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Chapitre 5

Étonnamment je suis moins stressé qu'on aurait pu le croire. Évidemment je le suis tout de même, je reste à plusieurs milliers de kilomètres de ma fac et de mes amis. Pourtant je parviens sans trop de difficultés à relativiser. Ça, plus l'adrénaline qui y joue un rôle non négligeable. Ça fait des mois que je me suis préparé à intégrer cette fac, plusieurs semaines que je suis aux États-Unis et que je ne parle pratiquement plus qu'anglais à longueur de journée. Il y a un an de ça j'aurai sûrement été paralysé par le stress et cette sensation que ma différence me rendrait beaucoup trop voyant aux yeux de tous. Mais plus aujourd'hui.

J'ai changé, mûri, et je continue de le faire.

— Comment va mon poussin préféré ?

— Poussin ? Ce n'est pas le coq l'emblème de la France ?

— Et ? Avoue qu'il est plus mignon qu'un coq quand-même.

— Moi vivante je ne dirai jamais d'un mec qu'il est mignon.

— Leo, Max... il est juste en face de vous. Ayez l'air normal pour une fois. Juste une ?

Je m'arrête à quelques pas d'eux, clignant plusieurs fois des yeux sans le vouloir après m'être reçu ce torrent d'exclamations s'enchaînant à toute vitesse. La fille du milieu, une grande asiatique ne passant pas inaperçue avec ses cheveux à la garçonne teints en rose, plisse les yeux en me fixant. C'est avec elle que Leo s'est lancé dans une partie de tennis de table verbale à mon arrivée. Je sais qu'il faut que je dise quelque chose à mon tour, n'importe quoi, mais celle-ci ne m'en laisse tout simplement pas le temps. Elle se tourne vers Leo à sa droite tout en avançant un doigt accusateur dans sa direction :

— Tu avais dit qu'il nous comprendrait parfaitement. Comment je suis censée me faire un ''nouveau pote ultra chou'' s'il ne nous comprend même pas ? Pire, s'il ne parle pas ? Oh merde, il est muet c'est ça ? Ou sourd ? J'ai gaffé à quel point ?

Leo explose de rire, bientôt suivi par la deuxième fille. J'avoue que l'idée de jouer à celui qui ne comprend pas est tentante sur le moment, je suis même sûr que Leo n'attend que ça de ma part. Mais je ne suis pas sadique à ce point, aussi je la rassure presque immédiatement, n'arrivant cependant pas à réfréner mon sourire quelque peu moqueur :

— Je suis censé répondre dans l'ordre ? Je vais très bien, presque impatient en fait. Oui, c'est le coq l'emblème de la France, pas le poussin.

Je me tourne à ces derniers mots vers Leo pour m'adresser directement à lui et sur le même ton amusé :

— Je t'interdirais bien de m'appeler comme ça, je ne suis pas la Harley Quinn de ton Joker, mais bon... mon petit doigt me dit que tu te fiches de mon avis.

Il lève son pouce dans ma direction, me faisant clairement passer le message qu'il n'est pas prêt d'arrêter, alors je lève bien ostensiblement les yeux sans pour autant me départir de mon sourire. Puis je refais face à celle arborant les cheveux roses, dont je ne connais toujours pas le prénom, juste le diminutif de 'Max'.

— Oui, je comprends à peu près tout ce que vous dites. Je suis habitué à l'accent américain et j'ai pas mal de pratique maintenant, mais si vous pouviez juste ralentir rien qu'un peu quand je suis là, le français en moi apprécierait beaucoup. Je ne veux même pas savoir l'histoire derrière ''pote ultra chou''. Et donc pour finir, je ne suis ni muet ni sourd.

Cette fois-ci ce sont tous les trois qui me regardent en clignant des yeux sans réagir. Je voudrais rire mais je ne suis toujours pas convaincu que ce ne serait pas déplacé. Leo est le premier à reprendre ses esprits, enfin. Il vient me prendre brièvement dans ses bras, me donnant plus une accolade amicale avant de se tourner vers ses deux amies :

— Les filles, c'est mon Raffa ! Poussin, je te présente Maxine et Amber.

