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14

                    

Cassiopée s'est approchée de moi pour me tenir les deux mains et son visage fermé m'informe qu'elle a conscience de l'ampleur des dégâts qui me ravagent tumultueusement. Au moment où je lui explique que je me suis enfuit de cet enfer et que je me suis retrouvée plus seule que jamais, elle me coupe.

-Pourquoi ne m'as-tu pas appelée ?

-Tu étais chez ta mère et... déjà que tu ne la vois pas souvent, je ne pouvais pas écourter vos retrouvailles, je lui murmure tout en soupirant.

La mère de mon amie habite dans le sud de la France et elles ne se voient que quelques fois dans l'année. Je n'avais aucun droit de les priver de ce moment rare, d'autant plus que j'avais réellement besoin de quelqu'un prêt à m'aider à la seconde.

-Donc tu as appelé... Gabriel ? me demande-t-elle avec des yeux ronds comme des billes et un sourire coquin en coin.

Je la vois venir. Elle n'attend qu'une chose, c'est que je me rapproche de lui mais en cet instant, je n'ai absolument pas la tête pour cette discussion. Cependant, Cassiopée ne semble pas être de cet avis.

-Gabriel m'a dit que vous avez passé quelques jours ici... je comprends mieux pourquoi tu n'as pas répondu à mes messages... continue-t-elle tout en agitant ses sourcils afin d'appuyer ses allusions grivoises.

Elle continue. Elle ne me demande pas ce qui m'a poussé à le suivre ici alors qu'on ne se connaît que très peu. Elle ne cherche pas à savoir comment je vais ou comment je me sens maintenant. Non, tout ce qui l'intéresse, c'est que je me mette en couple avec le cousin de son mec.

-Je t'arrête tout de suite, il ne s'est rien passé avec Gabriel.

Je lui ai répondu sur un ton légèrement sec qui ne l'interpelle pas du tout. Au contraire, mon amie est excitée comme une puce et elle ne tient pas en place une seule seconde.

-Alors raconte ! Vous êtes arrivés quand ? Vous avez fait quoi ? Il s'est passé quelque chose entre vous ? Je veux tout savoir !

-Il ne s'est absolument rien passé puisqu'il m'a retrouvée dans un état pitoyable. Maintenant, si tu le permets, j'aimerais que tu arrêtes de te focaliser sur une hypothétique relation entre nous !

Je lui ai déclamé ma tirade avec un agacement plus qu'évident. Cassiopée se fige un moment, le temps d'intégrer le sens de mes paroles ainsi que le ton que j'ai employé. Je m'en veux à la seconde où je distingue un éclair de peine traverser les beaux yeux de mon amie.

-Excuse-moi Cass mais je n'ai pas du tout la tête à ça en ce moment. 

Pour la première fois depuis très longtemps, elle reste muette et se contente de hocher la tête. Puis elle me lâche les mains, se lève et fait quelques pas pour atteindre la porte. Au moment où elle pose la main sur la poignée, elle se retourne vers moi et son regard blessé se pose dans le mien quand ces mots passent la barrière de ses lèvres :

-Je voulais juste changer de sujet pour alléger l'atmosphère. Et je pensais que tu tenais à Gabriel. Mais apparemment, j'ai tout faux. Tu...tu as changé Can-can, je ne te reconnais plus ces dernières semaines. Elle marque une longue pause puis m'achève d'une seule phrase. Ma meilleure amie me manque.

Je sens des petites billes salées dévaler mes joues pour mourir sur mes lèvres et mon cœur se serre, encore et encore. Je l'observe refermer doucement la porte tandis qu'une immense vague de culpabilité me submerge. Tant de résignation et de froideur ne lui ressemble pas et je réalise alors que je l'ai vraiment peinée. Je voulais seulement qu'elle arrête de m'inciter à agir comme elle le souhaite elle. Mais j'ai été maladroite et je me sens maintenant minable d'avoir fait du mal à la seule personne qui a toujours été là pour moi. 

            

              

                    

Je reste un long moment immobile, assise sur mon lit à regarder fixement la peinture blanche écaillée qui orne le mur en face de moi. De silencieuses et douloureuses larmes coulent toujours le long de mon visage. Je ferme alors les yeux et inspire longuement. Quand je me sens légèrement mieux, je me dépêche de réajuster mon léger maquillage, histoire de faire illusion. Encore.

