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Chapitre 7

Mirabel

JE RETROUVAI MA COUSINE dans la cuisine, à se préparer une omelette. L'odeur des œufs frits emplissait la pièce, et malgré ma mauvaise humeur, la faim tenaillait mon estomac.

Contrairement à la plupart des gens, plus j'étais sur les nerfs, plus j'avais faim.

- Salut, toi, lança ma cousine en levant les yeux de la poêle.

Je saisis une brique de jus d'orange dans le frigo.

— Tu en veux ? proposai-je en versant le jus dans un verre.

Elle déclina, puis éteignant le gaz, ajouta :

— Tu as mangé ?

— J'ai avalé du pain grillé au petit-déjeuner. Ne t'inquiète pas pour moi.

- Oh, mais sers-toi ! J'en ai fait beaucoup trop.

Je m'efforçai de sourire. J'avais le moral dans les chaussettes.

Comment en étais-je arrivée à m'attacher à Ethan ? C'était juste un plan cul.

Un super plan cul, et rien d'autre. Et maintenant j'ai le cafard.

Sheridan débarrassa la table de ses livres, factures, journaux et y plaça deux assiettes.

— Alors, pourquoi tu n'es pas venue hier soir ?

— Je me suis endormie... s'excusa-t-elle en me servant. Pardon, j'avais vraiment envie de venir. C'était bien ?

— Le public a bien réagi à mes chansons.

Ses sourcils se haussèrent :

- Tu n'es pas rentrée ici...

- Ethan était là...

Je commençai à jouer avec ma nourriture.

- Et j'ai fini à l'hôtel familial. Dans son penthouse.

Le visage de Sheridan s'éclaira.

- Oh, ça devait être classe !

Je hochai lentement la tête tout en dégustant mon thé.

— Alors pourquoi tu fais cette tête-là ?

Je soupirai.

- C'est un sacré bordel. J'ai couché avec le diable.

— Quand même, tu as dû prendre ton pied. Je suis sûre que le diable baise mieux que l'autre, là.

— Jésus, tu veux dire ? m'étonnai-je en grimaçant. Ça va pas, de dire des trucs pareils ?

Elle éclata de rire.

— Qu'est-ce que t'en sais? Tu es agnostique, ça ne devrait même pas t'offenser.

- Non, soufflai-je. Non, effectivement.

Du bout de ma fourchette, je détachai un morceau d'omelette que je positionnai sur une tranche de pain.

- Elle est bonne, au fait, avouai-je en mordant dedans.

- Merci. Alors pourquoi tu t'énerves comme ça ?

— Parce qu'Ethan est un promoteur sans scrupules. Il représente tout le contraire de mes convictions. Ah, si seulement c'était pas un si bon coup !

Ça fit rire ma cousine.

- Accepte les choses comme elles sont, Bel. Tu ne vas pas changer le monde.

J'expirai bruyamment.

- Non. Mais je peux au moins essayer de faire ce qui me semble juste.

- En t'interdisant de coucher avec des milliardaires sexys ?

Mon téléphone sonna, et je jetai un œil.

C'était un message d'Ethan : J'ai passé une nuit extra. J'adore ta musique.

Bridesmere n'est pas vraiment Bridesmere sans toi.

J'esquissai un sourire qui fit réagir Sheridan :

- Quand on parle du loup, pas vrai ?

J'acquiesçai puis rangeai mon téléphone sans renvoyer de message.

Les yeux de Sheridan s'écarquillèrent.

— Tu ne lui réponds pas ?

- Non, affirmai-je en carrant les épaules.

Nous étions trop différents. Certes, nous avions passé un bon moment au lit. Bon d'accord, mieux que bon : incroyable. Mais je devais me montrer réaliste : les hommes comme Ethan ne s'attachent pas a une seule femme. Et si je n'y prenais pas garde, je risquai de tomber amoureuse et de souffrir.

Je me noyais déjà dans une mer d'émotions en tentant de me dire que ce n'était que du sexe, alors qu'en réalité, je ne cessai de penser à sa façon de m'embrasser avec douceur, de m'enlacer en dormant, de me caresser les cheveux du bout des doigts, de me regarder presque timidement dès que je l'observais. Si vraiment ce n'était que du sexe, alors pourquoi s'encombrer de tendresse ?

