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Mercredi 11 janvier 

                              

Je suis enfermée dans mon bureau depuis plus de quatre heures maintenant et je n'ai pas relevé une seule fois la tête de mes dossiers. J'enchaine les mails aux clients, les analyses de marché et les propositions commerciales sans m'accorder une seconde de répit. Mon travail m'aide à oublier le trou béant qui orne mon cœur et me permet de ne pas sombrer définitivement. Peut-être n'est-ce pas la bonne solution, peut-être devrais-je plutôt m'ouvrir à ceux qui m'entourent mais actuellement, je ne sais rien faire d'autre que me tuer à la tâche. 

                              

Certains de mes collègues m'ont fait des réflexions plus moins désagréables, me reprochant de m'isoler et de ne plus rien partager avec eux. Je les comprends, je ne leur adresse pratiquement plus la parole à part pour leur dire bonjour ou au revoir et je ne mange plus avec eux. Je ne mange même plus du tout. Mais pour ma défense, je n'arrive tout simplement plus à faire semblant. J'ai fait semblant toute ma vie, je fais semblant tous les soirs, laissez-moi au moins m'enfermer tranquillement dans mon bureau toute la journée !

                              

J'ai officiellement barricadé mon cœur derrière un mur de pierre il y a exactement neuf jours. Il était en train de mourir dans d'atroces souffrances alors j'ai utilisé mes dernières forces pour le ramasser, le vider de tout sentiment et l'ensevelir sous une montagne de barrières hermétiques. Depuis, je travaille la journée et je souris faussement le soir. Je passe mes semaines à ignorer les sursauts de mon organe vital en convalescence lorsque mes yeux se posent sur Ethan au détour des couloirs. Et pour l'instant, je parviens plutôt bien à faire illusion. 

                              

Quand Ethan m'a supplié de lui revenir, j'ai paniqué. Cette simple demande a tout détruit sur son passage. Au plus profond de moi, je voulais lui appartenir à nouveau. J'ai aimé la sensation de ses mots possessifs flottant autour de moi et cherchant à m'envelopper dans sa bulle qui me manque tant. Mais je ne pouvais pas. Je n'avais pas le droit de me trahir de la sorte. Si je dois retrouver Ethan, je le veux entièrement, pleinement et tout à moi. Je ne veux pas être le secret, la femme cachée qui attend dans l'ombre que son homme lui offre quelques pauvres moments volés par-ci, par là. 

                              

Ce soir-là, je lui ai donc définitivement tourné le dos. Et je me suis un peu perdue moi-même mais c'était le prix à payer pour que je puisse encore me regarder dans une glace. Gabriel se tenait à mes côtés et il n'avait aucune idée de la scène qui se jouait sous ses yeux. Il a seulement compris que j'étais au plus mal et sur le chemin du retour il m'a demandé ce qu'il se passait. J'ai baragouiné une excuse pitoyable lui expliquant qu'Ethan était un patron tortionnaire et que je ne me sentais pas très bien. Adorable comme toujours, il ne m'a pas posé plus de questions et il s'est contenté de me caresser furtivement la cuisse pendant tout le trajet. Son toucher me brûlait mais je n'ai rien dit. 

                              

J'ai eu toute la peine du monde à m'extraire de sa voiture et à regagner mon appartement. Je savais que j'avais pris la bonne décision mais au fond de moi, il ne restait plus rien. Plus d'envie, plus d'espoir, plus de lumière. Alors, pour la première fois de ma vie, je me suis dirigée vers ma salle de bain et j'ai entamé une boite de somnifère. Il fallait que je dorme et si possible que je me réveille dans un autre monde. J'ai donc déposé une petite pilule dans la paume de ma main et je l'ai avalée. 

                              

J'ai dormi treize heures d'affilée. Ma nuit a été noire et sans rêve. Comme mon cœur. Mon réveil m'a sorti de cet état de léthargie et j'ai dû affronter mon corps engourdi ainsi que mon esprit embrumé au petit matin. Bizarrement, je ne me sentais ni reposée ni apaisée. Je ne ressentais rien à part un immense vide. J'avais simplement l'impression de continuellement tomber plus bas, plus loin, plus fort. Tant bien que mal, je me suis redressée et j'ai posé les pieds sur mon parquet gelé. Des flashs ont pris possession de cerveau et une sensation inhumaine de déchirement a parcouru mon corps tout entier. Je voulais me réveiller de ce cauchemar mais malheureusement, je ne pouvais pas. J'étais condamnée à le revivre encore et encore. 

