce matin pour mon petit déjeuner. J’ai retenu quelques monnaies sur l’argent du marché, je m’arrête pour acheter du citron et des bâtonnets d’arachide (azin-klaklu), je vais mettre de la glace dedans hummmm... Je m’en délecte déjà.
La première chose que je constate en arrivant est que Akuègnon n’est pas à son poste. Je ris à l’intérieur de moi car il profite bien de l’absence de tantie pour faire ses choses à côté. Il ne me voit pas, et je ne le vois pas. Nous avons cet accord là depuis le jour où je l’ai surpris en train de se servir discrètement dans la réserve de charbon de tantie. Je rentre dans la maison, je vois la voiture de tonton. Je suis contrariée, il devait être parti au bureau. Je me faufile à l’arrière de la maison pour cacher mon citron et mes bâtonnets d’arachide. Je rentre dans la cuisine quand des bruits suspects attirent mon attention... Une voix de femme qui rigole. Pendant un instant, mon coeur s’arrête de battre. Tantie ne devait pas rentrer avant la fin du mois. Je suis déçue et déjà triste car je vais recommencer à souffrir.
J’écoute attentivement, cette voix est différente. Je me risque à jeter un oeil au salon... Ohhh! Surprise. Tonton Alindé est assis en culotte sur le canapé et une femme est assise sur ses jambes. Elle est presque nue, et des habits traînent partout. Je suis intriguée par ce qui se passe. Elle a l’air de se balancer sur tonton qui a les yeux fermés et pousse des grognements. Je peux voir son visage tandis qu’elle je ne vois que son dos et ses fesses. Bientôt elle se met à crier fort et tonton aussi, je suis ébahie par ce que je vois et tout d’un coup tonton ouvre les yeux et nos regards se croisent.
Je rentre dans la cuisine et fonce vers le débarras. J’ai peur, je suis sûre que je ne devais pas voir ce que j’ai vu. C’est mal, si c’était bien, tonton le ferait aussi avec tantie, là au salon devant toute la famille. Mais la curiosité l’emporte, je reviens discrètement dans la cuisine, et j’écoute. Ils murmurent :
- Tu es sûr?
- Puisque je te le dis, habille-toi vite!
- Mais tu penses qu’elle le dira à Ghislaine?
- Olala, ce n’est pas le moment de trop parler! Habille toi! Je te raccompagne, on a mis trop de temps aujourd’hui!
- Je sais mais je devais attendre que mon mari parte de la maison avant de sortir!
- Tu n’as rien oublié?
- Non.
- Viens, suis moi.
Cette voix. Je la reconnaîtrais entre mille, la voix de Tantie Josy, tantie Josy celle qui m’a ramenée ici le jour où j’ai tenté de rejoindre mes parents, l’amie de Tantie. Je les entends sortir du salon, et j’entends comme on ouvre le portail. Une idée germe dans mon esprit. Je prends mon tabouret et je vais m’asseoir dans le garage avec un plateau de haricot que je fais mine de trier. Tonton revient, quand nos yeux se rencontrent, il baisse le regard et sans un mot il rentre précipitamment dans la maison. 5 minutes après il démarre sa voiture et il part au bureau.
Je viens de comprendre que de la même manière que Tantie ne doit pas savoir que je mange, que Akuègnon se sert dans le charbon de la maison, elle ne doit jamais apprendre que Tonton et tantie Josy se sont mis nus tous les deux dans son salon... Je souris.
Après son départ, je me résous à manger mon gari et à faire mes tâches en réfléchissant. Je balaie, je nettoie, j’apprête le déjeuner de ce midi pour les enfants, et sors la viande de fofo Yann car lui rentrera à la maison à 16H. A 11H30, je récupère ma petite Emeline, qui s’endort dans mes bras. Heureusement qu’il n’y a pas école pour elle l’après-midi. Charline et Hermann repartis à l’école, je reste à finir mes tâches. jJe fais le goûter de Yann et Christine et je prépare le repas du soir. Je réfléchis à comment tirer profit de l’information que je détiens sur tonton.
