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Chapitre 4

Il y a un instant de flottement autour de la table. Je ne sais pas si ce n'est qu'une impression, mais c'est comme si les bruits et les conversations incessantes autour de nous s'estompaient tout à coup. Je sais bien qu'il n'en est rien. Seulement depuis la seconde où j'ai reconnu ses traits, où mon sourire s'est de lui-même étendu sur mes lèvres, je n'arrive étrangement plus à concentrer mon attention ailleurs.

— La France craint à ce point-là pour toujours venir squatter ici ? T'as pas reçu le topo ? On a Trump, tu devrais fuir.

Ça pourrait sembler étrange, après tout je ne l'ai connu que le temps de deux bières et deux danses, et pourtant j'ai l'impression à cet instant de retrouver un ami de longue date que j'aurais perdu de vue. Mon sourire ne m'a toujours pas quitté alors que je me lève pour aller à sa rencontre. Je lui prends son plateau des mains puis le pose sur notre table, le tout ne durant qu'à peine plus d'une seconde avant de lui refaire face pour le serrer brièvement dans mes bras.

— Ça me fait plaisir de te revoir ! Le monde est petit décidément.

— Moi aussi Raffa ! Je suis un peu sur le cul par contre, donc ça ne te dérange pas si je m'assoie avec vous cinq minutes ?

Son humour a beau être merdique, il m'arrache instantanément un nouveau sourire. Je lui montre de la main le fauteuil sur lequel j'étais installé à peine quelques secondes plus tôt, lui faisant signe qu'il peut s'assoir. Je prends pour ma part place sur l'accoudoir de celui de Malo, ne manquant pas au passage de prendre mon café.

— J'ai comme l'impression de passer à côté de quelque chose...

Katherine me ramène en quelques sortes sur la terre ferme. Je me tourne donc vers elle, mais alors que je m'apprête à faire les présentations Malo me devance, l'hilarité perçant largement dans sa voix.

— Kitty Kat, je te présente Leo. Lors de notre premier voyage avec Rafael, tu te rappelles du mec qui dansait avec lui sous nos yeux ? Celui dont tu m'as dissuadé de couper la tête, parce qu'il y avait selon toi trop de témoins pour s'en sortir avec un alibi plausible ? C'est ce Leo-là.

Je connais Malo par cœur, je sais pertinemment qu'il cherche uniquement à déstabiliser le nouvel arrivant. En réalité il n'a rien contre lui. Il sait très bien que tout n'était qu'un coup monté et n'a aucune rancœur réelle, il n'est pas si immature. Juste fourbe.

Leo plisse l'espace d'un millième de seconde les yeux. Seulement à peine ai-je le temps de cligner les miens que son sourire retrouve de son superbe tandis qu'il se tourne vers Katherine. Il mime de retirer son chapeau, chapeau en question inexistant, tout en s'inclinant bien bas en signe de salutations.

— Je vois que j'ai fait forte impression.

— Je suis la seule à l'appeler Raffa.

Je glousse de la réponse de mon amie et de cette possessivité enfantine, c'est plus fort que moi. Si je sais que Malo n'a aucune jalousie envers Leo, Katherine ne peut s'empêcher elle de sortir les griffes. Cette situation est de plus en plus comique. Si on m'avait dit ce matin que j'atterrirais ici, entre mon copain, un presque inconnu que je considère étrangement comme un ami et Kat, notre garde du corps attitré... disons que j'aurais sûrement eu besoin d'un temps d'adaptation pour y croire pleinement.

Leo hoche la tête vers elle, respectueux, avant de se tourner à nouveau dans ma direction.

— Bon alors, qu'est-ce qui t'amène à nouveau aux États-Unis, Raffa ?

Je retiens de justesse un nouveau ricanement, qui plus est quand j'entends à côté Katherine s'étouffer avec une gorgée de sa boisson. À peine quelques minutes qu'il s'est installé parmi nous que je ne peux déjà que me rappeler de pourquoi le courant était si bien passé entre nous plusieurs mois plus tôt.

— Ce n'est pas Trump qui m'attire, rassure-toi. Je vais passer les quatre prochains mois ici, pour mes études. Je suis inscrit pour la première moitié de l'année à la fac de commerce pas très loin d'ici. En fait pour tout te dire ma rentrée est...

— Dans deux jours ?

Il vient littéralement de me couper la parole, s'avançant pour venir s'assoir à l'extrême bord de son canapé. Voyant qu'il attend ma réponse, le regard littéralement vissé à mes lèvres, je me contente de répondre sans chercher à cacher mon air perplexe :

— Euh... ouais. Lundi.

