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Chapitre 4

Le matin se levait doucement sur le quartier, un rayon de soleil perçant la fenêtre de la petite chambre où Aurélia dormait à peine. Elle se leva précipitamment, ne voulant pas perdre une minute de la journée. C’était une nouvelle routine qu’elle s’était imposée, chaque mouvement mesuré, chaque geste pour éviter de perdre sa concentration. La fuite, l’incertitude, la douleur du rejet étaient toujours là, mais elle les mettait de côté pour se concentrer sur l’essentiel : survivre.

Le travail qu’elle avait trouvé était modeste, bien loin de l’univers de luxe et d’aisance dans lequel elle avait grandi. Elle s’occupait de la boutique de vêtements d’occasion d’un homme âgé, Monsieur Leclerc. Ce n’était pas un emploi qu’elle avait recherché, mais il avait été une porte de sortie. Le vieux commerçant l’avait accueillie avec un sourire bienveillant, peut-être attendait-il d’elle une aide plus qu’un travail. Ses mains étaient tremblantes, et sa voix avait un accent marqué, mais son accueil chaleureux l’avait touchée. Il ne posait pas de questions sur son passé, et c’était exactement ce dont elle avait besoin.

Les journées se succédaient, longues et silencieuses. Aurélia passait ses heures à trier des vêtements, à plier des piles de tissus, parfois à discuter avec les quelques clients qui entraient dans la boutique. La clientèle était hétéroclite, composée de gens simples qui n’avaient rien à voir avec son ancien monde. Elle s’habituait à ces visages marqués par la vie, ces histoires que personne ne lui racontait, mais qui se dessinaient à travers des regards furtifs et des sourires timides. Elle, quant à elle, restait discrète, toujours sur la défensive. Elle ne voulait pas qu’on sache. La grossesse, ce secret lourd et douloureux, elle la cachait sous des vêtements amples et une attitude calme, presque trop calme. Ses gestes étaient plus lents, elle s’épuisait parfois à la tâche, mais elle ne laissait rien transparaître.

Un après-midi, alors qu’elle pliait des vêtements sur une table en bois usé, un bruit de la porte fit lever sa tête. Un homme entra, l’air pressé, un sourire aux lèvres. Elle avait remarqué qu’il venait souvent dans la boutique, mais il ne restait jamais longtemps. Son nom, il ne le disait jamais, mais il avait l’air gentil, un peu plus jeune qu’elle, peut-être dans les alentours de la trentaine. Il avait des cheveux bruns, coupés courts, et un regard qui ne semblait jamais se fixer sur rien en particulier, comme s’il était perdu dans ses pensées. Elle ne savait pas pourquoi, mais quelque chose chez lui éveillait sa curiosité. Peut-être sa manière d’observer les objets sans vraiment les toucher. C’était un genre de regard calme, réservé. Il ne semblait pas pressé de partir.

Il s’approcha du comptoir et lui lança un sourire en coin. « Je vois que vous avez l’air d’être une experte en tri de vêtements. » Il rit doucement, mais d’une manière qui ne semblait pas forcée.

Auréla esquissa un léger sourire, lui répondant d’une voix posée. « Il faut bien être efficace. Le stock ne va pas se trier tout seul. »

Il haussait les épaules, comme pour excuser son intrusion. « C’est un métier qui demande de la patience. Je vous admire. »

Elle détourna les yeux un instant, touchant les vêtements qu’elle tenait, comme si elle cherchait un moyen d’éviter cette conversation. Mais quelque chose dans sa voix, une simplicité, une absence d’arrière-pensée, la poussa à répondre.

« Et vous, que cherchez-vous aujourd’hui ? » demanda-t-elle, tout en reprenant son travail.

