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Chapitre 2

Les premiers jours à la campagne étaient plus longs que Louisa ne l’avait imaginé. Le matin se levait lentement, comme si le monde autour d’elle voulait la forcer à ralentir. Dès son réveil, le chant des oiseaux et le murmure du vent dans les arbres semblaient l’envoyer dans un autre univers, loin des bruits assourdissants et des préoccupations de la ville. Mais elle, elle n’était pas prête à s’habituer à cette tranquillité. Elle avait été élevée dans un monde où chaque minute comptait, où tout devait avancer à une vitesse effrénée. Ici, il n’y avait ni urgence, ni pression. Il n’y avait que des journées qui s’étiraient, lentement, comme un fil d’attente interminable.

Odile la réveillait chaque matin avec un sourire, une tasse de thé qu’elle déposait sur la table de la cuisine, et un regard empli de cette sagesse tranquille qu’elle semblait dégager à chaque geste. « Aujourd’hui, tu vas m’aider avec le jardin, » disait-elle souvent, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Louisa, tout d’abord réticente, avait appris à ne pas répondre à ses invitations avec trop de résistance. Elle n’avait pas vraiment le choix de toute façon.

Au début, elle faisait semblant de s’intéresser, cherchant à comprendre comment cultiver les légumes, à manier la houe ou à récolter les fruits. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi il était si important de cultiver soi-même son propre pain, d’attendre la récolte avec patience, et de ne jamais se hâter. Tout cela lui paraissait si… primitif. Dans le fond, Louisa ne voyait pas l’utilité de s’encombrer de tâches aussi futiles.

« Tu vois, Louisa, » disait Odile, les mains pleines de terre, « la terre ne ment pas. Elle te donne ce que tu lui donnes. Si tu la traites avec respect, elle te le rendra. Elle te le rendra toujours. »

Louisa n’était pas convaincue. Ce genre de philosophie, elle n’y croyait pas. Le respect et la patience étaient des concepts qu’elle comprenait vaguement, mais qui semblaient si loin de ce qu’elle avait toujours connu. Elle, elle était habituée à agir, à agir vite, à prendre des décisions, à forcer les choses. Ici, à la campagne, rien ne semblait urgent. C’était comme si le temps n’avait aucune importance.

Au bout de quelques jours, Louisa se força à sourire plus souvent. Elle ne voulait pas décevoir Odile, qui semblait si sereine et heureuse dans cette simplicité. Parfois, elle arrivait même à apprécier les longues promenades dans les champs, les senteurs d’herbe coupée, les rayons du soleil filtrant à travers les arbres. Mais dès qu’elle se retrouvait à nouveau seule, seule avec ses pensées, l’angoisse revenait. La solitude pesait sur elle comme un manteau trop lourd.

Un après-midi, alors qu’elle se promenait le long de la rivière, elle aperçut des silhouettes au loin. C’était un groupe d’habitants du village, des gens qu’elle n’avait pas encore rencontrés. Ils travaillaient dans les champs, certains bêchaient la terre, d’autres récoltaient des fruits. Louisa s’approcha timidement.

« Bonjour, » dit-elle d’une voix hésitante. L’un des hommes la regarda avec un sourire poli.

« Ah, mademoiselle Louisa, » dit-il en s’essuyant le front. « Alors vous êtes enfin là ! Vous avez dû avoir un bon voyage ? »

« Oui, » répondit-elle, toujours un peu mal à l’aise. « Je suis encore en train de m’habituer à… tout ça. »

Les regards des villageois étaient chaleureux, mais aussi un peu curieux. Ils étaient différents de ceux qu’elle avait l’habitude de croiser dans la haute société. Pas de faux-semblants, pas de sourires calculés. Juste des gens qui travaillaient, qui vivaient, qui s’épanouissaient dans cette simplicité qu’elle ne comprenait pas encore.

« Tu veux nous aider un peu ? » proposa une femme plus âgée, les mains pleines de terre. Louisa observa un instant ses gants usés et ses traits marqués par le travail, et pour la première fois depuis son arrivée, elle se sentit un peu coupable de son attitude. Elle se força à accepter, s’agenouillant sur le sol pour commencer à arracher des mauvaises herbes.