Les cousins de Gabriel sont tous arrivés aujourd'hui et je ne me sens pas très à l'aise, entourée de tant de monde. Toute cette semaine en tête-à-tête s'est passée dans la sérénité et la douceur, si bien que j'ai beaucoup de mal à m'adapter à l'arrivée d'une quinzaine de personnes. D'autant plus qu'ils sont tous des Cassiopée en puissance: grande-gueule et fêtards. Seuls Maxime et Gabriel font exception, je crois que je vais rester collée à leurs baskets tout le week-end !

Quand je sors de ma chambre, j'inspire un grand coup pour gonfler mon corps de courage puis je rejoins tout le monde en bas. Mes yeux se posent immédiatement sur Gabriel qui me regarde descendre les marches avec adoration. Il s'empresse de venir m'offrir un verre mais je refuse. Mon ventre vide me donne assez de maux de tête, pas besoin d'en rajouter. Je triture nerveusement mes doigts et me mordille instinctivement la lèvre inférieure tout en sentant une boule d'angoisse se nouer au plus profond de mes entrailles. Je cherche Cass du regard et remarque immédiatement, qu'elle détourne son regard du mien. Ma meilleure amie a peut-être un cœur en or mais elle est la personne la plus rancunière qui existe.

Alors que Gabriel entremêle délicatement ses doigts aux miens, je me tourne vers lui et lui explique que je dois parler avec mon amie. Toujours aussi compréhensif, il se contente de me sourire et de déposer un tendre baiser sur ma tempe. Je m'éloigne alors de lui pour rejoindre Cassiopée qui est en grande discussion avec un grand blond. Je m'arrête quelques instants pour saluer Maxime puis m'approche avec appréhension de Cass. 

Elle a bien remarquée que je me tiens à ses côtés, mal à l'aise, mais elle continue sa conversation sans m'adresser un seul regard. Quand le grand blond se retourne vers moi pour me parler, je le coupe instantanément et demande à parler avec la tornade à mes côtés. Je n'attends pas son approbation et attrape fermement sa main gauche avant de la tirer pour qu'elle me suive. Tout en soupirant théâtralement, elle accepte tout de même de marcher dans mes pas. Nous nous isolons vers la petite cuisinière. Alors que je cherche mes mots, Cassiopée se plante face à moi, les bras croisés contre sa poitrine et le regard me lançant des éclairs.

-Excuse-moi Cass, je n'aurais pas dû m'emporter tout à l'heure mais... j'ai du mal à gérer tout ce qui me tombe dessus en ce moment. 

Elle ne bronche pas. Elle reste complètement impassible et je rassemble mes faibles forces pour continuer mon laïus. 

-Ce qui s'est passé avec mes parents a été très violent. Quand Gabriel m'a retrouvé, j'étais... je n'ai jamais été aussi mal de toute ma vie. Je... je ne sais pas... ce qui se serait passé s'il n'avait pas répondu à mon appel et je préfère ne pas le savoir mais il faut que tu saches que... mes parents m'ont détruite. Comme jamais il ne l'ont fait auparavant. Et... cette semaine, Gabriel m'a aidée à me relever, petit à petit. 

Le regard de ma meilleure amie se fait plus doux au fur et à mesure que mes paroles lui parviennent. Je crois qu'elle prend pleinement conscience du désastre qu'est actuellement ma vie. 

-J'ai perdu des plumes dans cette bataille, je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable et seule que ces derniers jours. Mais j'ai également réalisé une chose importante: je ne sais plus ce que je veux. 

J'observe mon amie écarquiller légèrement les yeux et agripper à nouveau ma main mais je continue. Je veux tout lui dire. Mes peurs, mes doutes, mes peines et mes espoirs. Tout. 

            

              

                    

-J'ai toujours construit ma vie en fonction des autres, mes parents en première ligne. Mais en réalité, je crois que je n'ai jamais rien fait pour moi, uniquement pour moi. Et cette semaine, j'ai longuement réfléchi. J'ai compris que je dois dompter mes propres volontés et ne plus considérer celles des autres comme miennes. Alors... 