Je peux donc mettre un nom sur cette fille aux cheveux roses, Maxine. Elle me sourit sincèrement, n'étant pas le moins du monde gênée même pour le quart d'une seconde. Amber à ses côtés à l'air beaucoup plus posée, mais toute aussi souriante. Elle représente sans aucun doute la touche de douceur nécessaire à ce petit groupe hétéroclite. C'est sûrement étrange, encore plus pour quiconque me connaissant ne serait-ce qu'au dixième, et pourtant je me sens comme instantanément à ma place. Je ne les connais pas, pas même Leo au fond, mais le résultat est là. Aucune pression sur mes épaules, aucune rougeur sur mes joues. Non, rien que moi et mon sourire. Ça me va.

— Leo ? J'aurais juste une question.

— Les filles, appelez-moi Poussin-Seinsei à partir de maintenant.

— Je– Sérieusement ?

Il me regarde en haussant plusieurs fois les sourcils alors qu'on s'avance tous les quatre vers les larges grilles de l'université. Je me retiens de pouffer ridiculement devant son humour qui ne s'est pas amélioré depuis la dernière fois, lui demandant plutôt comme initialement prévu :

— Avant le début des cours tu pourrais me montrer les bureaux gérant les complexes sportifs ? Je suis déjà venu ici, mais j'avoue être incapable de retrouver seul le chemin.

— Je déteste te décevoir Raffa, mais je suis tout autant au rang de p'tit nouveau ici.

— Je dois y aller aussi, je peux te montrer si tu veux.

Je me tourne vers Amber à ses mots, qui elle me sourit largement en contrepartie. Je hausse alors les sourcils, curieux.

— Tu es inscrite dans une discipline ?

— Une bonne partie des étudiants le sont ici. C'est gratuit, de qualité, et le campus propose un large choix. Tu as devant toi la vice présidente des Cheerleaders. Et toi ? Qu'est-ce qui t'intéresse ?

— La course. C'était la condition pour que mon semestre ici soit accepté, pouvoir intégrer une équipe de relai.

— Un athlète alors ?

Pour la première fois de la matinée je rougis devant le terme employé. Techniquement oui, j'en suis un. L'équipe de France n'est pas accessible au premier venu, j'en suis parfaitement conscient. Mais ce serait beaucoup trop me vanter et me mettre en avant que d'approuver aussi évidemment.

— Disons que je me débrouille, mais que mon niveau s'entretient.

— La réplique parfaite pour un athlète.

Mes joues continuent de se colorer alors que je lui sers un sourire crispé en retour. La fausse modestie n'était certainement pas mon but non plus. Elle ne semble pas s'en formaliser pour autant, continuant de me regarder de son petit air simple et accueillant. Or je n'ai pas le temps de m'y attarder, tournant la tête aux exclamations de Maxine et Leo à nos côtés. Ils parlent vite, autant avec leur bouche que leurs mains, aussi je fronce les sourcils autant de concentration que d'interrogation. Il me faut quelques secondes pour comprendre que ce à quoi j'assiste semble plus de l'ordre du débat que de la discussion civilisée, Captain America et Tony Stark en étant le sujet central. Un rire cristallin s'élève de l'autre côté, dans la seconde qui suit Amber me tirant par le bras pour s'éloigner.

Je la laisse me guider en toute confiance, presque les yeux fermés. Presque, puisqu'en réalité c'est tout le contraire. Je dévore tout ce qui m'entoure du regard, à tel point que je ne serais qu'à peine surpris de savoir que de grosses lettres rouges se sont imprimées pendant ce laps de temps sur mon front, stipulant de mon statut de nouveau. Pourtant je suis déjà venu ici, à deux reprises. Mais cela n'a rien de comparable avec aujourd'hui. La première remonte à plusieurs mois, lors de mon premier séjour aux États-Unis en compagnie de Malo. Des étudiants étaient certes présent, mais dans un nombre nettement moindre. La seconde remonte à à peine une semaine, et cette fois-ci il n'y avait pour ainsi dire personne. Rien à voir avec aujourd'hui en somme.

Le campus est énorme, à l'image d'une petite ville en interne. Aux bâtiments des cours et des résidences déjà imposants s'ajoutent ceux pour la restauration et même des magasins. Il n'y a pas à dire, les américains ne trichent pas avec le concept de démesure. Surtout qu'à l'heure actuelle les allées sont carrément remplies d'étudiants, de tout âge qui plus est.

