Chapitre 5
Les heures s’étiraient, interminables. Le silence de la petite chambre était lourd, pesant, comme une promesse de douleur qui ne cessait de se répéter. Aurélia s’accrochait au bord du lit, la respiration saccadée, les mains moites, la tête pleine de pensées confuses. Elle avait su, dès le premier instant où elle avait découvert qu’elle portait un enfant, que ce jour viendrait. Mais elle n’avait jamais imaginé que la souffrance serait aussi violente, aussi implacable.
Elle avait préparé son esprit. Elle s’était répétée mille fois qu’elle ferait face, qu’elle ne serait pas faible. Mais au moment où les contractions avaient commencé, le monde s’était rétréci à une simple vérité : elle était seule. Le petit appartement, les murs blancs et froids, étaient témoins de sa solitude. La douleur la dévorait, mais il n’y avait personne pour la tenir, pour la rassurer. Tout ce qu’elle avait, c’était la sensation de son corps qui se rebellait, qui l’aspirait dans un tourbillon incontrôlable.
« Je dois tenir, » se répétait-elle à voix basse, ses dents serrées contre la douleur. Elle n’était pas loin de la panique, mais quelque part, dans son esprit embrouillé, un besoin de contrôler les choses persistait. Elle avait pris des précautions, pensant qu’elle pourrait peut-être éviter l’hôpital, peut-être éviter la souffrance d’un endroit trop froid, trop impersonnel. Mais l’urgence avait changé la donne. Tout s’était précipité plus vite qu’elle ne l’aurait cru.
Elle se souvint de Clara, de cette promesse qu’elle lui avait faite : « Je serai là, je te promets. » Mais Clara n’était pas là. Elle avait dû s’éloigner quelques jours pour des raisons personnelles, et bien qu’Auréla l’ait compris, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une boule de solitude lui serrer la gorge. Il n’y avait que la douleur, qui semblait l’envelopper comme une brume épaisse.
Elle ferma les yeux un instant, cherchant à se concentrer sur sa respiration, à ignorer le cri de son corps. Chaque contraction était plus intense, plus forte que la précédente. Ses doigts agrippaient le drap, ses ongles blanchis sous la pression. Elle s’efforça de se rappeler ce qu’elle avait appris, tout ce qu’elle avait entendu sur l’accouchement. Mais c’était comme si les mots ne pouvaient plus l’atteindre. Il n’y avait que son souffle, et le vide autour d’elle.
Un cri s’échappa de ses lèvres. La douleur était écrasante, un martyre qu’elle n’aurait jamais cru possible. Elle tenta de bouger, de trouver une position plus confortable, mais chaque mouvement ne faisait qu’intensifier le tourment. Elle devait passer par là. Elle devait supporter cela seule. Une mère ne se plaignait pas, une mère avançait.
« Élias… » murmura-t-elle faiblement, presque un instinct, un mot qui échappait à sa volonté mais qui sonnait comme une promesse. Le prénom lui était venu en pensée, sans raison particulière, mais il avait trouvé sa place dans son cœur. C’était un prénom doux, un prénom qu’elle pourrait murmurer pour réconforter son fils, pour lui donner la force de traverser cette même épreuve.
La douleur devint insupportable, son corps tremblait sous la violence des contractions. Elle se redressa légèrement, agrippant le matelas comme une bouée dans une mer déchaînée. Un éclat de lucidité la traversa soudainement : il fallait qu’elle accouche maintenant. Elle ne pouvait pas attendre. La réalité se formait dans son esprit comme une image nette : ce n’était plus une question de souffrance, mais de survie. Sa survie, celle de l’enfant qu’elle portait.
Et puis, il arriva. Lentement au début, un glissement, une pression sur son ventre. Mais, à un moment donné, un cri perça la brume de la douleur. Pas le sien, mais celui de son enfant, celui qu’elle avait porté si longtemps sans savoir si elle en serait capable, celui qu’elle avait décidé d’aimer sans connaître son visage.
La pièce sembla se suspendre un instant, un vide rassurant l’envahit. Elle le serra dans ses bras, la chaleur de son petit corps contre le sien, son cœur battant à l’unisson avec celui de son fils. C’était la seule chose qui comptait. Tout le reste disparaissait, et dans cette petite bulle d’intimité, tout ce qu’elle avait enduré, tout ce qu’elle avait craint, semblait si lointain.
« Élias, » chuchota-t-elle, les larmes aux yeux, la voix brisée par l’émotion. Le nom coulait de ses lèvres avec une tendresse infinie. Ce prénom, celui qu’elle avait choisi sans le savoir, sans le prévoir, était désormais le sien. Elle l’avait donné à son fils, pour lui offrir une part de douceur, une promesse d’amour dans un monde qui ne lui avait pas montré beaucoup de lumière. Élias… son fils, son seul lien avec l’avenir.
Elle s’effondra sur le matelas, épuisée. Son corps ne la soutenait plus. La douleur se dissipait peu à peu, mais il restait ce vide, ce silence presque lourd, comme une mer calme après la tempête. Le bruit des petites respirations du bébé contre elle était le seul son qu’elle pouvait entendre. Elle caressa ses cheveux, toucha ses petites mains, sans pouvoir s’arrêter. Il était là. Il était bien là.
Au bout de quelques instants, elle sentit une vague de fatigue l’envahir. Elle avait survécu, mais la fatigue la submergeait. Elle ferma les yeux, s’abandonnant au sommeil, les bras autour de son fils. L’amour n’avait jamais été aussi fort, aussi pur. Rien d’autre ne comptait plus, rien d’autre que cette petite vie, ce petit être qui la rendait plus forte, plus humaine, plus vivante.
Quand elle se réveilla, les premières lueurs du jour filtraient par les rideaux. Le bébé était toujours dans ses bras, paisible, endormi. Elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé, mais cela ne lui importait pas. Ce qui comptait, c’était qu’elle avait donné naissance à son fils. Un fils qu’elle protégerait coûte que coûte, un fils qu’elle élèverait seule si nécessaire.
« Je vais te protéger, Élias, » murmura-t-elle, son cœur débordant de promesses. « Je vais être la mère que tu mérites. »
La résilience, elle la trouvait dans ce petit être, dans l’amour qui bouillonnait en elle. C’était ça, sa force. Elle avait surmonté l’impensable, avait donné la vie dans la douleur, mais au final, tout cela en valait la peine. Parce qu’Élias était là. Parce qu’elle serait une mère prête à tout pour lui.
