chapitre 3
Chapitre 3
Les soirées mondaines étaient un exercice de façade, une danse hypocrite où chacun arborait son masque, son rôle, et où les sourires ne se voulaient pas sincères mais simplement performatifs. Élias avait appris à naviguer dans ce monde dès son plus jeune âge. Les galas, les réceptions, les sourires forcés et les poignées de main, il n’y avait rien de nouveau pour lui. Mais ce soir-là, quelque chose était différent. Cassandre avait décidé d’accepter l’invitation à ce gala, et il le sentait.
Elle n’était pas là pour s’incliner devant les attentes des autres, pour jouer le rôle de la jeune femme docile qu’il pensait l’avoir épousée. Il la regarda une première fois, un regard furtif, presque distrait. Elle était d’un calme glacé, mais elle n’avait pas l’air de vouloir s’adapter à l’ambiance. Elle ne s’efforçait pas de plaire. Et ça, ça le dérangeait. Parce qu’il l’avait attendue, cette soumission. Pas qu’il en ait besoin, mais elle aurait dû en faire partie. Elle n’était pas de ces femmes qui se couchaient sous les exigences d’un regard, pas de celles qui acceptaient d’être des ombres dans la lumière des autres. Elle avait quelque chose d’indomptable, quelque chose de fragile et de dangereux à la fois.
Elle ne se fondait pas dans la foule. Elle les observait plutôt de loin, avec ce regard perçant, froid, celui d’une spectatrice plus qu’une participante. Mais ce qu’il ignorait encore, c’était que sous cette carapace de froideur, elle était prête à les surprendre. Cassandre savait exactement comment manipuler les gens, comment se faire remarquer sans trop en faire, comment rester au centre de l’attention tout en donnant l’illusion d’être absente. Il la voyait se frayer un chemin parmi les invités, saluant les uns, ignorant les autres, jetant quelques répliques pleines de sous-entendus. Elle n’avait pas besoin d’être bruyante pour être entendue. Chaque mot qu’elle prononçait portait un poids, une force qu’il n’avait pas encore saisie.
Elle arriva près de ses parents, et Élias l’observa de loin. Un sourire se dessina sur ses lèvres sans qu’il ne puisse rien y faire. Cassandre, sans faire d’efforts, avait capté l’attention de tout le monde. Elle savait exactement où placer ses mots, comment faire naître des sourires, comment échapper à l’ennui. Elle n’avait pas l’air de vouloir être là, mais en réalité, elle contrôlait chaque échange, chaque geste, comme un marionnettiste invisible. Même ses parents, qui avaient toujours maintenu une distance froide et polie avec elle, semblaient sous son charme. Elle était l’alpha, sans en avoir l’air, et il y avait quelque chose de déstabilisant dans cette maîtrise.
Il n’était pas naïf. Il savait qu’il ne pouvait pas la sous-estimer. Mais ce soir-là, pour la première fois, il sentit que quelque chose se passait. Elle n’était pas cette petite chose fragile qu’il imaginait. Elle n’était pas la personne qu’il pouvait manipuler à sa guise. Cassandre avait ses propres armes, ses propres stratégies. Il se demanda, pour la première fois depuis leur mariage, s’il était encore maître de cette situation.
Les minutes passèrent, et il la regarda, plus intensément cette fois. Son visage, pourtant impassible, dissimulait une agilité intellectuelle qu’il n’avait jamais vu. Elle était brillante, oui, mais elle n’en avait pas l’air. Elle ne se mettait jamais en avant de manière évidente, mais chaque geste, chaque mot semblait calculé pour laisser une impression. Elle ne faisait pas que suivre les règles du jeu, elle les redéfinissait.
Le gala s’étendait autour d’eux, les conversations allaient et venaient, mais Élias ne pouvait plus détacher son regard d’elle. Il l’observait se mouvoir avec une facilité déconcertante parmi des gens qu’elle ne connaissait même pas. Elle se tenait droite, sûre d’elle, sans jamais se départir de ce petit sourire en coin qui faisait d’elle une énigme. Ce n’était pas juste une question de beauté. Ce n’était pas juste son allure ou son apparence. C’était cette chose indéfinissable, ce pouvoir silencieux qu’elle exerçait sur ceux qui l’entouraient.
Puis, au moment où il s’y attendait le moins, Cassandre se tourna brusquement vers lui, comme si elle avait ressenti son regard peser sur elle. Il n’eut pas le temps de détourner les yeux. Elle avait deviné, et elle n’allait pas laisser ça passer. Un simple sourire, presque moqueur, se glissa sur ses lèvres.
— Tu te sens bien dans ce rôle de spectateur, Élias ?
Sa voix, calme et précise, résonna dans l’air, bien plus forte que tous les autres bruits autour d’eux. Il n’eut pas le temps de répondre qu’elle s’éloigna déjà, rejoignant un groupe d’invités. Ce geste, ce simple déplacement dans la pièce, captura à nouveau l’attention de tout le monde. Elle savait jouer de cette ambivalence. Elle était là, mais elle n’était pas là. Elle parlait, mais elle ne disait rien. Elle dominait la pièce sans effort.
Les minutes s’étiraient dans l’indifférence générale, mais pour lui, chaque seconde qui passait semblait plus pesante. Ses parents l’observaient aussi, un regard que lui-même reconnaissait bien. Ce regard qu’on lui lançait quand on pensait que tout allait dans la bonne direction. Mais il n’était pas dupe. Il voyait bien. Cassandre n’était pas cette image qu’il avait en tête. Elle n’était pas la femme docile qu’il imaginait, celle qui accepterait son rôle sans chercher à comprendre pourquoi elle y était. Non. Elle avait pris la place. Elle avait pris la scène. Et lui, il se retrouvait là, presque effacé, à regarder ce qu’il croyait maîtriser lui glisser entre les doigts.
À la fin du gala, alors que la soirée touchait à sa fin, il la chercha dans la foule. Elle était déjà en train de se préparer pour partir, comme si cette soirée n’avait été qu’un autre moment dans son emploi du temps. Pourtant, il savait qu’elle avait laissé une empreinte. Ses parents, eux, n’avaient cessé de lui poser des questions, de lui faire des remarques sur l’impression qu’elle avait laissée. Une impression marquante. Ils ne s’étaient pas attendus à ça.
En la rejoignant, il n’eut pas un mot à dire. Elle l’observa un instant, son regard perçant fixant le sien sans ciller. Puis elle se tourna et s’éloigna vers la porte.
— Tu m’impressionnes, Cassandre, murmura-t-il, à peine audible. Mais tu as encore du chemin à faire.
Elle ne se retourna même pas. Juste un petit sourire en coin, comme un défi qu’il n’avait pas encore su relever.
