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Hier, tu était triste mais tu n'es pas retombé dans tes travers. Tu n'imagine pas à quel point j'étais fier de toi. Chaque jour, tu t'ouvres un peu plus, tu me laisses t'approcher un peu plus. Et chaque jour, je suis émerveillé par celle que tu es. Je te promets de tout faire pour que tu découvres la femme que je tiens dans mes bras chaque matin.
Quand j'étais petite, je faisais souvent ce rêve. Je me trouvais au beau milieu d'un parc verdoyant, entourée de mes parents et de mon frère. Le soleil brillait haut dans le ciel et les rires des enfants résonnaient autour de moi. Je me tournais vers ma mère et d'un doux sourire, elle me donnait l'autorisation d'aller jouer. Je prenais alors la main d'Enzo et nous nous éloignions en criant, foulant l'herbe sous nos pieds nus, le cœur léger.
Je me souviens particulièrement de l'insouciance qui tourbillonnait autour de moi. J'entends encore le chant des oiseaux et la joie de mes parents. Je sens encore cette légèreté au creux de mon ventre, ce bonheur de n'être qu'une enfant.
Quand je me réveillais, je chérissais cet entre-deux dans lequel je voguais encore. Ces quelques secondes durant lesquelles je n'étais pas tout à fait éveillée mais plus vraiment endormie. Ce bref instant pendant lequel je pouvais encore croire un peu à mon rêve et me lover dans cette exquise chaleur.
Puis ma poitrine se serrait en retrouvant cette bonne vieille boule d'angoisse. Les soucis de cette famille revenaient au galop et je savais que je ne pouvais pas laisser tomber ma maman. Alors je fermais les yeux pour me gorger une dernière fois de cette légèreté, pour trouver la force de me lever et de placarder un faux sourire sur mon visage. Je me souviens que j'avais toujours un peu froid quand je quittais ce cocon douillet.
Ce matin, j'ai à nouveau fait ce rêve. J'ai savouré le bonheur d'être une petite fille insouciante puis j'ai laissé la clarté du petit matin s'infiltrer à travers les persiennes. J'ai attendu l'angoisse, le froid et le poids de la réalité.
J'ai attendu.
Mais pelotonnée entre les bras de mon dos collé contre son torse et son souffle régulier chatouillant mon cou, je n'ai rien senti d'autre qu'un profond bien-être. Une délicieuse chaleur. Alors je suis restée ainsi de longues minutes, à l'écouter bercer les battements de mon cœur de ses petits bourdonnements adorables. Puis, je me suis retournée et j'ai plaqué mon oreille contre sa poitrine. J'ai déchiffré ses secrets, j'ai entendu la litanie de ses songes et j'ai souri.
Je souris encore.
Je souris quand il gigote entre mes bras. Je souris quand il s'étire doucement. Je souris quand ses mains plongent dans mes cheveux. J'inspire béatement, savourant son parfum et la tendresse qui émane de chacun de ses gestes. Puis mes lèvres fondent sur les siennes et j'ai presque mal d'être heureuse. Nos deux corps ne font plus qu'un, répondant à nos caresses dans une douce symphonie.
-J'exige de me réveiller comme ça tous les matins, soupire à travers nos baisers.
-Tu exiges ? ris-je en me tortillant entre ses bras.
-J'exige. Tu y vois un inconvénient ?
-Absolument pas...
Il me laisse à peine le temps de lui répondre qu'il nous fait basculer, plaquant doucement mon corps contre le matelas. Une de ses mains glisse le long de mon dos, s'insinuant dans le creux de mes reins pour me faire un peu plus sienne. Comme si c'était encore possible.
-Que vas-tu faire aujourd'hui ? l'interrogé-je, picorant innocemment la peau de son cou.
-Me raser.
-Quoi ??
Je me redresse hâtivement, emprisonnant son regard ensommeillé dans mes prunelles déterminées.
-Bah quoi ? Je n'ai jamais eu la barbe aussi longue. Regarde-moi, on dirait un ours, je ne trouve même plus ma bouche dans ce fouillis.
-Tant que moi je la trouve, je ne vois pas où est le problème, susurré-je en l'embrassant ardemment.
Sous mes lèvres, libère un grognement qui me fait trembler de la tête aux pieds. A travers un millier de baisers, j'use de toute la force de persuasion dont je suis capable pour l'empêcher de faire cette bêtise.
-Ne te rase pas... je te trouve beaucoup trop beau comme ça...
Ma main se faufile entre nos poitrines, esquissant un sentier invisible jusqu'à la base de son cou. J'en profite pour laisser le bout de mon index escalader ses joues, retracer ses traits fins mais anguleux, laissant derrière eux une myriade de frissons sur sa peau rugueuse.
-Ok, ok... je capitule ! Mais je vais au moins la couper un peu...
Un sourire légèrement narquois nait sur mes lèvres. Le regard de s'assombrit, avant qu'il ne fonde sur moi, comme un prédateur sur sa proie.
-Je vais te faire passer l'envie de me narguer.
Nous disparaissons sous le drap, laissant nos mains se taquiner, nos soupirs se retrouver. De sa bouche indécente, chérit mon corps sans l'effeuiller. Ses caresses sont à la fois douces et rudes, ses lèvres aussi affamées que sensuelles. Nos cris se perdent dans nos baisers et nous finissons par goûter aux étoiles scintillant au-dessus de nos têtes.
Je me prélasse encore un moment mais la sonnerie de mon téléphone résonne à côté de moi. Je me lève d'un bond quand je vois le nom de Jason s'afficher sur l'écran. Après un coup d'œil angoissé au garçon qui me scrute, je file dans ma chambre pour répondre.
-Allo ?
-Bonjour c'est Jason. J'espère que je ne vous dérange pas, je voudrais vous proposer une séance d'hypnose cet après-midi. L'un de nos fidèles thérapeutes nous fait l'honneur de sa présence et je suis persuadé qu'il pourrait vous être très bénéfique. Il traite ses patients avec empathie tout en faisant preuve d'une grande capacité d'écoute. Qu'en pensez-vous ?
-Je... euh...
La perspective de me retrouver seule avec un inconnu, dans ce centre qui ne m'inspire qu'une grande méfiance, sans être maitre de mon corps me terrifie.
-Je... je ne suis pas très à l'aise avec cette méthode. Je préfère décliner votre proposition.
-Bon... je ne vous cache pas que je suis un peu déçu. Depuis que vous nous avez dndé de l'aide, vous n'avez que très peu participé à nos ateliers. N'oubliez pas que Natur'alliance est l'oasis que vous recherchiez tant. N'hésitez pas à venir vous ressourcer dès que vous en ressentez le besoin.
-D'accord, j'essaierai de passer plus souvent. Merci et bonne journée.
Je coupe court à la conversation sans attendre. Quand je jette mon téléphone sur mon lit, je réalise que mon cœur bat à tout rompre. Cette infiltration me met les nerfs en pelote et j'ai beaucoup de mal à prendre du recul. Parce que j'ai vraiment peur qu'on me manipule et que mes faiblesses prennent le contrôle de mon esprit.
Lorsque me retrouve dans ma chambre, je fais mine de m'affairer pour qu'il ne décèle pas mon trouble. Le poids de son regard dans mon dos me laisse entendre qu'il sait que je lui cache quelque chose mais je connais ce garçon. Il ne me forcera pas à parler tant que je ne serai pas prête. J'inspire un coup et me donne -mentalement - un bon coup de pied aux fesses. Quand je fais volte-face, je manque m'étouffer face au spectacle qu'il m'offre.
