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Mercredi 15 mars
La nuit est déjà tombée en cette fin de journée et je suis confortablement installée sur mon canapé, dans les bras d'Ethan qui m'a rejoint il y a quelques dizaines de minutes maintenant. Comme à son habitude, dès qu'il arrive chez moi il se débarrasse de son costume d'homme d'affaire et enfile son bas de jogging gris clair en coton souple. A mon grand bonheur, il ne porte jamais de T-shirt et déambule torse-nu entre mes murs. Autant vous dire que mes mains sont pratiquement constamment posées sur sa peau légèrement halée qui m'appelle toujours plus fort.
Nous sommes rentrés de Stanage Edge il y a un petit plus d'un mois maintenant. Notre séjour a été plein de surprises. Grâce à Ethan, j'ai côtoyé la beauté de la nature et j'ai surtout découvert une force insoupçonnée que je gardais précieusement au plus profond de moi. Après avoir gravi cette montagne que je n'oublierai jamais, nous avons continué notre périple en enchainant les randonnées et les nuits d'amour dans les petits refuges mis à la disposition des visiteurs. Pendant quatre jours, il n'y avait que nous. J'admirais mon horizon dans son regard marron si expressif tandis que mon homme calait sa respiration sur la mienne pour mieux se retrouver. Jamais de toute ma vie je ne m'étais sentie autant en osmose avec une autre personne. De doux frissons se posent sur ma peau lorsque je plonge dans mes souvenirs et Ethan me serre imperceptiblement plus fort contre son torse, comme s'il savait que je revivais à nouveau ces moments heureux.
Le dernier jour de notre escapade, je me suis réveillée à l'aube avec un immense sourire greffé sur le visage. Je n'aurais pas su vous dire pourquoi je me sentais si bien mais je m'en fichais. Je savourais juste cette sensation si enivrante qui avait pris possession de tout mon être sans que je ne sache la contrôler. Ce matin-là, Ethan m'observait avidement. Il épiait chacune de mes réactions avec un regard si pétillant de bonheur que je n'ai pas eu besoin de lui dire ce que je ressentais. Il le savait déjà. Avec la plus grande délicatesse, il m'a alors fait basculer sur lui et nos deux corps nus se sont enfin entremêlés.
Nous n'avons prononcé aucun mot, seuls nos corps parlaient pour nous. Nos caresses se promettaient, nos baisers nous fusionnaient et notre connexion explosait. Pour la toute première fois, nous avons fait l'amour dans le silence absolu. Nos regards ne se sont jamais quittés quand nos corps dansaient sensuellement l'un dans l'autre mais quand le plaisir s'est fait trop intense, Ethan a délicieusement avalé tous les petits gémissements sourds qui m'échappaient. Le bruit de nos bouches qui, après la collision, s'appartenaient l'une à l'autre a simplement complété la symphonie de nos deux corps unis. Au moment où tout mon être venait tout juste de goûter au plaisir ultime, ma tête est retombée sur son torse. Les battements délirants de son cœur me font encore vibrer aujourd'hui. C'est exactement à cet instant que j'ai failli lui dire « je t'aime ». Mon corps, mon cœur et mon âme s'étaient liés contre ma raison mais la peur qu'il ne partage pas mes sentiments a pris le dessus. J'ai ravalé cet aveu et je me suis contentée de poser ma main sur son organe vital pour me rassurer.
Je crois qu'il est inutile de préciser que notre voyage n'a fait que consolider nos liens. Ethan ne s'est jamais montré aussi apaisé que depuis notre retour. Enfin, si je suis tout à fait exacte, une seule ombre a terni notre aquarelle de couleurs éclatantes. Quelques heures après notre moment intime, alors que nous étions en train de rejoindre la dernière surprise qu'il m'avait réservée, Ethan s'est éloigné pour répondre à un appel. Il se tenait de dos à plusieurs mètres de moi si bien que je n'ai pas pu connaitre l'objet de ce coup de téléphone mais j'ai amèrement compris que sa réalité parisienne le rattrapait. J'ai eu envie de m'approcher de lui mais ses muscles tendus et ses doigts qui tiraillaient rageusement ses mèches brunes m'ont clouée sur place. Quand il m'a rejoint, j'ai immédiatement remarqué qu'il évitait mon regard. Mon ventre s'est violemment noué quand j'ai d'abord cru que quelque chose de grave s'était produit mais j'ai compris ce qui se tramait dans mon dos quand j'ai réussi à planter mon regard dans le sien malgré lui.