Je continue de suivre Amber, qui semble pour sa part aussi à l'aise qu'un poisson dans son courant d'eau favori. Seulement elle me laisse bien trop vite à mon goût, nos disciplines différentes n'étant pas gérées par la même administration. En arrivant seul en vue du terrain d'athlétisme, je dois me faire violence pour ne pas entrouvrir ridiculement la bouche. Si je me trouvais dans un cartoon, un filet de bave en descendrait à coup sûr. Le terrain en tant que tel n'a rien d'extravagant. Il est de taille réglementaire, bien entretenu. L'on sait rien qu'à le regarder que le parcourir est agréable. Mais ce n'est pas ce qui motive mon air béat. Je ne peux tout simplement m'empêcher de penser à la chance qu'ont ceux étudiant ici. Je ne saurais dire à quel point j'aimerai pouvoir moi aussi sortir de cours pour directement atterrir sur la piste de relai.

C'est néanmoins légèrement avec la boule au ventre que je me force à avancer vers le bureau se trouvant en bordure. Je sais que le coach a déjà entendu parler de moi, et pas qu'un peu. Accueillir un élève de mon niveau est une responsabilité. Un dossier tel que le mien ne peut juste être transféré de mains en mains, même sur une courte période, sans précautions préalables. Mais notre coach a eu l'air satisfait de ses discussions avec l'entraîneur d'ici, alors je lui fais une confiance aveugle. Je l'ai toujours fait, et jusqu'ici cela n'a eu pour conséquence que de m'amener au plus haut niveau.

En entrant dans le-dit bureau, je suis soulagé de ne trouver qu'un homme, seul. Derrière son ordinateur il ne fait absolument pas attention à mon entrée, paraissant faire face à un problème. Ses sourcils sont froncés à l'extrême et une de ses jambes ne fait que tressauter sous son bureau. Je suis tenté de revenir discrètement sur mes pas, ayant beaucoup trop l'impression d'arriver au mauvais moment, comme la cerise sur un gâteau déjà beaucoup trop chargé.

Seulement je n'ai pas le temps d'entreprendre le moindre mouvement qu'il relève déjà la tête, se rendant soudainement compte de ma présence. Voyant que je ne dis rien ni ne bouge, il hausse les sourcils, me faisant signe de la main de me décider. Je toussote alors, clairement mal à l'aise et cherchant à retrouver le concept de contenance.

— Bonjour... Je suis Rafae–

— Garnier ?

Il me coupe littéralement, ses yeux s'éclairant à la seconde où mon prénom et mon accent lui parviennent aux oreilles. Je sens mes oreilles s'échauffer de cette réaction, me contentant d'hocher la tête et avaler ma salive.

— Enfin te voilà mon garçon !

Il se lève tout en parlant pour venir à ma rencontre, me tendant sa main. Ses traits paraissent instantanément apaisés, effectuant le virage à 180 degrés de me présenter un homme souriant et chaleureux. Je tends la main à mon tour, tentant dans la seconde suivante de rester parfaitement stoïque face au broyage qu'elle subit. Je ne me sens toujours pas le plus à l'aise au monde, je ne vais pas mentir. Son regard fier ne m'échappe pas et y joue pour beaucoup. Je ne veux pas devenir le trophée de quelqu'un, surtout pas. Ni avoir de traitement de faveurs ni rien de cet ordre. En France, nous faisions tous parti de l'équipe Espoir, nous étions tous logés à la même enseigne avec les mêmes bases, le même entraînement et les mêmes enjeux dans notre viseur. Je sais qu'ici les conditions vont forcément évoluer. Tout ce que je demande c'est que, malgré le caractère nécessaire de ces changements, mes repères et surtout mon sentiment de libération restent inchangés.

Ces pensées sont restées omniprésentes de ma tête, et ce tout au long de ma journée. Je n'ai pas eu l'occasion de revoir Leo ni l'une des filles, mais en contrepartie ma journée a été chargée. Je ne me plains pas. Je suis bien au contraire heureux de pouvoir me changer les idées, m'éloigner de l'appartement. Je préfère mille fois me préoccuper de mon entrainement à venir plutôt que de laisser mes pensées à nouveau vagabonder vers des sujets beaucoup plus délicats.