Il rentre tôt et s’occupe des enfants. Après le dîner, je débarrasse la table et fais la vaisselle pendant que la famille regarde la télé. Lorsque les enfants vont au lit. Il vient me trouver dans la cuisine.
- Dotou, tu as mangé?
Je baisse les yeux, des larmes se forment au coin de mes yeux (oui je sais maintenant pleurer sur commande).
-Non tonton.
- Tu peux manger le reste du riz et de la viande.
- Non tonton, tantie n’aimera pas ça et je serai punie.
- Dotou, tantie n’est pas obligée de tout savoir tu sais?
- Non tonton, tantie doit tout savoir sinon, si elle l’apprend je serai sévèrement punie. Elle m’a dit que je dois lui dire tout ce qui se passe dans sa maison.
- Dotou, quelle âge as-tu cette année?
- 12 ans tonton.
- Tu es presqu’une jeune femme maintenant. Cela fait combien de temps que tu es avec nous ?
- 3 ans tonton
- Tu es une jeune fille bien, j’ai tout de suite remarqué que tu avais de grandes qualités, le respect, la docilité, la discrétion… Tu me suis ?
- Tonton je te suis, mais si tantie apprend que je lui cache des choses, elle va me punir et PER-SON-NE ne viendra me secourir.
- Non Dotou, il ne t’arrivera rien. Je te propose une chose.
- Quelle chose tonton ?
- Je ferais en sorte que tu sois un peu plus heureuse ici dans cette maison avec nous, sans que tantie ne le sache.
Je lève des yeux innocents vers lui.
- Mais pourquoi tonton ?
- Simplement toi et moi ne sommes pas heureux. Moi j’ai déjà trouvé mon bonheur, mais si je le dis à tantie elle sera malheureuse et je ne veux pas la faire souffrir. Toi, tu n’as pas la possibilité de trouver ton bonheur toute seule. Alors je t’aide, parce que je sais ce que cela signifie être malheureux.
- Mais je ne dois rien dire à Tantie ?
- Tu ne dois rien dire à Tantie, marché conclu ?
- D’accord tonton.
Tonton Alindé sort de la cuisine en me disant de ne pas oublier de manger. Je jubile intérieurement, car contrairement à la fausse gentillesse de fofo Yann, tonton sait bien que si je dis à Tantie ce que j’ai vu ça va faire une vraie guerre. Je réalise que j’ai un grand pouvoir entre les mains. Je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir soutirer à Tantie Josy. Je souris.
Les dix derniers jours d’absence de tantie se passent comme sur un nuage. Le lendemain de notre discussion, tonton m’a demandé d’aménager dans la chambre d’Emeline car elle pleure la nuit. Je place désormais ma natte au pied de son lit pour dormir. La première nuit j’ai failli être en retard au réveil, car la chambre était bien fraîche avec le climatiseur et il n’y avait pas de moustique. Pour éviter de prendre des risques, le soir avant d’aller au lit je mets la table du petit déjeuner. Et j’avance dans mes travaux du matin, je sors les habits d’école des enfants et je cire toutes leurs chaussures.
Tonton m’a demandé la chose que je regrettais le plus depuis que j’étais chez eux, j’ai répondu l’école. Il m’a dit qu’il ferait tout pour que les choses changent. 3 ou 4 fois il est sorti le soir quand les enfants étaient déjà couchés. Je le soupçonne d’être allé rejoindre Tantie Josy. En rentrant à chaque fois il m’a rapporté de la nourriture, des ailerons de dinde avec du Guy (akassa) et du Moka. Je n’avais jamais mangé autant de viande de toute ma vie.
