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16

Comment te dire avec des mots tout ce qui grouille dans mon cœur ? Je n'ai pas encore trouvé le courage de tout te dire parce que j'ai peur de te faire fuir. Si j'ai enfin commencé à vivre, c'est grâce à toi. Tu ne réaliseras jamais à quel point tu as changé ma vie.

Jamais je n'aurais pensé que notre escapade dans les eaux vives ait un tel effet sur . Le garçon me semble si différent aujourd'hui ! Plus libéré, plus serein également. Comme s'il avait réalisé quelque chose d'important à mesure que nous dévalions la rivière déchainée. Quand nous sommes arrivés au bout de notre parcours, son visage rayonnait. D'innombrables gouttelettes d'eau ruisselaient sur ses joues, s'échappant de ses mèches brunes complètement embroussaillées. Ses yeux brillaient de mille feux, étincelaient comme ceux d'un enfant le matin de noël. J'avais tout bonnement l'impression de découvrir un nouveau .

Un aventureux, fougueux. Un libéré de ses chaines.

Et même si je ne comprenais pas vraiment ce qui avait déclenché un tel cataclysme, j'étais si heureuse pour lui. Quand j'étais petite et que mon père m'embarquait pour de nouvelles aventures, je ressentais toujours un profond déchirement à l'idée de laisser derrière moi. J'étais persuadée qu'il aimerait ces folies dans lesquelles nous nous lancions et je ne supportais plus sa frustration à chaque fois que je partais sans lui. Alors le voir si épanoui ce jour-là a été un tel soulagement.

L'intensité de son regard luisant sous ses longs cils restera à jamais gravé dans ma mémoire. La force de son baiser également, plus passionné qu'il ne l'a jamais été. Ses mains qui m'agrippaient comme si j'étais la clé de son futur. Et tous ces mots qu'il n'a pas prononcés mais que j'ai pourtant ressentis jusque dans ma chair.

Ce fut le premier jour de sa renaissance.

J'ai toujours idolâtré . Petite, j'admirais sa force tranquille, l'honnêteté de chacun de ses gestes et sa capacité à toujours être en accord avec lui-même. Mais je réalise aujourd'hui que le garçon savait seulement bien cacher le carcan qui l'entravait. Et même si je n'ai aucune idée de ce qui le retenait jusqu'alors, je sais maintenant que je peux lui offrir l'oreille attentive dont il a tant besoin.

Nous sommes avachis sur le canapé, ma joue campée contre son torse nu, nos jambes entremêlées. Un saladier à moitié vide de fruits coupés, de glaces et de bonbons repose sur la table basse devant nous, seul vestige de notre repas de ce soir. Quand est rentré du salon, il faisait presque nuit. J'ai passé la journée avec Nathalie au cœur de la communauté et j'en suis ressortie mentalement épuisée. Leur gentillesse abat mes barrières une à une et ça me fout une sacrée trouille ! est allé visiter un fournisseur et vu la mine qu'il affichait en passant la porte d'entrée, j'ai tout de suite compris que nous avions tous deux besoin d'un remontant.

Le générique d'une télénovelas défile sur l'écran mais nous ne bougeons pas, planant dans les tréfonds de notre fatigue. Nous comatons devant la télévision depuis une bonne heure maintenant et même si aucun de nous deux ne comprend l'espagnol, nous nous amusons à deviner l'intrigue et à rejouer les dialogues. Autant vous dire que nous sommes très sérieux. Un autre épisode démarre tandis que réajuste légèrement sa position, en profitant au passage pour me voler un baiser.

Alors que je me lance dans une traduction très approximative – et surtout très tendancieuse- du discours de la blondasse siliconée, me coupe pour laisser libre cours à ses pensées.

-Quand j'étais gamin, je voulais apprendre l'espagnol. Il y avait cette fille au collège, Alma, elle était belle et je voulais l'impressionner un peu. Alors j'ai dndé à ma mère de m'inscrire aux cours d'espagnol mais elle a refusé. Elle disait qu'elle préférait que j'étudie l'italien et que ma lubie pour cette langue – et cette fille- disparaitrait rapidement. Elle n'avait pas tort.

