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chapitre 1

La tête hors de la vitrine, je contemplais le paysage de cette belle ville pendant que le chauffeur allait à vive allure. Nous étions déjà en retard pour l'école. Je regardais l'étendue de la mer et la noirceur du sable qui la bordait. C'était magnifique, tout le contraire de ma vie.

À l'école, nous étions arrivés. Le chauffeur n'allait pas bien loin. Il sillonnait dans les alentours de l'établissement car mère avait constamment qu'on disparût. Elle nous avait sous ses radars à toute heure par le biais des enseignants, ses amis. Un manque d'information à notre propos pouvait lui être fatale.

Dans mon esprit naïf, je m'étais dit que si je trouvais une activité rapportant autant ou plus que ce qu'elle me faisait faire pendant mes nuits, j'allais certainement être épargné de ce supplice.

J'avais pris ces antibiotiques magiques qu'elle avait l'habitude de nous donner lorsqu'on recevait un client brutal. La douleur se dissipait d'un coup. Elle soignait ces douleurs de la peau mais celles de mon cœur étaient sans cesse croissantes. Plus les jours passaient, plus je savais que je n'allais pas supporter cet endroit où j'étais depuis six mois déjà.

Ils m'avaient récupéré dans la rue, errante comme depuis toujours. Je n'avais toujours eu que des toits éphémères pour m'abriter. Des parents, j'en avais, ou pas. Je n'en savais pas grand-chose. Par moment, un orphelinat m'accueillait et me faisait fréquenter. J'avais au moins ce BEPC dans les archives. N'aimant pas rester au même endroit, je finissais toujours par m'enfuir.

L'enseignant de ce matin m'observait. Mon esprit était vagabond, il l'avait bien remarqué. Cessant ses explications qui passaient dans mes oreilles comme un rêve, il vint vers moi. Je ne me rendis comte de sa présence que lorsqu'il frappa fortement sa main sur ma table. D'un bond, je sursautai.

Alida : oui monsieur, il y a quoi ?

-il y'a que vous êtes dans les nuages pendant que je dispense mon cours. Est-ce que c'est normal ?

Je ne lui répondis pas. J'étais Encore ailleurs. Mon esprit était dirigé vers cette fille qui avait un paquet de biscuit dans le sac, attendant la pause pour les vendre. Je me demandais ce que cela pouvait lui rapporter par jour. L'enseignant se mit en colère à cause de mon indifférence. Je fus puni.

-puisque je suis tellement inexistant que même devant toi je suis ignoré, prends tes affaires et sors de ma classe.

Sans lui répondre, je pliai bagages et sortis. Ces études n'étaient pas mon coup de cœur. Je me sentais emprisonné tous les jours de ma vie, tant dans cet endroit qu'à la maison. Cette maison, la maison des horreurs.

Mère s'était portée garante des jeunes filles égarées et errantes. Elle était saluée et respectée en tout lieu. Les femmes et les enfants l'admiraient. Il fut un temps, moi aussi je l’admirais, sa sachant pas ce qu'était réellement cet endroit.

À l'extérieur de ma salle, un couloir prolongé donnait aux escaliers. Seulement, tous les enseignants se trouvant dans les salles de classe bordant ce couloir attendaient la moindre faille pour informer mère. Je ne pouvais que rester devant ma salle de classe, attendant que l'enseignement revînt sur sa décision.

Collé contre le mur, la tête levée, je pensais, je rêvais. Je rêvais de ce jour où j'allais être libéré de ce piège de la vie. Ma vie dans la rue était dangereuse mais paisible. M'échapper n'était plus une solution, j'avais déjà atteint la nième tentative.

Lasse d'attendre, je commençai à marcher le long du couloir, sans me soucier de ces enseignants à la langue pendue. Jusqu'au bout du couloir, je ne fus interpellé par personne. Je continuai bon bout de chemin sans me retourner. Jusqu'au bas des escaliers, mon nom n'avait pas été prononcé.

J'étais déjà à l'extérieur du bâtiment mais le portail était gigantesque. Tout ce que je voulais en ce moment c'était de le traverser même si je savais que j'allais être retrouvé à l'instant.

J'avançai jusqu'au portail, celui des élèves. Je le poussai, il était ouvert. C'était un miracle. Le portier n'y était pas, la cour et les alentours étaient vide d'Homme. J'étais à l'extérieur de l'établissement. Je soupirais encore lorsqu’un ‘'hé, toi la, retourne à l'intérieur'' sonna dans mes oreilles.

Mon réflexe de fille de la rue prit le dessus. Une course sans frein me propulsa dans un champ de hautes herbes en face de l'établissement. Sans savoir où j'allais, je courus encore et encore jusqu'à n'en avoir plus de souffle. Cette route m'avait conduit à la plage au sable noir. Pendant les heures d'école, cet endroit était vide de personne. Je devais me cacher, je devais fuir. Alors que je cherchais une cachette, une femme placée devant un bar de place m'interpella. J'allai vers elle. Elle était couramment appelée Ma’a Jacqueline. D'elle, je ne craignais rien.

Alida : oui maman, tu m'as appelé

Ma'a Jacqueline : tu fais quoi ici, ma fille ? Pendant les heures d'école tu es ici ?

Alida : l'enseignant m'a chassé. Je ne voulais pas rester là-bas à ne rien faire. Je veux un petit travail pour pouvoir manger le soir.

