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J'ai fait sauté le cours de maths tout à l'heure, j'en avais marre que ces abruti se moquent de moi à longueur de journée. J'ai essayer de camoufler la bouteille que ma mère veut absolument que je boive mais ils ont fini par la trouver et par me ridiculiser encore une fois. Excuse-moi de t'avoir laissé seule pour affronter le cours de Mallard mais c'était au-dessus de mes forces.
Donne-moi leur nom que je leur fasse passer l'envie de t'approcher à nouveau ! Je suis sérieuse, je ne supporte pas qu'on t'embête et crois-moi, ils ne sont pas prêts de recommencer. J'en fais une affaire personnelle. Par contre... il faut vraiment que ta mère arrête avec ces lubies de boissons aux plantes. Premièrement c'est dégueulasse et en plus, c'est la honte au collège !
Je ne veux pas que tu ai de souci à cause de moi. Tu t'es déjà fait engueuler par ta mère à cause de tous les mots que les profs notent dans ton carnet, pas la peine d'en rajouter avec cette histoire. Mais ça me fais du bien de savoir que mon garde-corps personnel n'est jamais bien loin quand j'en ai besoin . Tu connais ma mère, quand elle a une idée en tête, impossible d'y échapper. Alors je vais boire ce truc immonde et j'espère bien qu'elle me laissera tranquille après.
C'est réglé, ils ne t'embêteront plus. Tu te rends compte, ils n'ont vraiment pas de chance les pauvres. Quelle était la probabilité pour que quelqu'un s'introduise dans le vestiaire pendant le cours de sport et infeste leurs vêtements de poil à gratter ? La vie est parfois si cruelle...
J'avais tellement peur que tu me voies. Que tu poses tes si beaux yeux sur mon corps hideux et que je te dégoûte. Mais ce matin tu as recollé mes morceaux en me faisant l'amour. Ce que je t'ai donné, je n'aurais jamais pu le donner à un autre. C'est toi et ça a toujours été toi.
J'ai finalement réussi à m'extirper des bras de qui essayait sans relâche de me convaincre de prendre une douche avec lui. Après notre étreinte extatique, nous sommes restés un long moment enlacés dans les bras l'un de l'autre, à rêver de ces beaux lendins qui s'esquissaient devant nos prunelles émerveillées. a évoqué tous ces pays que nous rêvions de visiter tandis que je lui ai parlé de ce projet un peu fou qui trotte dans ma tête. Cette envie de redonner vie à la maison de mes parents. Si je ne parviens pas à m'y installer, je ne veux pas non plus la condamner. Je ne sais pas vraiment ce que je vais en faire mais j'aimerais la moderniser pour qu'elle devienne un lieu d'accueil convivial. Fasciné, il m'a écoutée en hochant la tête, m'encourageant parfois par quelques mots bienveillants.
Je me suis ensuite débattue pour empêcher le garçon de me mettre sous le jet d'eau. Même si je suis parvenue à lui dévoiler ma peau striée, cela ne signifie pas que mes complexes ont disparu. Tandis que profite de la salle de bains, je plane encore un peu sur mon nuage douillet, ne souhaitant pas vraiment revenir à la réalité. Les effluves du parfum du garçon me collent à la peau et je ferme les yeux, respirant paisiblement cet opium que je chéris. Mais ma bulle explose bien vite lorsque mon téléphone – ce satané traite – résonne une nouvelle fois. A l'instant où mes yeux se posent sur l'écran, je comprends que mon état de grâce est définitivement terminé.
-Allo ?
-Madame Pazzi ? Inspecteur Anderson à l'appareil. Je viens de reprendre l'enquête concernant la disparition de vos parents et je voudrais vous rencontrer. Aujourd'hui de préférence. Pouvez-vous venir au poste de Police ?
Sa voix robotique et son ton glacial me nouent l'estomac.
-O-oui... oui, bien sûr.
-Très bien, je vous attends dans une trentaine de minutes.
Il raccroche sans me laisser le temps de lui répondre. Hébétée, je reste comme une idiote à fixer mon téléphone. Cet appel n'augure rien de bon, j'en suis déjà persuadée. Je ne m'attarde pas, je file me préparer en vitesse. Quand j'entre en trombe dans la salle de bain, croit que j'ai finalement changé d'avis mais je le préviens simplement de l'appel que je viens de recevoir. Il insiste pour m'accompagner, je le convaincs que je peux me débrouiller toute seule.
Installée au volant de la voiture de mon père, je roule comme une automate. Si je laisse mes pensées m'envahir, elles m'assujettiront à toutes ces angoisses qui tournent en boucle dans mon esprit quand je n'arrive pas à dormir la nuit. Je me gare devant le commissariat cinq petites minutes avant l'échéance imposée. Fébrile, je me présente à l'accueil de ce lieu déprimant en triturant nerveusement mes doigts. L'hôtesse a à peine le temps de pianoter sur les touches de son standard qu'un grand brun au regard chocolat se dirige d'un pas déterminé dans ma direction.
