chapitre 6
Chapitre 6
L’air était glacé, comme un avertissement qu’elle n’avait pas su écouter. Ce matin-là, le ciel était gris, une couleur terne, un reflet du monde qui l’entourait. Tout semblait suspendu, comme si l’univers attendait, en silence, le moment où sa vie, déjà brisée, se fracasserait à nouveau. Elle ne savait pas combien de temps elle pourrait encore supporter les échos de sa propre existence, chaque instant devenant une torture, chaque pensée une flèche plantée dans son cœur. Pourtant, ce jour-là, quelque chose dans l’air avait changé. Ce n’était pas simplement le froid, ni même la douleur persistante dans ses entrailles. Non, c’était l’étreinte froide de la vérité qui commençait à se resserrer autour d’elle. Il savait. Il avait découvert sa grossesse.
La nouvelle était parvenue à ses oreilles sans douceur, comme un coup de poignard dans la poitrine. Elle l’avait vu, à la lisière de la forêt, où il l’observait en silence, son regard rempli de colère, de dégoût. Il n’avait rien dit au début, mais elle savait qu’il savait. La tension était palpable entre eux, un gouffre invisible mais réel qui s’était ouvert à ses pieds. Elle avait l’impression de marcher sur une fine couche de glace, à tout instant prête à s’effondrer. Mais elle ne s’était pas attendue à ce qu’il réagisse ainsi.
Il n’était pas là pour la protéger, pour l’aider, ni même pour comprendre. Non, il était là pour lui faire payer. Le simple fait d’être enceinte de lui, d’avoir porté cette vie qui était la sienne, le révoltait. C’était comme si tout en lui s’était brisé à l’idée d’être lié à elle de la sorte. Le dégoût qu’il ressentait était palpable, presque suffocant. Et ce jour-là, il avait choisi de se venger de la manière la plus cruelle qui soit.
Elle le trouva au centre de la clairière, entouré de la meute, ses yeux jetant des éclairs dans sa direction. Il n’y avait aucun doute : il était furieux, hors de lui. Mais ce qui la glaça davantage, ce fut le regard qu’il posa sur elle. Ce regard n’avait rien d’humain. C’était un regard de loup, brut, sans pitié. Elle savait que l’humiliation ne faisait que commencer.
Il s’avança vers elle, d’un pas lourd, imposant, et chaque pas résonnait comme une sentence de mort. La meute était silencieuse, comme un public qui attendait l’annonce d’un verdict. Elle aurait voulu disparaître, fuir loin, là où personne ne la jugerait, mais ses jambes ne bougeaient pas. Le poids de la situation la clouait sur place.
« Alors, voilà la grande traînée, » dit-il d’une voix basse, qu’elle n’avait jamais entendue auparavant. Il y avait quelque chose de froid, de calculé dans sa voix. « Tu pensais vraiment que je t’accepterais, toi et ta merde ? Tu croyais que tu serais une bonne compagne, une mère pour mes enfants ? » Il ricana, mais il n’y avait aucune chaleur dans ce rire. C’était le rire d’un homme qui se sentait trahi, trahi par ce qu’il avait fait, mais qui n’avait aucun remords de ce qu’il allait faire ensuite. « Non, tu n’es rien d’autre qu’une erreur, une mauvaise décision dans un monde qui meurt déjà d’ennui. »
Elle tenta de parler, de trouver ses mots, mais tout se heurtait à la douleur. Les larmes montèrent, menaçant de couler, mais elle se battit pour les retenir. Elle savait qu’aucune parole ne pourrait apaiser sa rage, ni même lui faire comprendre. Elle n’était qu’un jouet brisé, un morceau jeté à la merci des autres. Et aujourd’hui, il allait enfin la mettre à sa place.
« Tu pensais que tu étais plus qu’une femme, plus qu’un animal ? » continua-t-il, sa voix s’élevant dans l’air froid. « Tu ne vaux rien. Rien. Pas même une miette de ce que tu aurais dû être. » Il se tourna alors vers la meute, ses bras écartés dans un geste théâtral, comme pour annoncer la fin du dernier acte. « Regardez-la ! Regardez cette chose, cette traînée qui porte mes enfants. Elle ne mérite même pas d’être ici, elle ne mérite même pas de respirer le même air que vous ! » Il s’arrêta un instant, se tournant de nouveau vers elle, les yeux pleins de haine. « Et je vais faire en sorte que vous compreniez tous pourquoi. »
Elle voulut hurler, protester, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Tout ce qu’elle ressentait était un vide immense, un abîme de douleur. Elle avait cru, un temps, que peut-être il y avait encore une chance, qu’il reviendrait vers elle, qu’il l’accepterait malgré tout. Mais il n’y avait plus rien de tout cela. Il l’avait rejetée, et ce rejet, ce couperet implacable, la brisait encore davantage que tout le reste.
Il fit un geste brusque, et un des membres de la meute s’avança. « Emmenez-la. Elle n’a plus sa place ici. » La sentence était donnée. La meute se mit en mouvement, l’encerclant, la poussant hors du cercle. Elle avait l’impression d’être une bête, une proie qu’on chasse et qu’on abandonne à la dérive. Chaque regard qu’elle croisait était chargé de dédain, chaque mouvement de leur part plus cruel que le précédent. Elle entendait leurs murmures, leurs rires étouffés. « La traînée est virée. » « Elle mérite ce qui lui arrive. »
Elle voulait crier, les appeler à l’aide, mais il n’y avait personne pour l’entendre. Elle se sentait étrangère à ce monde, abandonnée dans une forêt de jugement. La voix du loup qui l’avait autrefois aimée résonnait dans sa tête, un écho sourd, rempli de haine.
« Tu n’es qu’une erreur, et je vais te le faire payer. »
Les mots qu’il avait prononcés continuaient de résonner en elle, dévastateurs. Et au moment où la meute la chassa définitivement, elle comprit la profondeur de ce rejet. Ce n’était pas seulement une humiliation. C’était une marque, un stigmate qui la marquerait à vie. Mais, au fond d’elle, un sentiment étrange grandissait. De la colère. De la douleur. Et, au-delà de tout cela, un besoin désespéré de fuir. De disparaître de ce monde, de cette meute, et de »’éloigner de l’homme qu’elle avait aimé et qui l’avait trahie.
Les larmes qu’elle retenait éclatèrent finalement, comme une rivière en crue, une cascade inarrêtable. Elle s’effondra, mais aucun des membres de la meute ne vint la consoler. Il n’y avait que la forêt, les arbres sombres et silencieux, pour lui offrir une forme de refuge. Mais ce n’était qu’un répit temporaire. Elle savait qu’elle était seule, plus seule que jamais.
Son monde, tout ce qu’elle avait connu, venait de se briser sous ses pieds. Et elle n’avait plus que la rage et la douleur pour avancer.
