chapitre 6
Chapitre 6
Louis savait exactement ce qu’il faisait. La guerre n’avait pas de règles, à part celles qu’on se donnait soi-même. Devant Éléonore, il endossait son rôle de mari modèle, impeccable, tout sourire, un homme qui, en apparence, ne pourrait jamais faire de mal à une mouche. Le genre de gars qui accepte tout : les petites humiliations, les faux-semblants, les conventions sociales. Mais en privé, il n’était plus rien de tout ça. Il était un autre, un homme qu’on ne voyait pas venir, un type froid, insensible, qui n’avait aucune intention de se laisser manipuler.
Éléonore était à mille lieues de tout comprendre. Elle croyait qu’elle avait le contrôle. Elle croyait que le mariage arrangé, la mise en scène parfaite, suffiraient à la maintenir dans une position dominante. Mais il avait son plan, et elle n’avait aucune idée de la manière dont il se faufilait dans ses pensées, dans ses failles. La bataille était silencieuse, mais il la sentait. Il savait qu’il la poussait dans ses retranchements. Elle n’était pas prête à ça, pas encore.
C’était le matin. Elle était déjà partie, son absence pesant comme une présence invisible. Louis s’étira, la fatigue de la nuit derrière lui. Il n’avait pas vraiment dormi, mais ce n’était pas grave. Il avait d’autres préoccupations, d’autres choses à faire que de penser à la femme qui venait de devenir la compagne d’un homme qu’il n’était pas encore sûr de détester ou de désirer.
Son téléphone vibra sur la table. Un message de Camille. * »J’ai besoin de te parler, Louis. »*
Il fixa l’écran pendant un long moment, un sourire amer se dessinant sur ses lèvres. Camille. Elle qui l’avait humilié, elle qui l’avait trahi. Elle avait osé lui faire ça. Lui, qui avait tout sacrifié pour elle. Lui, qui avait cru qu’elle était la seule personne capable de le comprendre, de le soutenir. Mais non. Elle était partie avec un autre. Et maintenant, elle voulait revenir ? Non, il ne se laisserait pas avoir une seconde fois.
Il effaça le message sans même répondre. Il n’en avait pas besoin. Elle n’était plus rien pour lui.
L’après-midi, il la croisa dans le hall de l’appartement. Éléonore, l’air insouciant, vêtue d’un tailleur parfait, les cheveux soigneusement coiffés, son regard perçant qui semblait le jauger à chaque instant. Elle s’approcha de lui avec son sourire calculé. « Alors, Louis, tu t’es habitué à l’idée ? » demanda-t-elle, son ton léger, presque moqueur.
Il lui rendit son sourire, glacé, sans la moindre chaleur. « C’est ma vie maintenant. Je fais avec. »
Elle haussait les épaules. « Tant mieux. Je déteste les gens qui se plaignent. » Puis elle se tourna, comme si elle venait de lui accorder une faveur en discutant avec lui. Il la regarda partir, l’ombre d’un rictus sur les lèvres. Il n’avait pas besoin d’elle. Mais le plus drôle dans cette histoire, c’était qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’il lui réservait.
Le soir, quand la journée était finie et qu’elle était de retour dans l’appartement, il s’était déjà installé dans le salon, silencieux, à l’écoute de ses pas dans le couloir. Elle entra, un verre de vin à la main, et le fixa un instant avant de s’installer en face de lui. Elle était calme, mais il sentait la tension dans l’air, cette légère crispation qu’elle ne pouvait pas dissimuler.
« Tu m’ignores intentionnellement, Louis, » dit-elle, sa voix aussi nette qu’un couperet.
« Je ne t’ignore pas, » répondit-il simplement, son regard d’acier rivé sur elle. « Je fais juste ce qu’on attend de moi. C’est tout. »
Elle pencha la tête, cherchant à déceler une quelconque faille. « Tu crois vraiment que ça va marcher ? »
Il haussait les épaules, faussement détaché. « Je ne suis qu’un mari de façade, n’est-ce pas ? »
Un éclair de frustration passa dans ses yeux, mais elle ne dit rien. Elle était en train de perdre son contrôle, il le voyait. C’était comme un jeu d’échecs, un moment suspendu avant que l’un d’eux ne fasse le premier mouvement décisif. Il attendait, patient, un sourire en coin.
Quelques jours plus tard, il fut surpris de recevoir un message d’Éléonore, une simple invitation à dîner. Curieux, il se rendit au restaurant, se demandant ce qu’elle manigançait encore. Elle était déjà là, seule, un air pensif sur le visage, mais il ne pouvait pas s’empêcher de se dire qu’elle avait quelque chose en tête. Comme toujours. Mais cette fois-ci, il ne se laisserait pas avoir.
« Je voulais qu’on parle, » commença-t-elle, les yeux fuyant les siens. « J’ai remarqué que tu te tenais à l’écart, Louis. Et que ça commence à m’agacer. »
Il ne répondit pas tout de suite. Il n’avait aucune envie de se justifier. « Tu m’as demandé un contrat. Je l’exécute. Que veux-tu de plus ? »
« Tu penses vraiment que ça va se passer comme ça ? Que je vais juste accepter de te voir jouer à ton petit jeu ? » Sa voix était plus tranchante maintenant. Elle voulait en savoir plus. Elle avait toujours cru qu’elle avait le contrôle. Mais il avait l’impression que ça commençait à lui échapper. Et c’était bien ça qu’il recherchait.
Louis la regarda, un silence lourd pesant entre eux. « Je n’ai rien à te prouver, Éléonore. Je fais ce qu’on m’a demandé, rien de plus. »
Elle lui lança un regard perçant, une lueur qu’il n’avait jamais vue auparavant. Un mélange de défi et de vulnérabilité qu’il n’aurait pas cru possible chez elle. « Tu crois que tu m’as bien cernée ? Tu crois que tu sais comment me manipuler ? »
Il haussait les épaules, prêt à partir, à fuir ce moment de plus en plus tendu. Mais elle n’avait pas fini. Elle s’était penchée en avant, la voix basse, presque un murmure. « Tu sais quoi, Louis ? J’ai l’impression que toi et moi, on n’est pas si différents. »
Il la fixa un instant. Elle avait raison. Mais ça, il n’allait pas le lui dire. Pas encore.