— Dis-moi que ta fac s'appelle St Edward's ?

— Tu connais ?

— Si je connais ? Mec, c'est ma fac ! Enfin, future disons. Moi aussi je l'intègre cette année. Mais j'ai deux amis qui y sont déjà. Le monde veut vraiment nous faire passer un signe, hein ?

Je m'apprête à répondre quant à côté de moi Malo se racle très fortement la gorge, avec le naturel caractéristique d'une danseuse étoile sur un terrain de football américain. Complètement déplacé, oui. Je me tourne alors vers lui en fronçant légèrement et le temps d'une seconde les sourcils. Pour toute réponse il pose sa main sur mon genou, tout sourire. Leo alterne entre nous deux, puis vers Kat qui elle ne l'a pas lâché une seul fois de son regard scrutateur. Il se mord alors la lèvre supérieure, et j'ai beau ne le connaitre qu'à peine je suis déjà certain que c'est un réflexe chez lui quand il cherche à retenir son hilarité. Il positionne alors sa main droite sur son cœur avant de lever sa deuxième à hauteur de visage, déclarant presque solennellement :

— Je promets n'avoir aucune vue sur ce cher Raffa, aussi galbées ses fesses soient-elles.

Les réactions diffèrent. Pour ma part c'est simple, je m'étouffe. Kat, elle, explose de rire puis affirme haut et fort :

— Je l'aime bien !

Puis elle le regarde droit dans les yeux avant de répéter :

— Je t'aime bien !

Malo aussi rit, réellement amusé devant l'audace de cet inconnu sorti à deux reprises de nulle part. Il ne paraît absolument pas sur la défensive ni même vexé qu'il ait pu poser son regard sur cette partie de mon corps. Pour tout dire il hausse même les épaules, ses yeux encore rieurs alors qu'il ne se contente d'énoncer ce qui semble être la vérité la plus évidente jamais avancée :

— Je veux dire, il n'a pas tort.

— D'accord, alors sauf si vous voulez continuer à parler de mes fesses pendant enc–

Je m'arrête de moi-même de parler devant leurs regards entendus échangés. J'aurais dû m'en douter. Je suis avec les Nashenback après tout, le duo le plus sournois ayant jamais foulé cette Terre. Leo semble pour sa part aller jusqu'à ignorer le sens même du mot gêne, alors bien entendu qu'un tel sujet de discussion n'irait pas heurter ses mœurs.

— Ouais, oubliez ça. Bref. Leo, tu intègres la fac cette année ? Tu faisais quoi avant ? Tu pourrais largement être en âge de la finir plutôt, non ?

— Wo Sherlock, ça fait beaucoup de questions tout ça. Un peu de mystère dans un couple ne fait pas de mal, non ?

— Je t'aime bien mon gars, mais surveille ta langue quand-même.

La voix de Malo est descendue d'un octave, se faisant légèrement plus grave, mais ses épaules sont toujours autant détendues. Il se contente de souligner que je suis à lui, mais il n'y a pas de réelle peur ou colère derrière. Je crois que Leo est officiellement adopté de tous, en l'espace d'à peine quelques minutes. Je ne saurais dire exactement pour quelles raisons mais ça me réchauffe le cœur, je suis sincèrement heureux de le voir et heureux de cette bonne entente générale. Je le vois sur le point de rajouter quelque chose, prenant une grande inspiration, mais il se fait couper l'herbe sous le pied par une voix grave provenant du comptoir, tonnant bien fortement son prénom. Il pince alors les lèvres tout en haussant les épaules.

— Le blabla était cool, mais le devoir m'appelle. Raffa, c'est à chaque fois un plaisir. Je te contacterai pour te donner une heure et un lieu de rendez-vous pour lundi. Tu ne seras pas un poussin perdu dans ce monde de vautours aguerris.

Il nous fait un signe de tête collectif, avant de reprendre son plateau et tourner les talons à toute vitesse pour je suppose ne pas aggraver encore un peu plus son cas. Je suis un instant tenté de me poser des questions sur le pourquoi du comment il réussirait à me joindre alors même que je ne lui ai pas donné mon numéro, avant de tout simplement hausser les épaules.

— Raffa, je veux tout savoir de ce mec. Nom, prénom, statut sociale, même son numéro de sécu si ça peut m'aider.

Je prends une large gorgée de mon café encore bien chaud tout en retournant prendre place dans mon fauteuil, mais je ne manque pas par la même occasion de lancer une œillade amusée à mon amie.