Je souris faiblement tout en continuant. 

-Ne m'en veux pas si je suis maladroite. Je ne sais juste pas comment il faut faire pour s'affirmer. Cassiopée lâche un petit rire mais je ne m'arrête toujours pas. Gabriel m'a sauvé des ténèbres et il m'a montré à quel point la vie peut être douce et non un perpétuel combat contre soi-même... mais je ne suis pas prête à m'engager dans quoi que ce soit tant que je ne me suis pas réconciliée avec moi-même. Et il le sait. Alors s'il te plaît Cass, arrête de vouloir à tout prix nous caser. 

Je n'aurais jamais pensé me sentir si légère et soulagée mais c'est bel et bien le cas. J'ai dit tout haut ce que je souhaite réellement, même si cela ne va pas dans le sens de mon amie et elle est toujours là, à me sourire affectueusement. 

-Je n'aurais jamais pensé que tu aies vécu tant de peine cette semaine et honnêtement, je m'en veux de ne pas avoir été là. Mais si Gab a pu t'apporter tout le réconfort dont tu avais besoin, alors je suis soulagée. 

Mon cœur serré si fort depuis nos retrouvailles retrouve petit à petit sa place douillette dans ma poitrine. J'ai besoin de ma meilleure amie et surtout j'ai besoin qu'elle me comprenne. J'ai l'impression de pouvoir enfin respirer à plein poumon, sans sentir ma poitrine constamment comprimée par la peine et l'angoisse. 

-Tu sais, je suis persuadée que Gab est l'homme parfait pour toi mais vous avez raison de prendre votre temps. Je dois t'avouer un truc... après notre discussion lors de ton anniversaire, j'ai vraiment eu peur que tu t'embarques dans une histoire dangereuse avec ton patron mais te voir aux côtés de Gabriel aujourd'hui me... 

Je n'entends plus la fin de sa phrase ni le brouhaha environnant bourdonner dans mes oreilles. Je ne vois plus que le visage abattu d'Ethan et mon cœur sursaute douloureusement chaque fois que j'entends le claquement de la porte de mon appartement résonner en boucle dans ma tête. Cette semaine j'ai tout fait pour occulter ce moment de mon esprit mais il a suffi d'une phrase, d'une toute petite phrase pour que tout me revienne tel un cyclone engloutissant tout sur son passage. 

Le doux visage de mon supérieur hante toujours mes pensées et même si je sais clairement qu'il faut que je dépose les armes sous peine de m'infliger encore plus de mal, je ne parviens assurément pas à faire abstraction de ses tourments. J'aimerais tellement être le genre de fille froide qui avance dans la tempête sans se retourner mais... la vérité est tout autre. Je suis incapable d'ignorer la douleur d'autrui, malgré tous mes efforts pour barricader mon cœur et le transformer en pierre, il est et restera ma plus grande vulnérabilité. Et puis, comment ignorer la souffrance d'une personne à qui on s'est attaché plus que de raison ? 

Alors qu'il y a seulement quelques minutes, un immense soulagement accaparait mon corps, je ne ressens plus en cet instant qu'un étau étouffant autour de mon cœur. J'aurais tellement voulu que les choses se passent différemment ! 

-Tu m'écoutes Candice ? 

Mon regard perdu se pose sur le visage de mon amie et je réalise tout de suite qu'elle sait. Ses yeux me foudroient et ses traits se crispent. 

-Putain, ne me dis pas que tu as couché avec lui ?! crache-t-elle sur un ton dédaigneux.  

En cet instant précis, je n'ai qu'une envie : celle de lui dire qu'elle ne comprendra jamais ce qui me lie avec Ethan. Parce que malgré ses mensonges et sa trahison, il n'en reste pas moins le seul homme qui n'a jamais été capable de me transporter dans un autre monde. Et plus précisément, dans un monde où la vraie Candice se libère de ses chaines et assume ses envies. J'ai envie de lui dire qu'elle me juge malgré sa promesse de m'aimer sans concession. Je voudrais qu'elle sache qu'elle m'enferme à son tour dans son carcan, qu'elle me façonne et que ses désirs m'emprisonnent. Mais je n'y arrive pas. Tout simplement parce que je n'ai plus la force de me battre contre le monde entier, et surtout contre elle. 