-Madame Pazzi ? Je suis l'inspecteur Anderson. Suivez-moi.
J'emboite le pas de ce trentenaire à la peau claire et à la voix tranchante. En toute objectivité, il est plutôt bel homme, ses traits fins sont gracieux et sa carrure athlétique lui confère un attrait non négligeable mais la froideur de ses mots anéantit tout son charme. Il nous conduit jusqu'au fond du couloir où il possède le bureau le plus ennuyeux qui existe sur cette terre. Une vielle table métallique, un vieil ordinateur, des vieilles chaises et une vieille armoire. Voilà tout ce qui compose son antre. Il gigote son bras en silence et je comprends qu'il veut que je m'assois. Je m'exécute docilement. Après s'être installé en face de moi, il se penche sur le dossier qui trône au centre de son bureau et l'examine de ses yeux perçants. Son manège dure bien trois minutes. Trois minutes durant lesquels je me dnde pourquoi il fait semblant de découvrir les données qui s'affichent sous ses yeux alors qu'il doit probablement les connaitre par cœur. Sans doute pour me mettre mal à l'aise. Et bien c'est gagné inspecteur !
Il relève la tête. Ses prunelles marron se plantent dans les miennes avec la ferme intention de ne pas être délogées. Je me tortille sur ma chaise comme une ado convoquée dans le bureau du proviseur. Oui, je parle d'expérience.
-Savez-vous pourquoi je vous ai dndé de venir Madame Pazzi ?
-N-non...
-L'équipe en charge de l'enquête sur la mort de vos parents a été déchargée du dossier à mon profit.
Il laisse planer un nouveau silence et je commence à franchement ne plus savoir où me mettre. Bon sang, je déteste ce genre de situation !
-Je suis un inspecteur de la Police Judiciaire mais pas seulement. Je suis également à la tête de l'OCRVP, l'Office central pour la répression des violences aux personnes. Notre équipe enquête sur tous les faits criminels qui sont associés de près ou de loin aux mouvements sectaires. Je n'ai pas l'habitude de tourner autour du pot alors je serai direct. Votre mère fréquentait assidument la structure nommée Natur'alliance que nous avons identifiée comme étant une secte passive. Nous cherchons aujourd'hui à savoir si leur disparition violente et brutale a un lien avec cette structure soupçonnée d'avoir escroqué une trentaine de personnes dans la région ces cinq dernières années.
La sentence tombe comme un couperet sur mes épaules. J'ai des doutes depuis un bon moment mais les entendre dans la bouche d'un officier de police les rend aussi légitimes qu'effrayants.
-Nous avons épluché les comptes bancaires de vos parents, nous avons pris connaissance des sommes importantes qu'ils leur versaient et nous avons également interrogé d'anciens membres pour définir leur position dans la communauté. Nous voulons aujourd'hui découvrir si l'accident dont ils ont été victimes a une origine criminelle.
Quelques secondes tourbillonnent entre nous jusqu'à ce qu'il mette fin à son exposé sans jamais me lâcher du regard.
-Sachez que nous surveillons activement ce centre. Nous avons donc connaissance de votre engagement auprès du Dr Copri. Engagement qui a étonnement débuté peu de temps après la mort de vos parents. Alors je vais vous poser une question très simple Madame Pazzi. Que faites-vous là-bas ?
L'espace d'une seconde, j'hésite à lui avouer mon infiltration mais je me reprends. Il ne cherche qu'à faire éclater la vérité, nous sommes dans le même camp.
-Quand j'ai découvert les sommes folles que mes parents donnaient à cet établissement, j'ai fait des recherches et j'ai fini par leur rendre visite. Je n'avais jamais entendu parler de ces illuminés, je n'avais même jamais mis les pieds là-bas mais quand le Dr Copri m'a proposé une prise en charge, j'ai sauté sur l'occasion. Je sens bien qu'il se passe des trucs bizarres, c'est vrai, on dirait que tous ces baba-cools ont été lobotomisés mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour comprendre ce qui est arrivé à mes parents.
-Madame Pazzi, ce que vous faites est très dangereux. Nous soupçonnons le Dr Copri d'être le gourou de cette secte qui joue sur le psychisme de personnes faibles pour leur soutirer de l'argent. Arrêtez vos visites et laissez-nous enquêter. Nous sommes les professionnels, n'inversez pas les rôles.
-Inspecteur Anderson, je comprends ce que vous dites mais j'ai noué des relations avec des personnes qui côtoyaient ma mère au quotidien avant sa mort. Je ne vais pas laisser tomber ce que j'ai commencé.