Il sembla réfléchir un instant, avant de répondre : « J’aime bien flâner ici. Ça me permet de me changer les idées. Je me sens… chez moi. »

Elle le regarda un peu plus attentivement. « Chez vous ? »

Il fit une petite moue. « Oui, enfin… Ce n’est pas exactement ma maison. Mais l’endroit est calme. Et moi, j’ai un peu besoin de calme ces derniers temps. » Il la scruta du coin de l’œil, un peu gêné, mais son regard ne portait aucun jugement. « Je m’appelle Julien, au fait. Je suis nouveau dans le quartier. Et vous… ? »

« Auréla. »

Il sourit à nouveau, d’un sourire sincère cette fois. « Enchanté. Vous savez, ce n’est pas tous les jours qu’on croise quelqu’un avec autant de calme dans ce quartier. »

Elle haussait les épaules, gênée par ses paroles. « Ce n’est rien. Je m’adapte. »

Elle ne savait pas pourquoi, mais la conversation se prolongea. Julien revint plusieurs fois dans la boutique, toujours avec cette même tranquillité qui la fascinait. Il était présent sans être envahissant, respectueux, mais pas froid. Leur relation restait purement cordiale, mais au fil des jours, elle se sentit un peu moins seule, un peu moins étrangère à ce monde.

Au fond, elle ne savait pas si elle avait vraiment envie d’être amie avec Julien. Il n’avait pas d’idée précise de qui elle était, et cela la rassurait. Il la voyait simplement comme une personne parmi tant d’autres, un visage dans un coin de la boutique. Mais son regard, ses petites attentions la touchaient parfois plus qu’elle ne voulait l’admettre.

Un soir, après avoir terminé son travail, elle se retrouva seule, comme souvent, dans la petite chambre qu’elle occupait depuis quelques semaines. Elle s’assit sur le bord du lit, épuisée, les mains posées sur son ventre qui commençait à s’arrondir. Le ventre d’une mère. Elle sentit un coup de pied léger, presque imperceptible. Le petit être en elle était là, bien vivant, mais elle n’arrivait toujours pas à s’y faire. Elle avait l’impression d’être une étrangère dans sa propre vie, dans son propre corps. C’était une sensation étrange, un mélange de peur, de culpabilité, mais aussi d’amour inexplicable.

La porte de la chambre s’ouvrit doucement. C’était Clara, l’amie qui l’avait accueillie dans son appartement. « Tout va bien ? »

Auréla releva les yeux vers elle, un sourire fatigué mais rassurant. « Oui, ça va. Je m’habitue à tout ça. C’est juste… C’est compliqué. »

Clara s’approcha et se laissa tomber sur le canapé. « Je vois bien que tu fais de ton mieux, mais tu n’as pas à tout porter seule, tu sais. Julien m’a dit que tu allais bien, que tu t’adaptais. C’est déjà énorme. »

« Julien, hein ? » répéta Aurélia, un léger sourire sur ses lèvres. « Il ne m’a pas laissée dans l’ombre, en effet. Mais c’est juste… il est gentil, tu sais ? Il ne me pose pas de questions, il ne m’interroge pas sur mon passé. Il ne me fait pas sentir comme si j’étais un fardeau. »

Clara la fixa un instant. « Tu te sens seule, c’est ça ? Comme si personne ne comprenait ce que tu traverses ? »

« Exactement. Tout le temps. »

Clara soupira doucement, se levant pour se diriger vers la fenêtre. « Tu sais, c’est normal. Mais tu ne dois pas t’isoler, Aurélia. Il y a des gens qui sont là, qui veulent t’aider. »

Auréla hocha la tête, mais une part d’elle restait hésitante. Julien était devenu un point d’ancrage pour elle, mais elle ne voulait pas que cela devienne plus complexe. Il était un soutien moral, pas plus. Elle ne devait pas trop s’y attacher.

Mais, en y réfléchissant, peut-être que cette tranquillité qu’il lui apportait, cette simplicité, était exactement ce dont elle avait besoin pour tenir le coup. Elle sourit à Clara, plus sincèrement cette fois. « Je vais essayer, Clara. J’essaierai d’accepter que parfois, on a besoin des autres. »

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