Si sa bouche peut prononcer tous les mots blessants et cruels qu'elle m'a déjà lancés, ses yeux quant à eux ne peuvent plus me mentir. J'ai eu l'impression qu'on venait de me jeter un sceau d'eau glacée en pleine figure quand j'ai réalisé qui était l'auteur de cet appel maudit. Sa femme. Sa foutue femme qui m'empêche de vivre mon amour au grand jour. Alors même si je lui ai promis de lui laisser tout le temps qu'il lui faudra, je n'ai pas pu m'empêcher de lui tourner le dos et de reprendre ma marche. J'ai entendu Ethan soupirer mais il n'a rien dit. Qu'aurait-il bien pu me dire de toute façon ?
Cette épée de Damoclès qui menace mon bonheur instable pèse chaque jour un peu plus lourd. Quand j'ai le malheur de me laisser aller à imaginer notre avenir ensemble, la réalité me rattrape toujours bien trop cruellement. Cependant, même si je sais au fond de moi que je ne pourrai pas supporter cette situation éternellement, je n'ose pas lui en parler. Je suis littéralement terrorisée à l'idée qu'il ne soit pas encore prêt à tout envoyer valser et qu'il choisisse de tirer un trait sur nous.
Heureusement pour nous, la gêne qui flottait entre nous ce matin-là s'est vite dissipée lorsque nous sommes arrivés à hauteur d'une base de parapente. Je crois que mes yeux ont dû sortir de leurs orbites quand j'ai compris le plan d'Ethan pour notre dernière journée. Je me suis alors brusquement retournée vers lui, la peur rongeant déjà mon visage.
-Prête à t'envoyer en l'air Candice ? Enfin... pour la deuxième fois de la journée !
Je n'ai même pas réussi à réagir à sa remarque mal placée qu'il a prononcée en anglais juste pour me taquiner devant le moniteur tant j'étais pétrifiée. Secrètement, j'ai toujours rêvé d'avoir le cran de me lancer dans les airs mais je n'ai jamais trouvé le courage nécessaire pour franchir le pas. Ayant sans doute remarqué mon désarroi, Ethan s'est approché de moi pour envelopper ma main de la sienne et m'a susurré à l'oreille :
-Je sais que tu peux le faire. Et je sais que tu vas adorer. Mais si tu ne veux pas, je ne te forcerai pas. Je me disais juste que... qu'on pourrait le faire ensemble... ?
Mon vol en parapente a été l'apothéose de ma renaissance. J'ai fermé les yeux, je me suis convaincue que j'en étais capable et je me suis envolée. J'ai laissé au sol les chaines qui m'emprisonnent depuis mon enfance et je suis partie frôler les nuages pour savourer le goût détonnant qu'a la liberté. J'ai d'abord tremblé de peur avant de me lancer, puis j'ai tremblé d'excitation quand je me suis envolée et enfin j'ai tremblé d'amour quand j'ai tourné le visage vers la gauche en plein vol pour admirer l'immense sourire qu'Ethan m'offrait. J'ai aimé voir ma vie de si haut et réaliser que les seuls obstacles qui me brisent sont ceux que j'accepte de m'imposer. J'ai compris que malgré les liens qui m'unissent aux personnes toxiques qui font partie de ma vie, je ne suis pas obligée de les supporter coûte que coûte. Au moment de l'atterrissage, je me suis sentie si libérée que je me suis même demandée ce que j'allais faire de ma vie. Je venais d'envoyer valser mon carcan et je me sentais comme un petit oiseau qui vient tout juste de naitre. Puis Ethan m'a rejoint en courant, a écrasé son corps contre le mien et m'a embrassée si fougueusement que j'ai compris. Ma vie sera tissée en fonction de mon cœur. Alors je l'ai embrassé encore plus férocement et je crois qu'il a compris, lui aussi.
Le soir même, nous étions à l'aéroport de Londres, prêts à décoller pour affronter notre vie parisienne. Contrairement à toutes les fois où nous nous sommes retrouvés assis sur ces bancs, je n'ai pas eu peur que notre bulle explose au contact du monde extérieur. Cette fois, je savais que notre cocon serait toujours autour de nous. Qu'importe où nous irions, qu'importe ce que nous ferons, nous serons toujours inébranlablement liés l'un à l'autre. Ce jour-là, j'ai finalement appris à respirer profondément, le cœur léger.