Les yeux me piquèrent. Je m'étais déjà attachée à lui. Et ce n'était pas à cause de ces orgasmes multiples.

Je continuai à manger pendant que Sheridan me dévisageait, comme si j'étais devenue soudain folle. Je la soupçonnais de me vouloir en couple avec Ethan pour se réconforter, comme lorsqu'elle lisait des romans d'amour pleine de ces promesses inévitables d'amour éternel.

Mais bon, on était dans la vraie vie, et dans la vraie vie les femmes telles que moi ne finissaient pas avec les hommes tels qu'Ethan

Lovechilde.

- Alors, est-ce que tu vas au moins le revoir ? questionna ma cousine.

— C'est inévitable : on habite le même village.

Elle secoua la tête.

— Tu es dingue. Je veux dire, qu'y a-t-il à craindre ?

Je haussai les épaules.

- Je déteste voir comme je me laisse atteindre par lui. On n'a passé que deux nuits ensemble, et me voilà, le cerveau en vrac.

Ma voix se brisa. Merde, pas les larmes. Je suis plus forte que ça.

— C'est ce qu'on appelle l'amour.

— Je ne crois pas.

Je quittai la table avant de perdre la face. J'avais l'habitude d'être dans le déni, alors je fis bonne figure et éradiquai toute pensée concernant Ethan.

— Je dois aller me changer. J'ai un enregistrement cet après-midi.

ORSON OUVRIT LA PORTE rouge de sa maison à deux étages de Chelsea et me gratifia d'un baiser sur la joue en guise de salutation.

Je le suivis dans le long couloir, où des albums des années soixante-dix de Bowie, T Rex, Lou Reed et autres étaient encadrés aux murs.

Ne voyant pas ses deux enfants courir comme des fous dans toute la maison, je risquai :

- Ta petite famille est là ?

- Non. Les gosses sont avec leur mère.

Je le regardai avec circonspection.

— Vous êtes séparés ?

Il hocha lentement la tête, avant de préciser :

— Je te l'avais annoncé.

Je le suivis dans sa cuisine, qui donnait sur un jardin envahi par la végétation.

— Tu veux du thé ? offrit-il.

- Bien sûr, acquiesçai-je en posant ma guitare et mon sac à dos.

Il me versa une tasse.

— Tu as bien joué hier soir.

- Merci, répondis-je avec un sourire.

Après quelques bavardages, nous nous dirigeâmes vers son studio, nos tasses de thé à la main.

Orson vivait pour la musique sous toutes ses formes. Musicien de talent, il s'attelait davantage à encourager des artistes en herbe en travaillant comme producteur et manager, ainsi qu'en gérant le Green

- Et Ethan Lovechilde ? m'interrogea-t-il une fois derrière sa vitre, détachant ses yeux de sa console.

- On a grandi ensemble.

J'essayai de rester calme tout en accordant ma guitare.

Orson ajusta quelques boutons de sa console de son.

— Il avait plutôt l'air d'en pincer pour toi. Je le comprends !

Relevant les yeux vers moi, Orson m'adressa un sourire suggestif C'était un charmeur, du genre aimant à femmes. Je n'en revenais pas qu'il soit resté marié aussi longtemps.

- Je pense qu'on devrait commencer par la ligne de chant, recentra-t-il pour passer aux choses sérieuses.

J'aimais ça chez lui. Professionnel avant tout, minable ensuite.

Pendant deux heures, nous travaillâmes sans relâche. Le temps filait à toute allure lorsque j'étais absorbée par la musique. Et après trois prises, je finis par proposer une performance parfaite de Song of the Sea, mon morceau préféré.

Orson me gratifia d'une expression satisfaite.

- On le tient ! Que penses-tu du son ambiant de l'océan qui se mêle au fondu vocal ?

- J'aime ça, déclarai-je en réécoutant le morceau. Tu ne trouves pas que ça fait trop Riders on the Storm ?

Il leva les mains en l'air.

— Peut-être un peu. Mais bon, pourquoi pas ? C'est sympa d'avoir cette ambiance océane. Tu ne trouves pas ?