— T'aider à quoi exactement ?

— Allô ? Est-ce que tu l'as regardé ? Est-ce que tu l'as écouté ? Le destin de futur star de la mode est lourd à porter, il me faudra quelqu'un à mes côtés. C'est limite s'il n'y avait pas une pancarte lumineuse avec « Âme-sœur » clignotant au-dessus de sa tête !

Cette fois-ci c'est Malo qui avale clairement de travers, ses traits se fermant alors réellement.

— Il va vraiment me mener la vie dure celui-là, hein ?

Kat lui répond d'un signe de la main, lui témoignant qu'il n'a pas son mot à dire sur la question. Toujours amusé de leur comportement et de la situation, je m'installe un peu plus profondément dans mon assise pour lui adresser en retour :

— En fait vous êtes censés le connaître mieux que moi, chers Nashenback. Il était dans votre lycée.

Ils échangent tous deux un regard perplexe et même quelque peu coupable, ce à quoi je me retiens fortement de répondre par un roulement suggestif des yeux. Prévisibles. Je poursuis donc en faisant fis de cette réaction attendue.

— Il s'appelle Leo, et si ma mémoire est bonne c'est Leo Allen. Oui, moi je fais attention aux gens. Statut social, aux dernières nouvelles il est célibataire. Je suis à peu près sûr qu'il m'a approché dans une démarche de drague la première fois, mais ça n'a pas duré plus de quelques minutes avant de devenir purement amical. C'était il y a plusieurs mois par contre, je n'avais jamais repris contact avec depuis, donc va savoir. Et numéro de sécu... vous avez ça aussi aux États-Unis ?

— Aucune idée, je trouvais juste ça cool de le caser dans la phrase. Et même si ça existe, ce n'est pas avec la patate décolorée auto-bronzée qui nous sert de président qu'on va garder ce genre de privilèges. Mais bref, on s'écarte de la vrai question là. Raffa je compte sur toi, débrouille-toi comme tu veux mais je veux savoir s'il est célibataire.

— Et j'y gagne quoi, moi, exactement ?

Malo s'esclaffe naturellement de ma réponse du tac au tac. Il se tourne vers Kat en haussant les sourcils, l'air d'avoir été pris la main dans le sac.

— Je crois que je le change, la fourberie s'insinue chaque jour un peu plus en lui.

— Adieu innocence.

— Mon cœur s'en serrerait presque.

Je les regarde, eux et leur petit cinéma. Irrécupérables. Je me racle alors la gorge, attendant réellement de savoir ce que Katherine a à me proposer, l'occasion étant beaucoup trop belle pour la laisser s'échapper. Cette dernière souffle très largement mais finit néanmoins par baisser les bras et rendre les armes. Elle doit réellement avoir eu le coup de foudre du siècle, seule explication possible.

— Très bien, t'as gagné. Tu m'arranges le coup avec ton futur pote, et j'arrête toutes mes remarques salaces sur ton couple.

Je ne bouge pas d'un millimètre suite à sa proposition, restant dans l'exacte même position, attendant simplement qu'elle ne poursuive. Il m'en faut nettement plus. Elle doit s'en rendre compte puisqu'elle continue d'une petite voix, à la limite de la supplication :

— J'arrête de vous voler des tartines et du lait ?

Malo et moi échangeons un regard vainqueur, puis comme s'il lisait dans mes pensées il se permet d'ajouter, comme portant le coup fatal :

— Et tu ne débarques plus sans prévenir au minimum une demie-heure à l'avance. Tu sonnes. Tu attends qu'on vienne t'ouvrir. Bref, tu deviens civilisée.

— Ok, ok. J'ai compris. Tout ce que vous voudrez. C'est un oui alors ?

— Je ferai de mon mieux, promis.

Elle pousse un petit cri de gamine surexcitée tout en tapant à toute vitesse dans ses mains. Je vois du coin de l'œil Malo prendre sur lui devant tant d'enthousiasme. Il a beau dire, il est exactement comme moi avec Sam. Si ça ne tenait qu'à lui, il garderait sa précieuse Kitty Kat bien au chaud pour lui éviter à tout prix de souffrir. Je suis certainement celui le comprenant le mieux sur ce point. Mais cette attitude m'a déjà porté préjudice par le passé, à Sam aussi qui plus est. Malo en a parfaitement conscience. Alors il prend sur lui, pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Je ne l'en aime que davantage.