***
Tantie est arrivée ce soir de France. Avant d’aller la chercher à l’aéroport à 22 heures tonton et moi avons eu une dernière conversation sur comment nous allons continuer nos petites affaires. Je suis assise dans le garage sur un tabouret et j'attends. Akuègnon est à son poste et bondit pour ouvrir le portail dès qu’il entend le klaxon de la voiture. Je me lève et ajuste mon pagne. Je viens à côté de la voiture, dès qu’elle descend je la salue en m’inclinant. C’est à peine si elle me jette un regard. Je cours servir un rafraîchissement au salon et pendant qu’il s’installe je récupère les valises que je porte dans la chambre. Je mets de l’eau chaude à la douche et dresse la table pour le dîner.
J’attends patiemment qu’elle finisse, et je viens au salon lui demander si je peux défaire ses valises pour laver le linge sale dès demain matin à 5 heures. Elle m’indique une valise que je dois défaire et m’interdit bien de toucher le reste. Je m’exécute rapidement et je ressors pour déposer le tout dans la buanderie, je repars pour ranger la valise vide et mettre la climatisation lorsque j’entends :
-Comment va Emeline ? Est-ce qu’elle a pu dormir seule en mon absence ?
-Oulala, elle a passé tout son temps à pleurer la nuit ! Ta fille là est trop attachée à toi !
-Ah bon ? Et comment tu as géré ça ?
-J’ai demandé à Dotou de dormir par terre à côté d’elle.
Ça suffit, tout est prêt dans la chambre. Ils ont fini de manger, tantie m’appelle. J’accours au salon. Avant de commencer à débarrasser, je lui demande :
-Tantie je mets Emeline dans votre chambre ?
Elle jette un regard très appuyé à tonton avant de répondre :
-Non continue de dormir avec elle. J’espère que tu te laves et que tu ne vas pas remplir sa chambre avec ta saleté là hein !
Je ne dis rien, ce n’est pas utile, l’essentiel est que je ne retourne pas dans le débarras.
Tonton et elle regardent la télé pendant que je finis mes tâches. Je viens mettre la table du petit-déjeuner, tantie m’interpelle :
-Qu’est ce que tu fais là ?
-Tantie c’est la table du petit déjeuner.
-Tu mets la table la nuit maintenant ?
-Fofo Yann a souvent cours très tôt le matin. Il ne faut pas que je le fasse attendre.
Elle ne dit rien mais je sens que j’ai marqué un point. J’ai changé. Beaucoup changé, je vole la nourriture car je ne veux plus souffrir de la faim. Je menace Akuègnon qui vole le charbon, pour qu’il me donne des pièces pour m’acheter du haricot chez la dame qui passe les matins. Et maintenant, tonton Alindé est devenu mon complice pour ne pas que je dise à tantie ce qui s’est passé avec tantie Josy. Je ne suis plus la petite Dotou qui faisait tout spontanément et naturellement, les bonnes comme les moins bonnes. Aujourd’hui je me méfie de tout le monde sauf d’Emeline, toutes les bonnes choses que je fais sont calculées pour alléger ma souffrance, et je cache toutes les mauvaises choses…
***
On prépare une fête à la maison, apparemment tantie a eu une promotion au travail. Elle va être chef de département, c’est ce que tonton a dit. Il a aussi dit que c’est une surprise, et c’est tata Josy qui va tout organiser. Je ne sais pas encore ce que je vais lui soutirer mais, c’est l’occasion que j’attendais.
Ce matin j’ai tout rangé et j’ai accompagné les enfants à l’école. A mon retour tantie est encore dans sa chambre. Pour la fête je dois brosser les gravillons de la terrasse pour que toute la maison brille. Je m’active à la tâche quand tantie sort de sa chambre, la moitié de la terrasse est déjà nettoyée et brille de mille feux. En passant tantie m’applique une taloche sur le crâne :
- C’est la maison de qui que tu laisses pourrir comme ça?
- Pardon tantie, je vais tout nettoyer aujourd’hui!
- Tu as intérêt!
