Une journée comme les autres
La chaleur suffocante d’Abidjan semblait s’attarder ce soir-là, collant aux peaux et alourdissant l’atmosphère. Amina marchait rapidement le long de la grande avenue bordée de vendeurs ambulants. Sa journée de cours à l’université avait été épuisante, et elle n’aspirait qu’à rentrer chez elle. Étudiante en deuxième année de gestion, elle partageait un petit studio avec sa cousine Maimouna, couturière. Leurs moyens étaient modestes, et chaque dépense était calculée.
Ce soir-là, Amina avait décidé de rentrer à pied pour économiser l’argent du taxi collectif. Ses chaussures usées heurtaient le trottoir irrégulier tandis qu’elle avançait d’un pas rapide, serrant contre elle sa vieille sacoche de cuir. Elle rêvait d’un avenir meilleur : un emploi stable, une maison pour sa mère, un peu de répit dans ce quotidien si souvent oppressant.
Alors qu’elle traversait un carrefour, un bruit strident brisa soudain le bourdonnement habituel de la rue. Le crissement brutal de pneus sur le bitume la fit se figer sur place. Une voiture noire, roulant à vive allure, surgit à toute vitesse. Amina tourna la tête juste à temps pour voir l’imposant véhicule se rapprocher d’elle.
L’impact fut immédiat. Son corps fut projeté au sol comme une poupée de chiffon, et une douleur fulgurante déferla en elle avant que l’obscurité ne l’emporte.
Lorsqu’Amina ouvrit les yeux, tout semblait flou et irréel. Une lumière crue l’aveuglait, et des voix lointaines résonnaient autour d’elle. Elle tenta de bouger, mais une douleur intense à la jambe l’immobilisa.
“Ne bougez pas,” murmura une voix grave et posée.
Amina cligna des yeux, cherchant à voir d’où venait la voix. Un homme grand, élégant et impeccablement vêtu, se tenait près de son lit d’hôpital. Il semblait à la fois sérieux et préoccupé, ses traits marqués par une tension qu’il ne cherchait pas à cacher.
“Je suis Samuel,” dit-il doucement. “Je suis désolé pour ce qui vous est arrivé. C’est ma voiture qui vous a percutée. J’ai appelé l’ambulance et veillé à ce que vous soyez prise en charge immédiatement.”
Amina, encore sonnée, fixa cet inconnu avec un mélange de confusion et d’appréhension. Ses souvenirs de l’accident étaient flous, mais la douleur dans son corps et le bandage épais sur sa jambe lui rappelaient que ce n’était pas un cauchemar.
“Vous… m’avez renversée ?” balbutia-t-elle, sa voix faible.
“Oui,” répondit Samuel, son regard sincère. “C’était un accident. Je roulais trop vite, et je suis profondément désolé. Mais ne vous inquiétez pas, je prends tout en charge. Vous n’avez rien à craindre.”
Amina baissa les yeux. L’idée de se retrouver hospitalisée sans moyens pour payer ses soins l’effrayait terriblement, mais cet homme semblait sincère. Pourtant, une part d’elle restait méfiante. Pourquoi un inconnu, aussi bien habillé et manifestement riche, s’investissait-il autant dans son cas ?
Les jours suivants, Samuel vint la voir régulièrement. À chaque visite, il apportait des fleurs ou des fruits, s’enquérant de son état auprès des médecins. Amina se demandait souvent ce qui le motivait. Était-ce la culpabilité ? Ou autre chose ?
Un jour, elle trouva enfin le courage de poser la question. “Pourquoi faites-vous tout ça pour moi ?” demanda-t-elle d’une voix hésitante.
Samuel sembla réfléchir avant de répondre. “Parce que c’est ma faute. Vous avez été blessée à cause de moi. Je veux m’assurer que vous allez bien, rien de plus.”
Il y avait dans son ton une fermeté qui ne laissait pas place à la discussion, mais son regard était troublant. Il y avait une intensité dans ses yeux, quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore.
Au bout de deux semaines, Amina fut autorisée à quitter l’hôpital. Sa jambe, bien que toujours fragile, était sur la voie de la guérison. Mais un nouveau problème se posa : son logement.
Samuel, toujours présent, souleva rapidement la question. “Votre studio n’est pas adapté à votre convalescence. Vous avez besoin de repos, et monter des escaliers tous les jours sera impossible dans votre état.”
“Je trouverai une solution,” répondit Amina, mal à l’aise.
“Il n’y a rien à trouver,” répliqua Samuel. “J’ai une maison avec tout ce qu’il vous faut. Vous pourrez y rester jusqu’à ce que vous soyez complètement rétablie.”
Amina sentit une vague d’inquiétude l’envahir. L’idée de vivre chez lui, même temporairement, lui semblait inconcevable. Mais lorsqu’elle pensa à son modeste studio, aux conditions précaires et aux escaliers raides qu’elle devrait monter chaque jour, elle réalisa qu’elle n’avait pas beaucoup d’options.
“Je ne veux pas abuser de votre générosité,” murmura-t-elle, hésitante.
“Vous ne le faites pas,” répondit-il immédiatement. “C’est une solution pratique, rien de plus. Je ne veux que votre bien-être.”
Après une longue réflexion, Amina finit par accepter. Elle se convainquit que ce n’était qu’une solution temporaire, une situation imposée par les circonstances.
Lorsque Samuel la conduisit dans sa maison, Amina fut stupéfaite. La villa, située dans un quartier huppé d’Abidjan, semblait sortie d’un rêve. Les grandes baies vitrées laissaient entrer une lumière naturelle qui illuminait les murs ornés d’œuvres d’art. Les sols en marbre brillaient, et un immense jardin verdoyant s’étendait derrière la maison.
“Installez-vous ici,” dit Samuel en lui montrant une chambre spacieuse. “Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le-moi savoir.”
Amina, bien que reconnaissante, se sentait hors de sa zone de confort. Ce luxe contrastait tellement avec la simplicité de sa vie qu’elle en était presque mal à l’aise.
Alors qu’elle s’allongeait sur le grand lit moelleux, elle se demandait si elle avait fait le bon choix. Ce qu’elle ignorait encore, c’est que cet accident allait bouleverser sa vie de manière irréversible.