            

              

                    

-Je n'ai pas couché avec lui, je lui lance le regard baissé. 

-Y'a plutôt intérêt ouais ! Moi je dis tout cela pour toi tu sais, parce que ce n'est pas un homme qui te correspond. Il te faut quelqu'un de gentil, pas un homme capable de te dire les pires méchancetés. Alors même si j'ai bien compris que physiquement, c'est carrément ta came, je ne pense pas que tu aies besoin de plus de complications dans ta vie en ce moment. 

Je bouillonne intérieurement. Au fond de moi, je sais pertinemment qu'elle dit tout cela parce qu'elle n'a pas envie de me voir souffrir et si elle avait découvert dans quel état j'ai passé les dix derniers jours, je sais qu'elle aurait eu envie d'arracher la tête d'Ethan autant qu'elle a envie d'arracher celle de mes parents. Mais aujourd'hui, je n'avais tout simplement pas envie d'entendre ce genre de paroles. 

-Nous nous sommes rapprochés mais j'ai compris qu'il n'est pas un homme libre. Il est marié. Point barre. Maintenant, s'il te plait, arrêtons d'en parler, je lui murmure les dents serrées.   

Satisfaite que je capitule et que j'aille dans son sens, Cassiopée se détend enfin totalement et se penche pour me prendre dans ses bras. Je rumine ses paroles désobligeantes pendant que je feins de l'étreindre et je prends conscience avec écœurement que pour la première fois depuis plus de dix ans, je ne suis pas réellement heureuse de retrouver mon amie. Cette constatation brise quelque chose de fragile à l'intérieur de mon âme, comme si j'étais en train de dire au revoir à une décennie d'amitié. Et je ne suis pas du tout prête à affronter la vie sans un compagnon de route. Je préfère alors ignorer mon amertume et faire semblant. Comme toujours. Finalement, peut-être que rien ne changera jamais. 

Les heures passent et je n'ai jamais aussi bien feint d'être heureuse. Je souris, je ris, je discute et je prétends m'intéresser à tout ce qui m'entoure. J'ai bu quelques verres pour me détendre et même si ma migraine s'est instantanément accentuée, je ne regrette absolument pas cette légèreté que l'alcool m'offre. Gabriel n'est jamais très loin de moi, il s'est assis à mes côtés pendant le repas, il se tient près de moi lorsque je papote avec ses cousins et il garde un œil sur moi dès que je m'éloigne un tant soit peu. Dès qu'il s'approche, il pose sa main dans mon dos ou il effleure mon bras. J'ai l'impression qu'il a fait exploser toutes les barrières qu'il s'est imposé cette semaine afin de me laisser reprendre goût à la vie et qu'il rattrape maintenant le temps perdu. 

Après le repas, certains cousins décident de se lancer dans une course de luge nocturne. Bien sûr, Cassiopée est la première à chausser ses bottes de neige et alors que je m'apprête à suivre le mouvement, Gabriel entremêle ses doigts aux miens et me tire délicatement le bras en arrière. La pièce est maintenant vide et je ne peux m'empêcher de remarquer le regard légèrement brillant de l'homme posté face à moi qui me dévore des yeux. Au travers de ses pupilles attendries, j'ai l'impression d'avoir bien plus de valeur que je n'en ai réellement. 

-Ma jolie Candice, j'ai un petit quelque chose pour toi. Je ne voulais pas te l'offrir trop tôt, j'avais peur que tu aies le cœur trop lourd pour te réjouir. 

Un immense sourire illumine son charmant visage lorsqu'il sort une enveloppe de la poche arrière de son jean's. Je ne comprends pas du tout pourquoi il me porte tant d'attention mais il ne me laisse pas le temps de tergiverser. Il attrape ma main droite et tourne la paume vers le haut. Sans jamais me lâcher, il dépose de son autre main l'enveloppe entre mes doigts et caresse innocemment ma peau. 

-Joyeux Noël ma belle !   

Totalement gênée, je me tortille sur place et ne sait que répondre. J'étais tellement mal cette semaine que je n'ai pas une seule seconde pensé à lui offrir quoique ce soit. Il l'aurait pourtant mérité, vu le réconfort qu'il m'a apporté. 

            

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