chapitre 4
Chapitre 4
Les semaines passaient, et chaque jour semblait alourdir le poids qu’elle portait en elle. Ce n’était pas seulement le rejet de son compagnon, ni même la moquerie de sa meute qui la dévorait lentement. C’était cette sensation, sourde, mais constante, de quelque chose qui grandissait à l’intérieur d’elle. Elle aurait voulu l’ignorer, faire semblant de ne rien ressentir, mais son corps, lui, ne mentait pas. Les signes étaient là, évidents, cruels dans leur vérité. Elle était enceinte.
Cela faisait des jours qu’elle se réveillait, la nausée au ventre, un malaise étrange qui la secouait dans ses plus profonds recoins. Elle avait d’abord cru à un simple dérèglement, une réponse de son corps à la pression des événements. Mais chaque jour, cette certitude se renforçait. Elle était enceinte. Et cet inconnu, celui avec qui elle avait partagé une nuit d’abandon, était probablement le père. Pourtant, elle savait, d’une manière qu’elle ne pouvait expliquer, que ce n’était pas lui qui reviendrait pour prendre part à ce qu’elle portait. Elle se sentait seule, terriblement seule.
Les mots de son compagnon résonnaient encore dans son esprit, aussi violents et implacables que des pierres jetées dans une mer calme. Il l’avait rejetée sans retour, sans aucune pitié. Il l’avait abandonnée au milieu de la meute, un paria, un fardeau qu’il n’aurait jamais voulu porter. Et plus elle réfléchissait, plus elle réalisait que son propre corps ne cessait de l’enfermer dans ce secret grandissant, dans cette vie qu’elle ne voulait pas.
Les regards se faisaient de plus en plus insistants, plus lourds, plus oppressants. Les rires moqueurs de la meute s’intensifiaient. Elle était devenue une cible facile, un exutoire pour toutes les frustrations et rancœurs qu’ils ressentaient. La meute, dans sa grande majorité, l’avait toujours méprisée. Mais aujourd’hui, elle était devenue la honte vivante, le souvenir du désastre. Elle n’avait jamais eu sa place parmi eux, et la grossesse ne faisait qu’accentuer ce sentiment de rejet.
Elle avait cru, naïvement, que la souffrance s’arrêterait un jour, qu’elle pourrait trouver un peu de réconfort dans une nouvelle situation, même si ce réconfort ne venait que d’un bref instant. Mais au contraire, c’était comme si son existence même était désormais une insulte à leur bien-être. Elle devenait le bouc émissaire de tous leurs malheurs, la fille que l’on pointe du doigt.
Elle se rendait à peine compte des regards qu’elle croisait sur son chemin. Ce n’étaient plus des regards bienveillants, de ceux qu’elle avait connus dans ses jours plus heureux. Non, maintenant, ce n’étaient que des jugements silencieux, des murmures sourds, des regards perçants qui semblaient la perforer. Elle n’était plus qu’une erreur ambulante, une fausse note dans une mélodie trop parfaite pour être gâchée.
L’un d’eux, particulièrement, semblait vouloir la faire payer. Ce loup de la meute, un de ceux qui avait toujours trouvé un moyen de l’humilier, s’amusait à la suivre discrètement, à se glisser dans son dos, pour lui murmurer des insultes et des moqueries. Il n’y avait pas un jour où il ne faisait pas allusion à son état, comme si tout cela ne suffisait pas à la détruire un peu plus. Chaque mot était un poison qu’il lui soufflait à l’oreille. Chaque silence, une pression insupportable.
Un après-midi, alors qu’elle se rendait à la rivière pour échapper à la tension, le même loup s’approcha d’elle, sans la moindre gêne. Elle le sentait derrière elle avant même qu’il ne parle, son souffle lourd dans l’air. Il se pencha près d’elle et, d’une voix dédaigneuse, murmura :
« Alors, comment se porte la future mère de l’imbécile ? Tu crois qu’il reviendra ? »
Les mots la frappèrent comme une gifle. Elle se figea, la douleur traversant ses entrailles, et tout ce qu’elle réussit à faire fut de le regarder dans les yeux. Un regard vide, sans une seule lueur d’espoir. Elle voulait crier, lui répondre, mais la morsure de la honte l’empêcha de bouger. Il savait. Ils savaient tous. Et rien ne pouvait effacer cette réalité.
Elle tourna les talons sans répondre, mais la morsure de ses mots resta en elle, profonde et implacable. Elle n’avait pas d’autre choix que de fuir cette humiliation quotidienne. Elle s’éloigna, chaque pas plus lourd que le précédent, et se retrouva au bord de l’eau, seule, loin des yeux de la meute. Mais l’humiliation, elle, ne s’éloignait pas. Elle l’accompagnait, comme une ombre invisible, la suivant partout où elle allait.
Ce n’était plus simplement de la douleur, de la colère ou de la frustration. C’était une solitude insupportable. Une solitude qui l’envahissait à chaque instant, un vide qu’elle ne parvenait plus à combler. Elle se sentait comme un oiseau en cage, sans issue, sans réconfort. Même ses propres pensées semblaient l’abandonner, la laissant dans une mer de confusion, de peur et de désespoir.
Un matin, alors qu’elle se tenait seule dans la forêt, essayant d’échapper à tout cela, la déesse de la lune sembla lui rendre visite. C’était étrange, cette sensation qui la saisit, comme si l’air lui-même devenait plus lourd, plus chargé de pouvoir. Elle ferma les yeux un instant, se concentrant sur cette énergie étrange. La déesse lui parla, mais ce ne furent que des murmures, des mots doux, qui résonnaient en elle.
« Tu es plus forte que tu ne le crois », lui dit la voix. « Ne laisse pas la douleur détruire ce que tu es. »
Mais à quoi bon ? Elle avait perdu toute foi en elle-même. Tout ce qu’elle voulait, c’était fuir, disparaître de ce monde qui semblait la rejeter à chaque instant. La déesse de la lune savait-elle seulement à quel point c’était difficile ? À quel point cette solitude lui pesait ?
Elle tourna le dos aux paroles de la déesse, l’âme vide. Elle avait cessé d’espérer. La meute la rejetait. Son compagnon l’avait rejetée. Et ce secret grandissant en elle ? Il était la dernière chose qui la maintenait encore dans ce monde. Mais il n’était pas un cadeau, pas un miracle. Il était un fardeau. Un fardeau qui la traînait dans les abysses de la honte.
Elle savait qu’il fallait qu’elle parte. Que de toute façon, il n’y avait plus rien ici pour elle. Elle n’était pas la bienvenue, et elle n’était plus assez forte pour supporter les regards. Elle devait fuir. Mais fuir où ? Où aller lorsqu’on n’a plus de place nulle part ?
Le monde semblait s’éteindre autour d’elle. La meute, son compagnon, la déesse elle-même, tout cela n’était plus qu’un lointain souvenir. Tout ce qui restait était ce secret grandissant, cette vie qu’elle portait en elle. Une vie qui, à elle seule, la condamnait à une existence d’ombre.
