chapitre 7
Chapitre 7
Les pages du magazine s’étalent devant elle comme un miroir grossissant de ce qu’elle avait perdu. Elle avait d’abord cru que c’était une erreur. Un coup de publicité mal orienté. Mais non. Ce n’était pas une erreur. C’était lui, là, sur la couverture, souriant d’un air confiant, apparemment serein. Un entrepreneur de génie, selon le titre. Un article complet, centré sur lui. Une éloge qu’elle n’avait pas vu venir. Son nom, désormais celui de l’homme que tout le monde respectait.
Elle n’avait jamais vu ça venir.
Elle savait qu’il était brillant, qu’il était plus qu’un simple assistant, qu’il avait un potentiel qui le poussait à vouloir plus. Mais jamais, elle n’avait imaginé qu’il irait aussi loin. Si vite. Que tout le monde le prenne pour un génie, qu’ils applaudissent son ascension, sans savoir d’où il venait, sans comprendre l’histoire entre eux. Elle n’avait plus rien à dire. Rien à ajouter à ce spectacle. Elle se leva de son bureau, les doigts serrés sur le magazine, comme pour l’écraser, comme pour faire disparaître ce qu’il était devenu. Mais elle savait qu’elle ne pourrait pas. Parce que ça, ça, c’était réel.
Elle l’avait laissé partir, mais ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était de se retrouver avec cette morsure de jalousie qui lui déchire le ventre. Ce n’était pas juste de l’envie. Non. C’était du rejet. Un rejet de son propre échec à l’avoir retenu. Un échec qui la mettait face à l’ampleur de la réalité : il ne l’avait pas besoin. Il n’avait jamais eu besoin d’elle.
Le soir du gala, c’était là que tout allait basculer. Elle savait qu’il serait là. Elle savait qu’il était l’invité d’honneur, que la presse serait là, prête à le photographier, à l’admirer. Mais rien ne l’avait préparée à ce moment. À cette rencontre.
Lorsqu’il entra dans la salle, un murmure parcourut la foule. Tous les regards se tournèrent vers lui, ce jeune entrepreneur qui avait pris d’assaut le monde des affaires. Le silence était palpable, presque respectueux. Il portait un costume parfaitement taillé, comme s’il avait toujours appartenu à ce monde, comme s’il était fait pour être là. Et dans cette mer de visages émerveillés, il n’eut qu’un instant pour croiser ses yeux. Un instant. Mais cet instant-là, ce regard, ce fut un coup. Un coup direct au cœur.
Elle détourna la tête. Pas question de lui accorder un signe. Elle n’était pas là pour ça. Elle n’était plus là pour lui. Plus question de se laisser emporter par cette pulsion absurde. Elle avait tout sacrifié pour son empire, elle n’allait pas laisser un homme, un homme qu’elle avait fait siens, la détruire à nouveau.
Mais il n’avait pas bougé. Il s’était arrêté à quelques pas d’elle. Et elle le savait, il attendait qu’elle le regarde. Il attendait de voir si elle allait se souvenir de leur histoire, si elle allait se précipiter vers lui comme il le souhaitait. Mais ce n’était pas le cas. Elle tenait bon. Elle ne flancherait pas.
« Sophia », dit-il finalement, la voix basse, mais suffisamment forte pour que tout le monde puisse l’entendre.
Elle leva les yeux. Un instant, un court instant. Il souriait. Ce sourire froid, contrôlé. Comme s’il avait tout oublié, comme s’il était devenu l’homme que tout le monde admirait, et qu’elle n’était plus qu’une ombre dans son passé.
« Elias », répondit-elle sans chaleur, sa voix tranchante comme une lame.
Un silence lourd s’installa entre eux. Les invités autour d’eux continuaient de bavarder, mais quelque chose dans l’air avait changé. Ils les observaient. Ils attendaient la suite. Mais eux, ils ne bougeaient pas. Ils étaient là, figés dans ce qui semblait être un duel silencieux.
Elias brisa le silence en prenant la parole, d’un ton plus calme, presque intéressé. « C’est drôle, tu sais. Tout le monde parle de moi maintenant. Comme si j’étais une nouvelle star montante. Comme si… » Il marqua une pause, un léger sourire sur les lèvres. « …comme si j’étais l’homme qui avait su s’élever, contrairement à d’autres. »
Elle serra les poings sous sa robe. Ce n’était pas une attaque ouverte, mais il savait exactement où il voulait en venir. Il savait qu’elle comprenait chaque mot, chaque nuance de son discours.
« Tu es là pour ça, alors ? Pour me rappeler que j’ai échoué ? » Elle se pencha légèrement vers lui, son regard perçant. « Je suis bien contente que tu sois heureux dans ta nouvelle vie, Elias. Vraiment. Mais je n’ai aucune intention de me perdre dans tes petites stratégies. »
Il la fixa, un éclat d’amusement dans ses yeux. « Tu n’as pas changé, Sophia. Toujours aussi fière, toujours aussi… inaccessibile. » Il se rapprocha encore, presque trop près. « Tu sais, ça me fait mal, que tu aies choisi cette route. Que tu m’aies laissé partir. Mais je ne vais pas t’en vouloir. C’est ça, être un gagnant, non ? Prendre ce qu’on veut sans se soucier des pertes. »
Elle le regarda droit dans les yeux. L’humiliation. La trahison. Tout cela venait se tordre en elle, mais elle ne cilla pas. « Tu n’as pas gagné, Elias. » Elle haussait légèrement les épaules. « Tu t’es construit sur les cendres de ce que j’ai bâti. Tu crois que ça fait de toi un gagnant ? »
Il sembla hésiter un instant. Puis, d’un mouvement rapide, il prit sa main, presque avec une souplesse de prédateur. Il avait ce contrôle, cette manière de la prendre sans lui laisser le temps de réagir. Mais elle le repoussa sans hésitation, les yeux brillants de défi. « Ne t’avise plus de me toucher, Elias. »
Un rictus presque indéfinissable effleura ses lèvres. Il ne recula pas. Il se tenait là, comme un rocher, ancré dans la terre, attendant qu’elle cède. Mais elle ne céda pas.
Le regard qu’il lui lança à ce moment-là, ce n’était plus celui de l’homme qu’elle avait aimé. Ce n’était même plus l’homme qu’elle avait perdu. C’était un homme qui avait pris tout ce qu’il voulait. Qui avait compris que dans ce monde, il n’y avait ni place pour les sentiments, ni pour la rédemption. Et que tout ce qui comptait désormais, c’était le pouvoir.
Et il avait ce pouvoir. Elle le savait. Et elle, elle n’en avait plus.