C’était simple. Peut-être trop simple. Mais plus elle s’y essayait, plus elle sentait cette étrange sensation d’être à sa place, dans cet univers où la vie se tissait lentement, patiemment, mais sans fioritures. Et, étrangement, cela la perturbait. Pourquoi était-ce si apaisant, ce travail manuel ? Pourquoi cela lui apportait-il un soulagement qu’elle ne trouvait pas dans ses complexes ambitions ?

« Tu vois, ma fille, c’est ça le vrai travail, » dit une autre femme, en posant une main sur son épaule. « Il n’y a pas de place pour les faux-semblants ici. Si tu veux faire quelque chose de bien, il faut savoir y mettre tout ton cœur. »

Louisa acquiesça, un peu honteuse de ne pas être totalement investie dans ce qu’elle faisait. Mais à la place de l’effort physique, c’était un autre genre de travail qui l’occupait. Le travail intérieur. Elle sentait que quelque chose en elle changeait, même si elle ne comprenait pas encore ce que c’était.

À la fin de la journée, alors qu’elle rentrait chez Odile, le soleil commençait déjà à se coucher derrière les collines. Louisa s’arrêta un instant, juste pour respirer l’air frais du soir. C’est alors qu’elle le vit. Il était là, sur le petit sentier menant à la ferme d’Odile, un peu plus loin, sa silhouette imposante se dessinant dans la lumière dorée du crépuscule. Raphaël Belmont.

Elle n’avait pas prévu de le croiser, mais il était là, comme un spectre du passé, un homme qui semblait appartenir à un autre monde, à une autre réalité.

Il marchait lentement, presque en toute sérénité, un léger sourire aux lèvres. Lorsqu’il la remarqua, il s’arrêta un instant, son regard se posant sur elle avec cette intensité qui semblait lire dans son âme. Louisa ne savait pas pourquoi, mais chaque fois que ses yeux croisaient les siens, elle avait l’impression que tout autour d’elle devenait flou. C’était comme si rien n’existait sauf ce moment suspendu, où son cœur battait plus vite, presque contre sa volonté.

« Bonsoir, mademoiselle Louisa, » dit-il d’une voix calme, presque neutre. Mais il y avait quelque chose dans son ton qui la perturbait. Il parlait comme s’il savait déjà tout d’elle.

« Bonsoir, monsieur Belmont, » répondit-elle, sa voix un peu plus rauque qu’elle ne l’aurait voulu. « Que faites-vous par ici, à cette heure ? »

Raphaël haussait les épaules, un léger sourire aux lèvres. « Je me promène. C’est un endroit tranquille ici, il y a beaucoup à réfléchir. »

Louisa le regarda, un peu déstabilisée. Elle savait qu’il y avait quelque chose de caché chez lui, quelque chose qu'il ne révélait pas. C’était comme une force invisible qui émanait de lui, une force qu’elle ne comprenait pas, mais qui la fascinait.

« Et vous ? » demanda-t-il, brisant le silence. « Qu’est-ce qui vous retient ici, dans ce village ? »

Elle haussait les épaules. « Je… je m’habitue encore. C’est difficile, parfois. Mais je suppose qu’il faut prendre le temps de comprendre. »

« Comprendre quoi, exactement ? » demanda-t-il, son regard plus perçant que jamais.

Elle s’interrompit. Que pouvait-elle répondre ? Elle ne comprenait même pas ce qu’elle était en train de dire. Ses pensées se confondaient. « Je… je crois que je suis juste en train de chercher ma place, » finit-elle par dire.

Raphaël la regarda en silence, comme s’il pesait chaque mot qu’elle venait de dire. Puis, après un moment de réflexion, il répondit : « Parfois, on n’a pas besoin de chercher. Il suffit d’être là. »

Louisa resta silencieuse. Il y avait dans ses paroles une sagesse qu’elle n’était pas prête à comprendre, mais qui la perturbait profondément. Elle n’avait pas le temps pour la sérénité, pour cette tranquillité de la campagne. Mais pourquoi était-ce alors si difficile de lui tourner le dos ?

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