Les évasions
Alors que le bateau dérivait lentement au milieu de la rivière, le silence entre eux devenait de plus en plus pesant. Clara tentait de se concentrer sur la beauté du paysage — l’eau scintillante, les arbres qui bordaient la rive, et le chant des oiseaux qui résonnait dans l’air.
Mais Lucas semblait avoir d’autres plans.
— « Clara, tu n’as pas vraiment changé, tu sais, » dit-il doucement, brisant à nouveau le silence.
Elle lui jeta un regard surpris. — « Et qu’est-ce que tu veux dire par là ? »
— « Tu essaies toujours de tout garder pour toi. Comme si tout porter seule allait arranger les choses. Mais parfois, partager ce qu’on ressent peut aider. »
Clara se crispa, ses doigts serrant le verre qu’elle tenait. — « Tu ne me connais plus, Lucas. Alors arrête de prétendre que tu sais ce qui est bon pour moi. »
Lucas l’observa un instant, ses yeux cherchant à percer ses défenses. Mais avant qu’il ne puisse répondre, Emma intervint à nouveau, cette fois avec une proposition pour le groupe.
— « Et si on jouait à un jeu ? Comme au bon vieux temps ! Je pose une question, et chacun doit répondre. »
Les protestations légères et les rires s’élevèrent parmi les invités, mais Emma, déterminée, insista. — « Allez, ce sera amusant. »
Elle posa la première question, un classique inoffensif : « Si vous pouviez être n’importe où dans le monde en ce moment, où seriez-vous ? »
Les réponses fusèrent : Paris, les Maldives, New York... Quand ce fut au tour de Clara, elle hésita.
— « Ici, » finit-elle par dire doucement. Le regard surpris de Lucas la troubla, et elle se dépêcha d’ajouter : « Pas que je n’aie pas d’endroits où je préférerais être, mais ici est... paisible. »
Le jeu continua, avec des questions légères et des réponses qui déclenchèrent des rires chaleureux. Mais Clara restait sur ses gardes, consciente que Lucas, bien qu’amusé par le jeu, la regardait plus souvent qu’elle n’aurait voulu.
Alors que le bateau faisait demi-tour pour rentrer, le soleil commençait à se coucher, teignant le ciel de nuances d’or et de pourpre. Emma, toujours en train de rire et de discuter, semblait parfaitement à sa place, entourée de ceux qu’elle aimait. Mais pour Clara, la journée avait été épuisante.
Lucas s’approcha une dernière fois avant qu’ils n’accostent. — « Merci d’être venue aujourd’hui. Ça signifiait beaucoup pour Emma. Et... pour moi aussi. »
Elle leva les yeux vers lui, cherchant à deviner ses intentions. Il ne semblait pas moqueur, juste sincère. Elle hocha la tête, mais ne répondit pas.
De retour à la maison, Clara s’éclipsa discrètement pour retrouver un peu de solitude. Assise sur le rebord de la fenêtre de sa chambre, elle regarda les étoiles. Les mots de Lucas résonnaient encore dans son esprit. Malgré ses efforts, il semblait toujours trouver un moyen de s’infiltrer dans ses pensées.
Clara soupira, sentant le poids du passé peser sur elle. Elle savait qu’elle ne pourrait pas éviter Lucas éternellement. Un jour ou l’autre, elle allait devoir affronter ses propres démons. Mais ce jour-là n’était pas encore venu.
Le lendemain de la sortie en bateau, Clara se réveilla avec une étrange sensation de calme mélangée à une pointe d'appréhension. Elle entendit le tintement de vaisselle provenant de la cuisine et se leva pour rejoindre le reste de la maison. À son arrivée, elle trouva Emma et Pierre en pleine discussion animée tout en préparant le petit-déjeuner.
Emma, habillée d’un tablier fleuri, riait aux éclats alors que Pierre tentait maladroitement de casser un œuf sans faire de dégâts. C’était une scène simple mais réconfortante, et Clara ne put s’empêcher de sourire. Voir Emma si heureuse allégeait un peu le poids qu’elle portait.
