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Samedi 7 octobre 

La musique me chatouille les oreilles si délicatement que je la fredonne sans m'en rendre compte. Je n'arrive pas à décoller mon regard de la vitre qui me fait face. Quand je me suis levée ce matin, j'ai décidé de profiter de mon weekend de repos – oui vous avez bien lu, un weekend entier de repos ! – pour passer quelques heures à danser au studio. J'avais envie de m'évader mais je suis arrivée il y a plus d'une heure et je n'ai toujours pas enfilé ma tenue. Dès que j'ai passé la porte d'entrée, mon regard a été attiré par le cours que donne une professeure un peu âgée à une quinzaine de jeunes enfants. Je les observe, pensive, découvrir leur corps et d'autres manières d'exprimer leurs émotions. Je toise la prof et la manière dont elle s'y prend pour capter l'attention de ce jeune groupe volubile et leur transmettre sa passion. 

Je me revois à leur âge, frêle sur mes jambes fines mais si fière d'enfiler mon juste-au-corps et faire virevolter mes pensées. Je me souviens m'être souvent demandée ce que je ressentirais si j'étais à la place de l'enseignant. Serais-je patiente, douce, passionnée ou au contraire sévère et lassée par cette passion qui s'en irait en grandissant ? Aujourd'hui, je suis certes une adulte mais ma passion ne m'a jamais quittée. Elle m'a même permis d'affronter certaines journées plus moroses que d'autres et je ne pourrais pas imaginer ma vie sans la danse. 

Mon attention se porte à nouveau sur la femme aux cheveux grisonnants qui passe à côté de chaque élève pour ajuster leur posture ou leur prodiguer un conseil avisé. Elle a une certaine douceur qui éclaire son regard et ses gestes sont bienveillants. Tout doucement, je ferme les paupières et m'imagine à sa place, la salle grouillant de petites têtes blondes ne demandant qu'à danser. Je me vois les accompagner, les aider, les guider, les couver du regard. Je sens la passion qui m'anime se démultiplier pour s'offrir à ces jeunes enfants. Je vois ce cours comme une parenthèse dans laquelle eux comme moi pourront savourer une heure sans faux-semblant. Juste eux, moi, la musique et nos corps qui s'accordent. 

Une légère agitation à mes côtés me sort de ma rêverie. Quelques mamans sont venues assister aux dernières minutes du cours de leur progéniture. 

-Bon t'en penses quoi de cette prof remplaçante ? Elle a l'air plutôt pas mal, non ?

-Oui bien sûr mais sa présence n'est que temporaire. J'ai parlé à la directrice l'autre jour et elle cherche toujours un nouveau professeur, répond une grand brune à celle qui vient de l'interroger. 

-J'espère qu'elle va vite trouver. L'année vient à peine de débuter, ce serait bien que nos petits ne soient pas trimballés de remplaçants en remplaçants.  

Les deux femmes continuent de discuter tandis que je m'éloigne de la vitre. Ce que je viens d'apprendre tourbillonne dans mon esprit si bien que je n'ai pas le temps d'y réfléchir que ma main toque déjà à la porte du bureau de la directrice. Quand elle m'ouvre, je réalise ce que je suis en train de faire. Un mélange de stress et d'excitation fait carburer mon cœur à vive allure. 

-Bonjour Madame, je... je suis désolée de vous déranger mais je... j'aimerais vous parler un instant. Si c'est possible bien sûr, vous avez sûrement bien d'autres choses à f... 

-Bonjour Mademoiselle Dumin. Entrez, je vous en prie. 

Je reste une seconde coite, totalement surprise qu'elle se souvienne de mon nom. Je ne suis venue la voir qu'une seule fois, le jour où Julie m'a accompagnée pour lui demander de m'autoriser à fréquenter la salle sans faire partie de leur troupe. La directrice reprend place derrière son bureau et m'invite d'un geste à m'installer sur le fauteuil en face d'elle. Elle me fixe de ses yeux bleus chaleureux et de son sourire encourageant. Cette quarantenaire dégage quelque chose de particulier. Comme si elle pouvait lire en moi avant même que j'ouvre la bouche. J'inspire profondément et je laisse le feu qui gronde en moi prendre la parole. 