L'ambiance dans mon couple depuis l'appel avec ma sœur a nettement évolué. Je ne suis pas stupide, je sais que Malo et moi devons avoir une conversation, une sérieuse. Mais je crois que lui comme moi n'en avons pas l'envie. Notre bulle de ces dernières semaines était si solide et confortable à la fois, en sortir me fait autant envie que de serrer dans mes bras un cactus de taille humaine.

— Tu fais peur quand tu réfléchis.

Je sursaute légèrement au son de la voix dans mon oreille, manquant me cogner la tête dans celle de Leo penché vers moi. Je ne l'ai même pas vu arriver. Je suis assis dans un amphi faisant facilement le double de ceux auxquels je suis habitué en France, attendant mon dernier cours de la journée. Je ne m'attendais pas particulièrement à le revoir, ayant passé ma journée seul, alors autant dire que jamais je n'aurai pensé les retrouver tous les trois ici. Or la tête de Maxine apparait au-dessus de son épaule, celle-ci plaquant ses mains sur ses fesses pour le forcer à avancer. Il se redresse alors pour prendre place à mes côtés, les filles complétant la rangée.

— Il n'y a bien que le jour de la rentrée pour avoir un programme aussi chargé...

Amber soupire sur sa chaise, sa tête se renversant dans le même mouvement vers l'arrière. Maxine rebondit presque aussitôt sur sa remarque, haussant une épaule.

— Hypocrisie. Pure et dure. Dès demain les cours se feront rares, ils veulent en mettre plein la vue pour les nouveaux mais personne n'est dupe.

Je souris à leur remarque. Enfin un point de ressemblance avec la France, je crois que sur ça c'est international.

— Où est-ce que je viens de poser mes fesses au juste ?

Leo vient de me chuchoter à nouveau directement à l'oreille ces quelques mots, alors je me tourne dans sa direction pour adopter exactement le même stratagème.

— Commerce international.

— Oh donc je vois, les messes basses commencent déjà ? La partie masculine se ligue déjà contre nous ?

Vu de l'extérieur je suis persuadé que notre réaction aurait toute sa place dans un comique de situation, mais nous sursautons exactement de la même façon avant de tourner nos deux têtes vers Maxine, un air innocent au visage. Cette dernière lève bien largement les yeux au ciel tandis qu'Amber glousse, loin de cacher son hilarité.

— Laisse-moi profiter Max, j'essaie toujours de me faire à l'idée que mon poussin va passer le semestre avec m... nous.

Maxine le regarde sans bouger d'un centimètre, fixement. Amber derrière elle se décale de manière à ce qu'uniquement sa tête n'apparaisse, calquant pour le reste son attitude sur son amie et allant jusqu'à lever un sourcil. J'alterne entre les filles et Leo, mes propres sourcils se fronçant en tentant de comprendre la situation. Ce dernier lève très largement les yeux au ciel devant les filles, avant de se tourner vers moi et de poser sa main sur mon épaule.

— Elles pensent que je te drague.

Je cligne quelques secondes des yeux en le regardant, avant de me laisser simplement aller à mon hilarité, ne retenant pas mon rire spontané. Il me rejoint presque immédiatement, ce qui fait que c'est maintenant au tour des filles d'arborer un air perplexe. Je me calme cependant, le temps de laisser un sourire en coin apparaître sur mes lèvres à mesure qu'une idée prend place dans ma tête.

— Mais dis-moi... tu es célibataire alors ?

— C'est une question piège ça ? Malo se cache juste derrière-toi ?

— Réponds simplement.

— Je n'ai pas trouvé mon âme-sœur, non.

Je hoche alors la tête, mon sourire ne me quittant plus. Je sais d'ors et déjà que cette information ne tombera pas dans l'oreille d'une sourde. Les trois à côté de moi continuent de me regarder fixement, tout dans leur attitude criant « crache le morceau ». Mais heureusement pour moi je n'ai pas le temps de subir d'interrogatoire, le professeur faisant son entrée au même moment. Décidément cette journée de cours, même si elle touche à sa fin, me conforte dans l'idée que j'avais nécessairement besoin de m'aérer l'esprit.

Il me tarde de commencer la course, retrouver mon exutoire.

Seulement je sais que pour le moment l'heure du retour à l'appartement approche à grands pas, et avec elle le besoin de finalement faire face.

Foutu pour foutu.

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