— « Ah, notre invitée d’honneur est enfin réveillée ! » s’exclama Emma en voyant Clara entrer dans la cuisine. « Viens t’asseoir, on va te préparer des crêpes comme au bon vieux temps. »
— « Je vois que vous êtes en pleine action, » répondit Clara en s’installant à la table. « Et Pierre, je ne savais pas que tu étais un chef en herbe. »
Pierre éclata de rire. — « Chef ? Tu rigoles ? Je suis un désastre ambulant en cuisine, mais Emma insiste pour qu’on cuisine ensemble. Apparemment, ça fait partie de la construction d’un couple solide. »
Emma lui donna un léger coup sur l’épaule, faussement vexée. — « Et ça marche, non ? Regarde-nous, on est une équipe parfaite ! »
Clara observa leurs échanges avec une certaine admiration. Il y avait une fluidité naturelle entre eux, une complicité qui transparaissait dans les moindres gestes. Pierre lançait des petites blagues, Emma ripostait en riant, et leur affection mutuelle était palpable. Cela lui rappelait à quel point leur relation avait évolué avec les années.
Emma et Pierre s’étaient rencontrés quelques années après que Clara ait quitté la ville. Emma avait raconté à Clara, dans leurs lettres et appels, comment leur histoire avait commencé. Pierre, toujours gentleman, avait su gagner le cœur d’Emma avec sa patience et son charme discret. Ensemble, ils avaient surmonté des défis, et leur amour semblait aujourd’hui inébranlable.
— « Alors, Clara, » dit Pierre en lui tendant une assiette remplie de crêpes dorées. « Emma me parle souvent de vous. Elle dit que vous êtes comme une sœur pour elle. »
Clara sourit doucement. — « Elle exagère toujours, mais c’est vrai qu’on est proches. Je suis heureuse qu’elle t’ait trouvé. Vous êtes bien assortis. »
Emma gloussa, déposant un baiser sur la joue de Pierre. — « Et toi, Clara ? C’est quand que je vais pouvoir m’amuser à jouer les entremetteuses pour toi ? »
Clara rougit légèrement, évitant le regard curieux d’Emma. — « Pas de précipitation. Je suis bien comme je suis. »
Mais Emma n’en démordait pas. — « Oh, allez ! Il faut bien que quelqu’un te fasse sourire. »
Pierre, sentant la gêne de Clara, intervint avec tact. — « Emma, laisse-la tranquille. Elle vient juste de revenir. Donne-lui un peu de répit. »
Emma leva les mains en signe de capitulation. — « D’accord, d’accord. Mais je garde ça dans un coin de ma tête. »
Après le petit-déjeuner, Emma entraîna Clara dans une promenade improvisée pour discuter des derniers détails du mariage. Pierre, quant à lui, resta à la maison pour régler des formalités avec le traiteur. En marchant côte à côte dans les rues de leur ville natale, Clara sentit l’excitation d’Emma à chaque mot.
— « Pierre est incroyable, tu sais, » dit Emma, les yeux brillants. « Il me soutient dans tout ce que je fais. Même quand je suis stressée et insupportable, il reste calme. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter quelqu’un comme lui. »
Clara hocha la tête avec un sourire sincère. — « Il est parfait pour toi. On peut voir à quel point il t’aime, même dans les petites choses. »
Emma serra la main de Clara, un geste simple mais significatif. — « Et toi, Clara ? J’espère vraiment que tu trouveras ce genre d’amour, toi aussi. Tu mérites quelqu’un qui te regarde comme Pierre me regarde. »
Clara sentit une vague de chaleur, mais aussi de tristesse. Elle savait qu’Emma voulait le meilleur pour elle, mais l’amour semblait être une notion lointaine et complexe pour Clara à ce stade de sa vie. Trop de souvenirs, trop de blessures.
Alors qu’elles continuaient leur promenade, Emma raconta une anecdote sur Pierre qui fit éclater Clara de rire, un vrai rire qu’elle n’avait pas eu depuis longtemps. À cet instant, elle se rappela pourquoi elle était venue. Pas pour Lucas, pas pour les confrontations du passé, mais pour Emma. Pour honorer leur amitié et soutenir son bonheur.
La journée s’écoula rapidement, ponctuée de discussions légères et de moments de complicité entre Emma et Pierre. Clara, bien que parfois perdue dans ses pensées, trouvait un réconfort dans l’atmosphère chaleureuse qui entourait le couple. Le soir venu, alors que le groupe se réunissait pour dîner, Clara observa Emma et Pierre échanger un regard complice et tendre.
Ce n’était pas seulement une union d’amour, mais aussi un partenariat fort et équilibré. Clara ne pouvait s’empêcher de se demander si elle aurait un jour une telle connexion avec quelqu’un. Mais pour l’instant, elle se contentait de savourer le bonheur de son amie.