Je reste silencieuse quelques secondes même si je me souviens très bien de cette fichue Alma.

-Mais tu vois Em', même si elle avait raison, elle n'avait pas le droit de choisir pour moi. Depuis que je suis né, elle prend toutes les décisions à ma place. Je sais qu'elle veut ce qu'il a de mieux pour moi. Elle a toujours voulu me protéger parce qu'elle m'aime de tout son cœur. Mais... mais je n'ai plus envie de ça maintenant. Je veux prendre mes décisions et faire mes propres erreurs.

Je me redresse pour pouvoir planter mon regard dans le sien.

-Et tu as bien raison. C'est ta vie M, pas celle de ta mère. Même si elle t'aime, il est temps que tu reprennes ta liberté.

-Quand on était au milieu de ce torrent ce weekend, je me suis senti vivant. En danger, submergé d'adrénaline mais maitre de ma propre vie. Et putain, qu'est-ce que c'est bon ! Je ne veux plus être le gamin en retrait qui regarde les autres.

La détermination qui point dans sa voix me fait sourire de fierté. Avec ses yeux clairs apaisés et son visage détendu, je tombe encore un peu plus pour lui. Je me penche légèrement pour cueillir ses belles lèvres pleines tandis que je lui murmure :

-Je suis fière de toi.

Il se raidit et soudain, je regrette ce que je viens de lui dire. Bien sûr, je pense chacun de ces mots mais sa réaction me rappelle pourquoi je n'ouvre jamais mon cœur. Je me rends vulnérable, j'ai l'air d'une sombre idiote et je lui laisse la possibilité de l'écrabouiller à sa guise.

-Oublie ce que...

-Je t'interdis de reprendre ce que tu viens de dire Em' !

Ses mots grondent de colère et je dois bien avouer que je ne comprends plus rien. Le garçon fait glisser sa main jusqu'à la base de mon cou qu'il agrippe avec autant de douceur que de résolution. Son pouce dessine des minuscules volutes sur ma peau claire qui érige déjà quelques frissons pour mieux absorber cet afflux de tendresse bienvenu.

-J'ai été surpris c'est vrai, mais simplement parce que tu m'étonnes tellement ! Je... je te connais depuis qu'on a trois ans et pourtant, tu... tu as toujours gardé une infime distance. Tu ne m'as jamais laissé accéder à ce que tu es en train de m'offrir mais je m'en fichais parce que je ne t'aurais jamais voulu différemment. Mais aujourd'hui, je réalise que j'ai eu tort. Je ne m'en fiche pas. Je veux entendre tout cela. Je veux que tu m'ouvres ton cœur et que tu me dises tout ce que tu ressens. Je veux que tu n'aies plus peur.

Sous la pulpe de ses doigts, mon pouls s'affole. Ses mots sont comme des milliers de balles qui détruisent sans relâche les remparts qui gardent encore mon cœur. Et je tremble. Je tremble de peur, de soulagement, d'amour, de reconnaissance, de tout.

Avec la plus grande douceur, ma main s'échoue sur sa joue rugueuse, fouillant à sa travers sa barbe pour le cajoler au plus près. Je libère le souffle que je retenais mais l'aspire délicieusement lorsqu'il pose ses lèvres sur les miennes. J'ai envie de lui répondre, de lui dire tout ce que je ne sais pas exprimer mais il ne me force pas. Et c'est justement parce qu'il n'a aucune attente que j'enfouis ma tête dans son cou et que mes mots s'envolent dans la pénombre.

-Tu... tu es absolument parfait comme tu es mais je... je suis vraiment heureuse que... que tu te libères enfin. Et surtout, je... je suis heureuse d'être avec toi.

Je bégaye comme un enfant qui apprend à parler. C'est un peu maladroitement, franchement mièvre mais j'ose. J'ose enfin.

-Je ne pourrais pas le faire sans toi poupée.

Il ponctue son aveu d'un doux baiser dans mes cheveux. Avec lui, l'impossible devient presque envisageable.