Je ne pouvais qu'être d'accord : le hurlement du vent et le rugissement des vagues conféraient une certaine profondeur à la chanson.

Orson s'étira, se leva puis sortit un joint :

- Ça te tente ?

Tout en rangeant mon carnet écorné rempli de poésie et de paroles, je secouai la tête :

— Je suis plutôt fatiguée.

Il attrapa une bouteille de bière dans le réfrigérateur du bar et m'en proposa une.

Je déclinai, optant plutôt pour de l'eau.

— Sacrée soirée avec ton richard ? gloussa-t-il alors que je le suivais dans la cour.

- On peut dire ça.

Je connaissais Orson depuis assez longtemps pour ne pas jouer la carte de la timidité.

— Pourquoi cet air si triste, alors ?

Il avait un sourire de clown triste.

Je me couvris la bouche pour étouffer un bâillement.

— Ça va, je t'assure. Je suis juste fatiguée.

Vidée par cette longue séance d'enregistrement, je ne pensais plus qu'à dormir.

— Et ce soir ? Il y a un super concert auquel j'aimerais que tu assistes.

Ça t'intéresse ?

Il tira de nouveau sur son joint et, pour une raison que je ne m'expliquais pas, mon attention se porta sur ses lèvres. Oui, Orson était un homme sexy et talentueux qui avait le bras long dans l'industrie de la musique. Si j'avais été dévorée par l'ambition, ça aurait marché entre nous. Mais je ne savais même pas si je souhaitais être musicienne pour le restant de mes jours, du moins d'un point de vue commercial.

Certes, ma créativité avait récemment pris le dessus, mais je n'avais pas vraiment réfléchi à mon avenir en tant qu'artiste.

Grâce à un petit héritage, j'étais propriétaire de mon appartement et j'avais des économies qui s'épuisaient rapidement. Jusqu'à présent, jouer dans la rue et vendre des CD me rapportait autant que faire la serveuse ou la femme de ménage, et jouer de la musique m'apparaissait comme l'option la plus agréable.

- Peut-être, éludai-je. Je verrai mon état à vingt-deux heures. Mais là, j'ai besoin de faire la sieste.

Il regarda sa montre psychédélique.

— A cinq heures de l'après-midi ?

Je haussai les épaules.

- Je suis rincée.

— Dors ici. Détends-toi. Prends un bain. Fais comme chez toi.

Il exhala un nuage de fumée.

— Je vais peut-être faire la sieste, concédai-je.

Puis, levant le doigt, je l'avertis :

— Ce n'est pas une autorisation pour me draguer !

Il rit, et ses yeux bleus scintillèrent.

- Je préfère quand le plaisir est réciproque.

- Tu étais plutôt lourd, hier soir, lui rappelai-je en m'asseyant sur le banc en bois au milieu des pots de lavande et de roses.

- J'avais bu. Désolé pour ça.

Il écrasa son joint dans un cendrier orné du logo Hilton.

— Tu as fait une bonne séance aujourd'hui. On a enregistré trois morceaux.

— Merci beaucoup de ton aide, acquiesçai-je.

— Je vais prendre ma part, n'oublie pas.

Je pensai au contrat que j'avais signé avec lui. En fin de compte, Orson était un homme d'affaires. J'espérais l'avoir cerné.

Je levai mon corps fatigué et endolori avec peine.

— Cette salle de bain a l'air sympa. On peut en verrouiller la porte ?

- Oui, confirma-t-il en secouant la tête. Mon Dieu, Bel, tu te méfies à moitié de moi, on dirait !

— Je ne réponds pas... assurai-je avec un petit sourire.

Orson était très mince, contrairement à Ethan, qui s'emboîtait dans mon corps comme une pièce de puzzle. Autant dire que même si je n'avais pas Ethan pour envahir chacune de mes pensées conscientes, je n'aurais pas autant été attirée par Orson, malgré son talent et son charme.

Je devais juste continuer à me rappeler qu'Ethan Lovechilde était mauvais pour moi, comme un en-cas sucré qu'on déguste en douce en fin de soirée et qui laisse un arrière-goût de regret coupable.

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