Ma'a Jacqueline : tu peux faire quoi ici ? Tu peux laver les assiettes pour attendre mes clients du soir. Je vais te donner à manger et des sous en soirée. Ça te va ?

Alida : tu vas vraiment faire cela pour moi ? Merci beaucoup.

Ma'a Jacqueline : même si je pense que tu devrais retourner en cours. Peut-être ton professeur pouvait revenir sur sa décision et te remettre en salle. Il t'a chassé pourquoi ?

Alida : pour rien comme ça.

Ma'a Jacqueline : vous êtes toujours comme ça. Tu veux par-là me dire que l'enseignant t'a chassé comme ça sans aucune raison ? C'est possible ça ?

J'étais encore plus étonnée qu'elle. Elle me sourit et me débarrassa de mon sac à dos. Elle fut étonnée de le sentir tout léger.

Ma'a Jacqueline : tu n'as pas de cahier ? Tu es sûr que c'est à l'école que tu partais ?

Alida : oui maman, je suis en tenue de classe.

Ma'a Jacqueline : en tout cas, travail vite et rentre chez toi. Il ne faudrait pas que votre mère Thérésa arrive ici avec ses airs de grande dame pour me créer des problèmes. Tu vas rentrer à l'heure du retour des classes. Tu n'as donc pas assez de temps.

Cette femme avait un attachement particulier à l'endroit de notre mère. Elle passait son temps à la critiquer dans tous les coins de la ville mais lui portait toujours une grande affection. Pendant les jours sombres de mère, Ma'a Jacqueline ne manquait de lui apporter le soutient donc elle avait besoin. Je n'avais jamais compris cette relation. Je me contentais de profiter de cette gentillesse qu'elle portait à mon endroit.

Accroupi sur le sol, un petit pagne autour de mes hanches, je lavai les plats sales dans une eau et les rinçais dans une autre. Par moment, je changeais les eaux lorsque je les trouvais trop usées.

Pendant des heures, je nettoyais ces plats, cuillères et fourchettes que des inconnus allaient payer pour y contenir leur poisson braisé. C'était la spécialité de Ma'a Jacqueline. Depuis fort longtemps, depuis mon arrivé dans cette ville, elle exerçait ce métier. Sa renommée allait de porte en porte. Sa popularité était sans limite dans cet endroit.

Pour la première fois depuis plusieurs jours, je dansais, secouant mes petites fesses. Je chantais, riant par moment. Je me sentais heureuse dans cet endroit. Ma'a Jacqueline nettoyait le poisson qui allait être braisé en soirée. À peine elle avait fendu un poisson qu'il était prêt pour la braise. Sa rapidité était tout simplement épatante. Je me perdais parfois à la regarder sans jamais m'en lasser. Elle se sentait comme toute personne admirée mais ne cessait de me rappeler l'heure.

Ma'a Jacqueline : bientôt c'est l'heure de partir. Cesse de me regarder et termine rapidement les assiettes. Il y'a un plat pour toi dans la cuisine.

Entendre que j'allais manger était encourageant alors je fis vite, encore plus vite. Ayant terminé, je courus à l'intérieur chercher mon plat. Elle habitait dans cette petite case à deux pièces, collée au bar où venaient picoler jeunes et vieux en soirée. Elle avait choisi cette vie selon les dires. Jusque-là, cette histoire était toujours mystérieuse dans ma tête. Au-dessus de mes dix-huit ans, je ne cherchais d'ailleurs aucune explication. Je courus dans la cuisine et portai mon plat de nourriture. Un petit poisson braisé, deux rouleaux de ‘’miondo’’ de chez nous et un piment huilé qui faisait rougir mon plat. Mon cœur battait d'appétit.

Je m'installai sur sa petite table et mangeai sans faire de bruit. Dès que je finis mon plat, Ma'a Jacqueline vint me remettre quelques sous, une somme de cinq cent francs en guise de remerciement. Je ne manquais de rien mais de savoir que c'était ma paie pour mon dur labeur me rendait joyeuse.

Elle me regardait savourer les arrêts de poisson dans mon plat. Elle me souriait.

Ma'a Jacqueline : il faut laver les mains et tu pars. C'est mieux qu'on ne te cherche pas trop. Votre mère va me créer des problèmes.

Alida : je ne peux pas rester ici une fois ? Je ne veux pas retourner là-bas.

Ma'a Jacqueline : pourquoi ? Vous vivez mieux là-bas. Il faut partir, je ne peux pas m'occuper de toi comme elle le fait. Pars, ma fille. Prends la moto.

Elle me donna deux cent francs de plus. Je venais de gagner le jackpot de la journée. Triste de partir mais heureuse pour mon gain, je marchais en sautillant. Emprunter une moto était bien loin de mes intentions. Je voulais montrer à mère que j'étais tout à fait capable de m'en sortir sans avoir à faire ce travail honteux.

J'arrivai devant notre gigantesque maison. Elle avait été construite par de grands hommes pour abriter les jeunes filles comme moi. Le monde était juste loin d'imaginer ce qui s'y passait réellement.

J'avais sautillé jusqu'à l'intérieur du portail. À mon arrivé, mes deux sœurs, Aïcha et Belinda, étaient toutes deux à genoux sous le soleil brûlant de l'après-midi. Le chauffeur aussi était à genoux. La plus féroce, Belinda, ne manqua de me rouer d'insultes.

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