Nous nous endormons paisiblement, chaudement enlacés dans les bras l'un de l'autre sur le canapé du salon. Le sofa n'est pas le plus confortable, je n'ai pratiquement pas de place mais c'est sans doute l'une des plus jolies nuits que j'ai passée avec lui. Au petit matin, la vibration intempestive de mon téléphone portable me réveille. Grognon, je me tire des bras du beau brun et m'éloigne pour répondre à ma conseillère bancaire.

-Allo ?

-Bonjour Madame Pazzi. Je suis désolée de vous déranger mais j'aimerais vous parler d'une urgence. Je n'arrive pas à joindre votre frère depuis des jours et étant donné qu'il est sérieusement à découvert, je voulais vous alerter.

En une seconde à peine, les dernières effluves de sommeil paisible dont j'ai profité cette nuit s'échappent pour me laisser endosser à nouveau le costume étriqué des responsabilités.

-Expliquez-moi la situation s'il vous plait.

Durant les trois prochaines minutes, j'écoute en fulminant mon interlocutrice énumérer les frasques financières de mon petit frère qui n'a rien trouvé de plus intelligent que de louer une immense villa à Ibiza pour sa sine d'intégration à la fac. Je ne sais pas s'il s'est pris pour le père noël mais vu les sommes folles qu'il dépense, je comprends pourquoi il est aujourd'hui à découvert de plus de trois mille euros.

Je ravale ma colère pour répondre à cette pauvre banquière innocente.

-Très bien. Je vais lui faire un virement.

-Euh... c'est-à-dire que... vu son passif assez... excessif, le directeur de l'agence souhaite des garanties.

-Je me porte garante pour lui. Envoyez-moi tous les documents nécessaires pour clore cet accord. Vu l'état de mes finances et l'héritage de mes parents, j'imagine que cette garantie sera suffisante.

Je l'entends pianoter rapidement sur son clavier puis prendre une minute pour ingérer les informations qui se présentent sur son écran.

-Effectivement. Je vous adresse le formulaire par mail dans la journée. Merci Madame Pazzi, au revoir.

Je jette rageusement mon téléphone et monte doucement les escaliers pour allumer mon ordinateur dans ma chambre. Je passe une bonne heure à rattraper toutes les conneries de mon frère et à surveiller ses comptes. Je me connecte également à sa boite mail pour vérifier qu'il n'a laissé trainer des dndes importantes. Sans surprise, je tombe sur un mail du directeur de sa promotion lui dndant de remplir un dossier avant... aujourd'hui. Je lève les yeux au ciel mais je remplis tout de même son fichu dossier pour ne pas qu'il ait d'ennuis.

Quand j'ai fini de réparer toutes les boulettes de mon frère, je l'appelle mais je tombe sur sa boite vocale. Pas étonnant, vu l'heure qu'il est je suppose qu'il est encore en train de ronfler. Je ne me gêne pas pour lui laisser un message incendiaire puis je rejoins encore endormi sur le canapé.

Je me faufile doucement entre ses bras chauds, plongeant le bout de mes doigts dans ses mèches ébouriffées. Le garçon se tortille légèrement et ses mains dégringolent sur mes hanches. Les yeux toujours clos, il glisse son visage au creux de mon cou pour déposer une myriade de baisers.

-Qu'est-ce qui ne va pas Em' ?

Interloquée, je redresse le visage pour l'interroger mais il n'a toujours pas ouvert les paupières.

-Pourquoi penses-tu que quelque chose ne va pas ?

-Parce que tu es toute crispée, que tu as les sourcils froncés et que je sens bien que quelque chose te tracasse.

Je perds mes mots. Sérieusement, comment fait ce garçon pour me faire fondre tous les jours un peu plus ?

-C'est à cause de mon frère, soupiré-je, vaincue. Notre banquière m'a appelée pour me prévenir qu'il était à découvert. Je viens de passer plus d'une heure à rattraper ses conneries.

-Et pourquoi as-tu fait ça ?

-Parce que c'est mon frère ! m'exaspéré-je.

-Et alors ? Ce n'est pas une raison pour que tu récupères tous ses soucis et que tu sois la seule à les gérer. Vous êtes adultes maintenant, laisse le se prendre en main et assumer les conséquences de ses actes.