Notre avion ayant un léger retard, nous sommes alors restés un moment lovés dans les bras l'un de l'autre. Je me suis surprise à vouloir partager tout ce que je ressens avec une amie, juste pour savoir si cet amour totalement délirant pouvait être compris des autres. Mais je me suis vite ravisée, je n'ai pas suffisamment confiance en mes proches pour leur avouer le secret qui fait battre tumultueusement mon cœur. Cependant, même si Cassiopée a gâché l'amitié précieuse qui nous liait, elle n'en reste pas moins une personne qui a beaucoup compté dans ma vie et je n'ai pas réussi à la rayer complètement du paysage. Je lui ai envoyé un petit message pour savoir si son weekend en amoureux s'était finalement soldé par une demande en mariage comme elle l'espérait. Quelques minutes plus tard, j'ai reçu une photo dévoilant le visage radieux de mon amie qui exhibait fièrement une bague argentée et un diamant étincelant. Nous avons ensuite échangé quelques messages cordiaux qui ne nous ressemblaient absolument pas avant qu'une hôtesse de l'air ne fasse un appel pour nous demander d'embarquer.
Le lendemain, alors que j'étais en train de rentrer chez moi après une intense journée de travail à la soierie, Maxime m'a écrit pour me demander de participer à leur petite fête de fiançailles. Je n'avais honnêtement aucune envie de gâcher un précieux moment avec Ethan pour passer une soirée à faire semblant mais il a tellement insisté que je n'ai pas réussi à refuser.
-Je vois bien que les choses ont changé entre toi et Cass ces derniers temps mais n'oublie pas que tu es aussi mon amie. Moi, j'ai envie que tu sois parmi nous pour partager notre bonheur.
Ses mots résonnent encore en moi. Je les ai appréciés à leur juste valeur car j'avais totalement conscience qu'il ne les avait pas prononcés pour me faire plaisir mais parce qu'il les pensait vraiment. Maxime a toujours été avare de parole, alors lorsqu'il s'adresse à moi, je savoure chacun de ses mots. Je me suis donc rendue à cette petite fête où j'ai retrouvé tous nos amis communs. J'étais réellement contente de passer une soirée avec eux mais je n'ai pas réussi à faire abstraction du fait qu'Ethan me manquait viscéralement. J'avais l'horrible sensation qu'une partie de moi m'avait été enlevé et que je n'avais pas le droit de m'en plaindre. J'ai donc laissé filer les heures me séparant de mon homme tout en essayant de profiter du mieux que je le pouvais de l'ambiance festive qui m'entourait.
Depuis cette soirée, j'ai seulement revu Cassiopée pour nos cours de danse. Contrairement à ce que nous faisions depuis des années, nous ne mangeons plus ensemble après notre cours. Notre routine s'est étiolée au fil des dernières semaines et elle a totalement disparu sans qu'aucune de nous deux ne s'en plaigne ouvertement. Quel gâchis !
Ma vie a lentement mais profondément changé ces derniers mois. Alors qu'il y a encore plusieurs semaines je passais mes soirées seule et je ne pouvais compter que sur Cassiopée, une tornade nommée Ethan a tout dévasté sur son passage pour permettre à mon cœur meurtri de retrouver la lumière. Depuis, je passe la plupart de mes soirées dans ses bras. Même si nous ne sortons pas du cocon protecteur que représente mon appartement, nous nous découvrons de plus en plus. Nous échangeons sans forcément nous en rendre compte sur nos goûts, nos passions et nos envies. Nous partageons quelques fois des films, des séries et de la musique mais si je suis tout à fait honnête, j'avoue que nous sommes très souvent interrompus par notre besoin vital de laisser nos corps fusionner.
Les soirs où Ethan ne peut pas me rejoindre, je reste rarement chez moi. Je n'ai plus envie de me morfondre. Je veux simplement profiter de tous les petits plaisirs que la vie nous offre. Régulièrement, je retrouve Marina en fin de journée et nous partons toutes les deux boire un verre. Nous papotons pendant des heures, nous rions et nous terminons toujours ces petits afterwork quand le gérant décide qu'il est l'heure pour nous de plier bagage. Un soir, alors que je peinais à siroter mon verre tellement Marina me faisait rire, j'ai croisé Sandra, mon ancienne collègue fan de Coldplay. Je me suis toujours bien entendue avec elle et force est de constater que Marina a su rapidement la mettre à l'aise puisque nous avons terminé la soirée ensemble. Depuis, j'enchaine les soirées délirantes avec mes deux copines et les soirées enivrantes au bras de mon homme.