-Leurs méthodes sont dangereuses. Ils vont utiliser vos failles pour vous manipuler sans que vous ne vous en rendiez compte. Retirez-vous immédiatement.
-J'apprécie votre dévouement envers cette enquête. Vraiment. Mais je ne peux pas tout abandonner. Je ne peux pas tout laisser entre vos mains. J'ai besoin d'agir, de comprendre. Je vous promets que je ne prendrai pas de risques inutiles et que je vous téléphonerai si je trouve le moindre indice mais je préfère être honnête avec vous. Je continuerai mes visites chez Natur'alliance.
N'ayant pour l'instant aucun moyen de me soumettre à ses directives, l'inspecteur Anderson soupire et baisse enfin les yeux. J'ai gagné. Pour cette fois.
Après m'avoir bien mise en garde sur les méthodes employées par ces escrocs, il prend congé et me laisse retrouver le bleu de l'horizon. Je marche quelques minutes afin de digérer toutes les informations qu'il m'a données puis je m'échoue sur un banc, à l'orée d'un petit parc. Les promeneurs se font rares ce matin, je profite du calme ambiant pour décortiquer tout ce que je ressens.
Je ne suis pas vraiment surprise par les révélations que m'a faites l'inspecteur mais je dois bien avouer qu'elles ont le mérite de me remettre les idées en place. Ces derniers jours, je passais beaucoup de temps auprès de la communauté et ma méfiance commençait à faiblir. Mais aussi beau soit leur dévouement, cela n'enlève rien aux intentions malhonnêtes des dirigeants. Et si une équipe de policiers pense qu'ils peuvent être responsables de la mort de mes parents, je jure que je ferai tout pour les faire tomber.
C'est le corps ragaillardi d'une haine sans limite que je reprends le volant. Le Dr Copri ne s'en sortira pas aussi facilement. Je retrouve au fond de son jardin, à l'ombre du grand chêne qui a couvert bon nombre de nos bêtises d'enfant, sa guitare entre les mains et sa voix fredonnant les paroles de Standing by my side. Je prends une seconde pour savourer cette vision de rêve. Quand mes yeux balaient son regard apaisé et ses traits radieux, je comprends que je ne suis pas prête à briser sa quiétude. Il n'a jamais aimé que je lui parle de Natur'alliance et je n'ai aucune envie de déclencher une dispute maintenant. Alors je fais ce que je sais faire de mieux. J'enfouis tous mes soucis et je placarde un grand sourire sur mes lèvres. Puis je me glisse entre les jambes du garçon. Aussitôt, il passe ses bras par-dessous les miens pour plaquer sa guitare contre mon ventre et laisser ses notes vibrer au plus près de mon âme.
dépose un léger baiser sur le galbe de mon épaule. Des milliers de papillons chatouillent alors le creux de mon ventre et je laisse tomber ma tête contre son torse en souriant, les yeux fermés. La douce mélodie qui nous berce calme le tempo de mes pensées qui fusent de toutes parts. Je pense à mes parents, encore et toujours. Je pense à la rage qui bouillonne au creux de mon estomac depuis mon entrevue avec l'inspecteur Anderson. Je pense à toutes ces incertitudes qui vont me rendre folle si je ne trouve pas les réponses et je craque. Je me redresse brusquement, interrompant au passage le garçon qui fronce immédiatement les sourcils. Quand il me voit attraper mon petit carnet, il se détend et réajuste sa position pour me faire à nouveau une place douillette.
-J'ai envie d'écrire quelques paroles, tu es partant pour jouer un peu ?
-Avec plaisir poupée. De quel genre de rythme as-tu envie ?
-Le genre qui décoiffe.
Il s'esclaffe avant de reprendre son sérieux.
-Ton rendez-vous au commissariat s'est mal passé ?
-Pas vraiment... le nouvel inspecteur en charge de l'enquête voulait se présenter. Mais le fait d'avoir remué tout ça m'a un peu mis les nerfs à vif, avoué-je dans un demi sourire.
-D'accord. Griffonne dans ton carnet, je jouerai jusqu'à ce que tu me dndes d'arrêter.
Je me retourne à moitié pour lui voler un baiser.
-Tu n'as pas de rendez-vous aujourd'hui ?
-Non, je les ai tous reportés. Je n'avais plus vraiment la tête à tatouer, confesse-t-il de ses lèvres espiègles.
Je glousse discrètement en ouvrant mon carnet sur une page blanche. Mon sourire s'affadit alors que gratte durement sur sa guitare. Je sens les notes attiser mes émotions ; aussitôt, l'encre noire devient mon échappatoire. Je note, je rature, j'hésite, je recommence, je mâchouille mon stylo en réfléchissant, je me cale sur le tempo de la guitare et je me libère.