Cette matinée se déroule décidément dans une bonne humeur dont je ne me lasse pas. En ressortant du café je ne peux m'empêcher un petit ricanement devant l'attitude de Katherine. Je ne sais pas si elle s'en rend compte ou si c'est en réalité savamment calculé, toujours est-il qu'elle se redresse de toute sa personne au moment de passer devant le comptoir. C'est limite si elle ne sautille pas sur la pointe de ses pieds. C'est pourtant purement inutile, Leo est déjà bien trop occupé par les commandes de ses clients pour faire attention à notre sortie.

Katherine nous abandonne alors très vite, préférant partir en taxi de son côté pour ne pas manquer d'être à l'heure pour son service du midi. Pour notre part nous n'avons aucun impératif avec Malo, alors nous profitons de ce retour à deux pour se promener un moment dans les rues de la ville, sans but précis si ce n'est celui de profiter. Je suis néanmoins celui énonçant la volonté d'écourter ce moment pour rentrer.

Il me tarde d'appeler ma sœur, je ne saurais dire pour quelle raison précisément mais j'ai l'impression que je dois le faire. Malo s'est gentiment moqué de moi et de mes intuitions de « mère poule ». J'avoue que la moquerie est facile, ça aurait été lui je n'aurais pas manqué cette opportunité. Seulement quoi qu'il puisse en dire, j'ai besoin de passer cet appel, ne serait-ce que pour me sortir cette idée de la tête.

Alors à l'instant même où nous sommes de retour et que sa petite bouille nous apparaît à l'écran, je sens comme un poids immense s'enlever de mes épaules. Ma sœur est là, souriante. Je m'étais donc bel et bien fait des films dans ma tête.

— Raf, Malo ! Pourquoi j'ai l'impression que ça fait une éternité que j'ai vu vos têtes ?

— Dis-toi que ça ne fait que quelques semaines et qu'il te reste encore quatre bons mois à tenir.

Malo lui lance cette constatation tout sourire, les traits angéliques. Ce à quoi ma sœur répond par un grognement dont elle seule a le secret.

— Tu crois que si je lance mon oreiller de toutes mes forces et avec toute la précision dont je sois capable, il va finir par t'arriver en pleine tronche ? Non parce que là, la tentation est grande.

— Tu peux toujours essayer. Je resterai aux aguets, promis.

Elle lui tire la langue pour toute réponse alors que je pouffe. Leur entente à ces deux-là ne fait que croître, jamais je ne serai en mesure de choisir de mots pouvant décrire à quel point cette vérité me réchauffe de l'intérieur chaque jour un peu plus.

— Tu vas bien Sam ?

À peine ces mots ont-ils franchi mes lèvres que Malo à mes côtés se gausse allègrement et sans aucune retenu. Je vois sur mon écran ma sœur froncer les sourcils au vu de sa réaction, perdue devant la banalité apparente de ma question. Je me sens alors obligé de défendre cet idiot :

— Non, il ne devient pas fou. C'est juste qu'il se moque, comme d'habitude. En fait je le bassine depuis un moment pour t'appeler. Je ne sais pas trop pourquoi, appelle ça un mauvais pressentiment.

— Ou de la surprotection de mère poule.

Monsieur s'est enfin arrêté de rire et c'est tout ce qu'il trouve à préciser. Je souffle largement et longuement dans sa direction, lui témoignant très clairement mon exaspération le concernant. Mais alors c'est une voix à laquelle je ne m'attendais pas qui m'interrompt, nous prenant au dépourvu. Gabriel.

— Ouais bah appelle ça comme tu veux Malo, mais il n'a pas complètement tort. On est au bord de la Troisième Guerre Mondiale à Paris, tout ça pour vos p'tits culs.

On réagit de manière quasiment symétrique, nos visages se refermant d'un coup alors que l'on se redresse tout deux.

— Comment ça ?

Ma bouche se fait soudain sèche. Je ne suis même pas sûr de vouloir entendre la réponse après réflexion. Je vois Sam sur mon écran faire les gros yeux à mon ami et coéquipier, puis elle se tourne à nouveau vers nous.

— C'est maman.

— Quoi Élise ?

Malo a définitivement perdu toute trace d'hilarité. Je crois qu'il est maintenant autant sous tension que moi, en l'espace d'à peine quelques secondes. Mais le sujet de ma mère est toujours resté délicat, malgré les mois passant elle n'arrive pas à se faire à l'idée de notre amour sincère. À ce moment j'en suis presque persuadé, ma sœur est sur le point de m'annoncer le divorce de mes parents.

Mais non, c'est encore pire.

— Maman est allée tout raconter à P-P. Et... ouais, Troisième Guerre Mondiale.

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