                                          

              

                    

Telle une automate, je me suis fait violence pour rejoindre ma salle de bain et me préparer. Quand je suis arrivée dans ma cuisine pour boire un thé, mon regard a immédiatement été attiré par une feuille blanche posée en évidence sur ma table. J'ai découvert l'écriture ronde et le grand cœur de Gabriel, illustré par ces quelques mots : 

Ma jolie Candice, 

J'ai rapidement jeté un œil à ta voiture et j'ai bien l'impression que les bougies d'allumage sont fichues. Je m'occupe de la faire réparer. Je te laisse mes clés, prends la mienne pour aller au boulot. Ne t'inquiètes pas pour moi, je rentre en bus. 

S'il te plait, appelle-moi demain matin, je m'inquiète pour toi. Tu n'étais vraiment pas bien ce soir. 

Je t'embrasse, 

Gabriel. 

Une larme silencieuse a roulé le long de ma joue. Cet homme si attentionné se soucie tellement de moi qu'il est prêt à tout pour me rendre la vie plus douce. Je ne le mérite pas. J'ai donc rassemblé tout mon courage avant de lui téléphoner pour le rassurer. Je suis ensuite allée travailler comme si de rien n'était et nous voilà neuf jours plus tard. 

Heureusement pour moi, j'ai réussi à me faire une raison et à me relever. Je ne vais pas vous mentir, j'ai encore mal bien sûr, notamment à chaque fois que je croise Ethan mais c'est mieux ainsi. Je n'aurais jamais supporté de n'être que sa maitresse. Depuis que je l'ai éconduit, Ethan s'est cloitré derrière son masque froid et distant. Son visage est illisible et il ne m'a pas prononcé un seul mot. Il s'est complètement renfermé et même son rictus arrogant si agaçant a totalement disparu. En un mot, j'ai retrouvé le patron glacial des premiers jours. 

Cette constatation me fait mal car je réalise tous les dégâts que notre égarement a provoqués. Ces derniers temps, même s'il était rongé par un mal silencieux dont j'ignore tout, j'avais bien remarqué qu'Ethan s'était ouvert. Il paraissait plus détendu, plus chaleureux et surtout plus naturel. Mais ce temps est révolu. 

Nos seuls contacts se résument à de simples mails professionnels que nous nous adressons par la force des choses. Marina ne reprenant le travail que la semaine prochaine, je suis dans l'obligation de gérer ses dossiers et notamment le dossier Dior qu'elle suit en collaboration avec notre supérieur. A chaque fois que ma boite mail m'informe de l'arrivée d'un message de mon patron, mon cœur fait un bond incontrôlé, comme s'il attendait de lire des excuses ou des explications. Mais les rares mots contenus dans ses messages ne m'apportent pas la paix tant espérée. Alors je m'en contente et je me recentre sur le seul homme qui a été là pour moi ces dernières semaines. 

Gabriel et moi avons mis en place une sorte de routine rassurante et prévisible. Nous nous voyons en général deux fois par semaine puis le samedi. Quelques fois, je le rejoins chez lui après le travail, d'autres fois il passe me voir en sortant d'un chantier. Nous passons la soirée ensemble, Gabriel se fait souvent à manger et ensuite, nous nous installons devant un film auquel je ne m'intéresse pas. Nous n'avons passé aucune nuit ensemble, nous nous en tenons à de chastes et furtifs baisers qui semblent lui suffire pour le moment. 

Notre relation est douce, plate et confortable. Je ne sais toujours pas si je dois le considérer comme mon petit-ami et mon cœur bien trop abimé ne bat plus vraiment. Je me noie dans un brouillard épais et je n'arrive pas à avoir les idées claires. Au fond de moi, je sais que j'ai réellement peur de n'être plus jamais capable de ressentir des frissons auprès d'un autre homme qu'Ethan... 

Cependant, je refuse catégoriquement cette fatalité. En attendant, je laisse Gabriel prendre soin de moi sans rien lui promettre en échange. Les premiers temps ont été salvateurs et je l'en remercie du fond du cœur. Mais depuis quelques jours, je me débats secrètement avec une culpabilité sans fin qui grossit de jour en jour. Et si j'agissais de la pire des façons envers lui ? J'ai le sentiment de l'utiliser pour me guérir d'Ethan et de le bercer d'illusions. Cette idée me blesse profondément car je ne suis pas ce genre de fille et je ne veux surtout pas le devenir. Alors, je me rassure comme je peux en me disant que je lui offre tout ce qu'il me reste. 

            

              

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