-Tu sais très bien que ce n'est qu'un gamin dans sa tête. Je dois m'occuper de lui comme je l'ai toujours fait et encore plus maintenant que nos parents ne sont plus là.

se redresse brusquement, son visage ayant perdu toute sa sérénité.

-C'est là que tu fais erreur Em'. S'il n'a pas envie de prendre ses responsabilités, c'est son problème. Ce n'est pas en le maternant que tu lui rends service. Laisse le se débrouiller avec ses bêtises pour une fois et il réalisera peut-être qu'il est temps de se prendre en main !

-Tu... tu veux que je le regarde s'embourber dans les ennuis sans bouger le petit doigt ? Tu es devenu fou ?

- écoute-moi. Tu n'es pas sa mère. Tu ne l'as jamais été. Et même si tu t'es occupée de lui pendant des années, ce n'est plus ton rôle. Il est égoïste de te laisser faire et crois-moi, je ne vais pas me gêner pour le lui dire.

Je frémis en l'entendant. Je comprends ce qu'il veut me dire mais je ne sais pas vraiment faire autrement. J'ai toujours été le pilier de cette famille, celle qui prend les problèmes à bras le corps et sur qui on s'appuie. Et même si j'étais délurée, un peu immature avec mes amis et toujours prête à faire les quatre cents coups, ce n'était que mon échappatoire à tous ces responsabilités.

Je ne sais pas vraiment ce qui me pousse à me confier mais assurément, le regard protecteur de est un bon indice.

-Je sais qu'on en n'a jamais vraiment parlé mais ma mère était... elle n'allait pas bien. Je l'ai toujours connue submergée par ses angoisses mais elle parvenait mieux à les gérer quand nous étions petits. J'ai grandi en faisant tout ce que je pouvais pour l'aider. J'ai commencé par m'occuper de la maison. Je me disais que si elle n'avait plus à s'inquiéter du ménage et des repas, elle irait mieux. Mais ça n'a pas suffi. Alors j'ai continué en veillant sur les devoirs d'Enzo. Puis je me suis chargée des papiers importants. Mon père était souvent en déplacement, il assistait aux rendez-vous avec les banquiers, les assureurs, les conseillers puis je prenais le relai. J'ai fait... j'ai fait tout ce que j'ai pu pour que ma mère guérisse mais ça n'a jamais été assez. Je n'ai jamais été assez.

Quelques sanglots font vibrer ma voix mais je continue.

-Alors je ne peux pas abandonner Enzo. Mes parents comptaient sur moi et s'ils étaient encore avec nous aujourd'hui, ils seraient déçus que je le laisse tomber.

- regarde-moi.

regagne une position assise pour me faire glisser sur ses cuisses. Je le chevauche mais je n'ai aucun moyen de m'échapper. Ses eaux tourmentées me tiennent prisonnière.

-Ce n'était pas à toi d'endosser toutes ces responsabilités. Tu n'aurais jamais dû être seule face à tout ça et je refuse que tu portes tous ces poids. Tu ne penses qu'aux autres mais qui prend soin de toi ? Tu as fait tout ce que tu as pu et je suis sûre que tes parents étaient fiers de toi. Mais aujourd'hui, il faut que ça s'arrête. Tu es leur enfant et la sœur d'Enzo. Retrouve ta place.

-Je... je ne sais pas... faire autrement.

-Alors je serai là pour t'aider.

J'enfouis ma tête dans son cou pour laisser ses paroles se répandre dans mon esprit. Quelques larmes roulent toujours sur mes joues mais me laisse le temps de me reprendre, caressant tendrement mes cheveux.

Au bout de quelques minutes, je réalise qu'il vient de m'offrir tous les mots dont j'avais désespérément besoin. Je l'embrasse voluptueusement et il ne perd pas une seconde pour me rendre mon baiser. Nos mains explorent à nouveau nos corps tandis que nos souffles se mélangent, libérant nos ardeurs. Le garçon ne porte qu'un boxer noir qui dévoile une peau brûlante. Je fonds déjà entre ses bras puissants.

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