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Chapitre 6: MA MEILLEURE AMIE

Le lundi est arrivé sans prévenir.

Comme un coup de vent qui referme une porte à peine entrouverte.

Le chalet était déjà loin, dissous dans le rétroviseur, avec ses silences réconfortants et ses regards suspendus.

On ne parlait plus du week-end. Comme si c’était un rêve qu’il fallait vite oublier pour ne pas trop s’y attacher.

Mais quelque chose avait changé.

Dans ses gestes. Dans sa manière de regarder ailleurs quand nos regards se frôlaient.

Et surtout, dans l’air, plus chargé qu’avant.

Le trajet du retour fut plus court. Ou peut-être était-ce juste le silence entre nous qui faisait paraître les kilomètres moins longs.

Elle ne parlait pas. Moi non plus. Comme si chaque mot risquait de briser l’équilibre fragile de ce qu’on venait de vivre.

Quand elle m’a lancé un regard furtif, j’y ai lu une douceur étrange. Un remerciement silencieux, peut-être. Ou une forme de tristesse qu’elle ne voulait pas nommer.

On est arrivés devant chez elle. Il faisait encore jour, mais le ciel semblait plus bas que d’habitude.

Adam l’attendait sur le pas de la porte.

Il n’avait pas l’air en colère. Juste inquiet. Les mains dans les poches, les yeux plissés.

Emma est sortie de la voiture, son sac sur l’épaule, le regard fixé droit devant. Elle a dit merci sans se retourner, presque dans un souffle. Et elle est allée vers lui.

Moi, je suis resté là, dans la voiture, le moteur encore allumé, le cœur en vrac.

Adam l’a prise dans ses bras. Elle s’est laissée faire. Mais elle ne l’a pas regardé. Pas tout de suite.

Je les ai vus échanger quelques mots. Rien de violent. Rien de théâtral. Juste cette tension silencieuse entre deux personnes qui savent qu’un fil a été tiré quelque part.

Puis il a levé les yeux. Vers moi.

Nos regards se sont croisés. Un instant. Long, brut, sans fioritures. Il avait compris. Pas ce qu’il s’était passé — car il ne s’était "rien" passé. Mais ce que ça voulait dire.

Je suis parti.

Sur le chemin du retour, j’ai ouvert les fenêtres pour respirer.

J’avais envie de croire que ce week-end ne resterait pas suspendu dans un tiroir fermé à clé. Qu’il avait déplacé quelque chose. Ou révélé ce qui était là depuis longtemps.

Mais je savais aussi qu’on allait reprendre nos rôles.

Elle, dans le doute.

Moi, dans l’ombre.

Et lui… dans sa place, pour l’instant encore intacte.

Le soir, Emma s’était enfermée dans la salle de bain plus longtemps que d’habitude. L’eau chaude coulait sur ses épaules, mais elle ne se sentait pas lavée. Juste plus lourde.

Adam lui avait préparé à manger. Il essayait, elle le voyait. Il faisait tout pour que les choses paraissent normales.

Mais rien ne l’était plus.

Elle n’avait pas menti. Il ne s’était rien passé ce week-end. Rien de concret. Aucun geste déplacé. Aucun mot trop fort.

Et pourtant, c’était ce "rien" qui la hantait.

Parce qu’il avait suffi d’un regard. D’une promenade. D’un vieux sweat trop large et d’un silence partagé pour réveiller tout ce qu’elle croyait enfoui.

Quand elle était rentrée, elle avait retrouvé Adam comme on retrouve un lit après une nuit blanche : familier, mais plus si confortable.

Et maintenant, elle marchait sur des œufs dans sa propre vie.

— Tu veux qu’on parle ? avait-il proposé doucement, en débarrassant les assiettes.

Elle avait secoué la tête.

— Je suis juste fatiguée, c’est tout.

Il avait souri, compréhensif. Trop, peut-être.

Mais elle, elle s’en voulait. De ce qu’elle ne disait pas. De ce qu’elle ressentait quand elle pensait à ce week-end. À lui.

À cette façon qu’il avait de la regarder sans jamais rien attendre. À sa présence, constante, rassurante, dangereusement douce.

Ce soir-là, elle se coucha à côté d’Adam. Il lui caressa le bras. Elle ferma les yeux.

Mais dans sa tête, elle était ailleurs.

Pas dans le lit.

Pas dans l’appartement.

Pas dans cette vie.

Elle était encore sur cette terrasse en bois, dans le silence du soir, une cigarette entre les doigts, et le cœur plein d’un amour qu’elle n’avait jamais su nommer.

Les jours suivants furent flous.

Emma reprit le travail, vit quelques amies, répondit aux messages d’Adam. Elle rit parfois, s’agaça d’un collègue, choisit une robe pour un dîner à venir.

Tout semblait normal.

Mais en elle, tout tanguait.

Adam était plus attentionné que jamais. Il proposait des idées de voyage, parlait d’emménager ensemble, de faire des projets.

Et elle disait oui, sans vraiment savoir à quoi.

Chaque fois qu’elle prononçait ces mots, elle sentait une infidélité naître. Pas dans ses gestes. Dans ses pensées. Dans ses absences.

Car son esprit revenait toujours à lui. À ce week-end. Aux silences partagés. À ce qu’elle n’avait jamais osé dire. Et qu’elle n’osait toujours pas nommer.

Un soir, seule, elle relut un vieux message je lui avais envoyé des années plus tôt :

“Je serai toujours là. Même quand tu ne regardes pas.”

À l’époque, elle avait souri. Elle avait trouvé ça mignon.

Aujourd’hui, elle comprenait à quel point c’était vrai. Et peut-être injuste.

Elle pensa à m'appeler. Juste pour entendre ma voix. Pour me dire merci. Pour me dire je pense à toi, sans vraiment le dire.

Mais elle ne le fit pas.

Elle posa son téléphone. Se leva. Et alla s’allonger à côté d’Adam.

Il dormait déjà.

Elle ferma les yeux.

Et murmura, à elle seule :

— Tu es en train de tout gâcher, Emma.

Mais au fond d’elle, une voix plus douce chuchotait :

— Ou peut-être… de te réveiller.

_*A suivre...*_

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