Tantie n’est jamais contente et à force je suis habituée. Donc je ne me justifie plus, je montre une docilité apparente. C’est tonton qui m’a appris ça, ne jamais contester à haute voix, toujours s’humilier. Il m’a dit que la dignité se conserve dans le coeur. Aujourd’hui je ne sens pas la douleur tant mes pensées sont focalisées sur Tantie Josy. Elle n’est pas comme tonton, elle est méchante et fausse. Elle fait semblant d’être amie avec tantie, pourtant, elle est contre elle.
On sonne au portail pendant que je finis de ranger les outils que j’ai utilisés pour nettoyer la terrasse. Je sais que c’est elle. Je fais semblant d’être très malade. Je marche difficilement vers elle, pourtant je vois qu’elle a les mains chargées de paquets. Elle me regarde, mais n’ose pas m’interpeller. En arrivant à son niveau, je prends les paquets et je laisse tomber le plus lourd qui contient, des bouteilles de vin. Le choc brise une des bouteilles. Elle veut me frapper et j’éclate bruyamment en sanglots :
- Tantie Josy, toi aussi tu veux me frapper, alors que à cause de toi tantie ne me donne plus à manger depuis 3 jours, parce qu’elle dit que les fauteuils sentent un parfum de femmes, elle m’a battue pour que je lui dise qui était avec tonton, jusqu’à ce que je sois malade, et toi aussi tu veux me frapper! snif, snif! Frappe moi, c’est mieux ce soir je dirai tout à tantie. Snif snif!
Akuégnon attiré par le bruit accourt à la terrasse, tantie josy a l’air gêné, elle ne veut pas qu’il y ait des gens pour entendre mes propos!
- Dotou, C’est bon calme toi! Tu es malade? Tu as mal où? Je vais t’acheter des médicaments. Ne pleure plus, c’est déjà fini...
Elle finit par ramasser elle même les paquets, aller les poser à la cuisine sous le regard ébahi du gardien. Je suis toujours en position foetale sur le sol, à pleurnicher. Elle vient m’aider à me relever et me promet de revenir bien vite avec des médicaments pour moi.
Dix minutes plus tard, elle me ramène du doliprane et de la vitamine C. Elle a aussi acheté du riz avec de la viande. Je prends les médicaments et je mange devant elle. Quand j’ai fini nous commençons ensemble les préparatifs de la fête. Elle est prévenante avec moi et nous finissons très vite. L’après midi quand les enfants sont repartis à l’école nous installons les chaises et le traiteur vient avec la nourriture.
Quand vient 19 heures, tout le monde est excité, les invités commencent à arriver et tonton les installe. Tantie Josy arrive et m’appelle pour me remettre un sachet :
- Dotou, tiens. Je suppose que tu n’as pas de vêtement décent. Va mettre ça, tu ne peux pas servir les invités en étant habillé comme ça.
- Non! Tantie va se fâcher.
- Elle le serait encore plus si tu l’humiliais en te présentant devant ses invités avec ton tee-shirt trop grand et déchiré au col.
Je réfléchis vite, j’hésite, elle le remarque et elle semble un peu agacée. Tonton arrive, elle lui résume la situation et il me dit :
- Ne t’inquiète pas, je lui dirais que c’est moi qui t’ai demandé de porter ces vêtements, ok ? Va vite.
Je vais dans le débarras et je constate qu’elle m’a pris une jolie jupe volante fleurie et une chemise blanche. C’est très simple mais c’est de loin les plus beaux vêtements que je n’ai jamais eus. Un petit sourire danse sur mon visage, je sors en courant pour dire et là je tombe sur tonton et tantie qui mélangent leur salive... Ils s’arrêtent tout gênés devant moi et chacun part de son côté...
Tout est fin près, il est presque 20 heures, tantie est en route. On a éteint toutes les lumières à part celle de la cour. Elle klaxonne, Akuégnon vient lui ouvrir, je sais qu’elle doit être fâchée que je ne sois pas venue à sa rencontre prendre ses affaires, mais je suis à la cuisine et je ne dois pas faire rater la fête. Elle arrive enfin au salon qui est dans le noir, allume la lumière et tout le monde crie :
“SURPRISE”.