-J'ai appris que vous êtes à la recherche d'une professeur de danse pour assurer les cours des jeunes enfants, notamment. Je n'ai aucun diplôme d'enseignement mais j'ai très envie de postuler. Je sais que ma candidature doit faire pâle figure face à toutes celles que vous recevez mais je crois que je viens de trouver ma voie. Je danse depuis que je marche. La danse m'a toujours portée au fil de ma vie et j'aimerais transmettre cela à tous ceux qui auront envie de fouler le parquet. Je suis prête à passer tous les diplômes dont vous aurez besoin si nécessaire mais s'il vous plait, je vous demande de considérer ma proposition. 

Un long silence s'installe. La directrice me scrute avec bienveillance, sondant ma détermination au plus profond de mes iris. A aucun moment, je ne lâche son regard. 

-Mademoiselle Dumin, je vous remercie pour votre proposition mais je ne peux pas l'accepter en l'état. En tant que directrice d'un établissement enseignant une discipline artistique à de jeunes enfants, j'ai certaines obligations à respecter. Tous les enseignants doivent être détenteurs d'un diplôme ou d'une formation bien particulière qui les autorise à former les élèves. Je ne suis pas autorisée à faire une exception pour vous. 

La déception qui m'envahit me coupe presque la respiration. Je viens de trouver ce que je veux faire de ma vie et ce premier refus me fait mal. 

-Cependant, continue-t-elle, je vous encourage à faire cette formation. Elle dure un an et se déroule en deux parties. Pendant la première partie, vous prendrez part à des cours théoriques. Une fois cette partie validée, vous pourrez passer à la pratique. Vous serez en stage pendant une période de 6 mois durant laquelle vous devrez mettre en place un projet pédagogique. Un jury évaluera la qualité de votre projet ainsi que votre motivation et vos compétences artistiques. Ceci sera la première étape vers le diplôme d'Etat que vous pourrez ensuite passer sous deux ans. 

J'encaisse toutes les informations qu'elle me donne sans aucune crainte. J'ai viscéralement envie de travailler comme une dingue et de me lancer dans cette aventure un peu folle si cela peut me mener vers une vie qui ne ressemble qu'à moi. 

-Voici quelques brochures, dit-elle en me tendant une liasse de papiers. Ces prospectus vous éclaireront un peu plus sur la marche à suivre. Je ne peux que vous encourager à suivre votre rêve et à revenir me voir une fois que vous serez diplômée. 

Le sourire radieux qui s'accroche à mes lèvres au moment où je quitte son bureau me suit jusqu'à chez moi. Quand je pénètre dans l'appartement, un silence inhabituel m'accueille. J'avance doucement dans l'entrée, laissant glisser mon sac de sport le long de mon bras avant de le poser par terre. Suspicieuse, je me dirige vers le salon pour découvrir tous mes amis entassés sur mon canapé. Ils sont immobiles et me fixent tous avec un sourire espiègle qui me laisse muette, les yeux ronds de surprise. 

-Mais... je... qu'est... 

-SURPRISE !!!!!!! crient-ils tous en chœur.

Cassiopée se lève d'un bond pour venir m'engloutir dans une étreinte étouffante. 

-Je suis tellement contente de te retrouver enfin Can-can ! hurle-t-elle dans mes oreilles. 

Rapidement, Maxime, Aurore, Gabriel et Marina nous rejoignent. Nous formons une espèce de mêlée humaine, dont je suis le cœur. Mes amis m'étreignent, déposant chacun à leur tour leurs mains autour de mes épaules et leurs lèvres sur mes joues humides. Des larmes d'émotion ruissellent doucement sur mon visage tandis que mon cœur se réchauffe toujours un peu plus face à cet afflux d'amitié. Seule Julie est restée en retrait. 

-Mais... mais qu'est-ce que vous faites tous ici ? dis-je tout en tapotant mes joues. 

-On avait envie de te faire une petite surprise et de passer le weekend avec toi, m'explique Gabriel de sa voix embaumante.