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Chapitre 6. Un souffle avant l'aveu

Je me sentais étrangement détachée de la situation, comme si tout ce qui m’entourait se réduisait à nous deux. La lumière tamisée des bougies projetait des ombres subtiles sur son visage, et je pouvais presque lire ses pensées dans ses yeux. Mais il ne semblait pas pressé de briser le silence. En fait, il semblait vouloir organiser ses mots avec la même précision qu’une équation, prendre le temps de choisir les bonnes formules. Une mathématicienne. La pensée m’effleura. Je savais qu'il avait dû avoir une première idée de qui j’étais, mais était-ce pour lui un obstacle ou un atout ?

Je pris une profonde inspiration, cherchant à briser ce moment suspendu.

— Pourquoi ce lieu ? demandai-je enfin, brisant le silence, curieuse de connaître sa perspective sur ce choix.

Il me regarda sans se départir de son calme, un léger sourire aux lèvres.

— Parce qu'il est à la fois simple et raffiné. Il ne cherche pas à impressionner, mais il a quelque chose de… naturel, répondit-il avec une certaine intensité, comme s'il cherchait à me comprendre à travers ce choix.

Je hochai la tête, appréciant sa réponse. Il avait raison, ce lieu dégageait une certaine tranquillité. Mais ce n’était pas seulement la beauté du décor qui me fascinait ; c’était l’intensité de cet instant partagé, même sans paroles. Le silence devenait presque plus lourd, plus parlant que tout ce que l’on pourrait dire.

René me regarda à nouveau, comme s’il attendait une réaction de ma part. Mais cette fois, quelque chose dans ses yeux avait changé. Peut-être était-ce le moment, le déclic qu’il attendait pour commencer à se livrer un peu plus, ou peut-être réfléchissait-il à ce que signifiait pour lui ce premier échange avec moi.

Je sentais que le silence était pour lui aussi un moyen de mesurer les choses, de comprendre la personne que j’étais, au-delà des chiffres et des formules. Une mathématicienne. Oui, il m’avait vue comme ça, et peut-être que pour lui, les choses étaient aussi simples qu'une équation qu’il voulait résoudre avec patience, avant de passer à l’étape suivante.

René finit par poser son verre avec délicatesse, laissant le silence s’évanouir peu à peu. Son regard plongea dans le mien, comme s’il cherchait à évaluer ma réaction avant de prendre la parole. Puis, dans un souffle contrôlé, il se lança :

— Clémentine… Il y a quelque chose que je dois te dire.

Sa voix était calme, mais chargée d’un poids invisible. Je sentis que ce qu’il allait dire était important. Il n’avait pas cherché à meubler la conversation avec des banalités. Il allait droit au but.

— Je viens d’être renvoyé du grand séminaire.

Ses mots flottèrent un instant dans l’air, comme s’il voulait leur laisser le temps de s’imprégner en moi. Je ne bougeai pas, attendant la suite.

— J’y ai passé cinq ans, continua-t-il. Cinq années de ma vie à me préparer à devenir prêtre. Cinq années à croire que ma place était là, dans cette voie que j’avais choisie, ou que d’autres avaient choisie pour moi.

Il marqua une pause, son regard s’éloignant légèrement, comme s’il revivait quelque chose de lointain.

— Mais il s’est passé quelque chose. Quelque chose qui a tout changé.

Sa mâchoire se crispa légèrement. Je vis qu’il hésitait. Qu’il pesait le pour et le contre. Devait-il vraiment me dire ce qui s’était passé ? Ou préférait-il laisser planer le mystère ?

Il opta pour la deuxième option.

— Je ne suis pas disposé à en parler pour l’instant, dit-il simplement, son regard revenant vers moi.

J’acceptai son silence. Je compris qu’il s’agissait de quelque chose de personnel, peut-être même de douloureux. S’il voulait en parler un jour, il le ferait à son rythme.

— Ce que je sais, c’est que ma vie ne peut plus être celle d’avant. J’ai passé des années dans un univers où tout était structuré, codifié, où chaque chose avait un sens précis, une finalité. Et maintenant… maintenant, je dois tout recommencer.

Il baissa légèrement la tête avant de reprendre d’une voix plus posée :

— C’est pour ça que je ne veux plus tarder. Je ne veux pas perdre de temps.

Son regard s’intensifia en croisant le mien.

— Je veux trouver quelqu’un avec qui commencer une nouvelle vie.

Mes doigts se crispèrent légèrement sur mon verre. Il ne parlait pas en l’air. Ce n’était pas une phrase lancée au hasard. Il savait exactement où il allait.

— J’ai pris le temps de me renseigner sur toi, Clémentine.

Mon souffle se suspendit légèrement.

— Ce n’est pas une décision prise sur un coup de tête. J’ai appris à te connaître, du moins à travers ce qu’on m’a dit de toi. J’ai entendu parler de ta rigueur, de ton intelligence. De ton sérieux, de ta façon d’être fidèle à tes principes, malgré tout.

Ses mots résonnèrent en moi avec une force particulière.

— Mon choix est tourné vers toi.

Je restai figée. Il venait de le dire, avec une telle assurance, une telle détermination que je ne pouvais qu’être troublée.

Le vent souffla doucement, faisant onduler les rideaux légers qui bordaient la terrasse du Beach Palace. Tout autour de nous, la vie continuait son cours : les vagues venaient doucement lécher le rivage, les conversations animées des autres clients se mêlaient aux notes discrètes d’une musique d’ambiance. Mais entre René et moi, un autre type de silence s’était installé.

Je le regardais, l’écoutais, sans l’entrecouper. Je voulais comprendre, absorber ses mots dans toute leur profondeur.

Il venait d’un univers qui était à l’opposé du mien. Cinq ans dans un séminaire. Cinq ans à se préparer à une vie d’abstinence et de renoncement, avant d’être brutalement rejeté. Et maintenant, il voulait reconstruire autre chose. Il voulait une femme. Une famille. Une nouvelle direction.

Et il avait choisi moi.

Je ne savais pas si je devais être flattée, honorée ou inquiète. Mon regard se perdit un instant vers l’horizon, où le soleil commençait lentement à descendre, teintant le ciel de nuances dorées.

René était là, en face de moi, patient. Il n’attendait pas une réponse immédiate. Il savait que ce qu’il venait de dire méritait d’être pesé, réfléchi. Pensive, je restai là, à l’entendre, à essayer de déchiffrer ce que cette rencontre représentait réellement.

René reprit la parole après un moment de silence, son regard toujours plongé dans le mien, comme s’il voulait s’assurer que j’avais bien saisi la profondeur de ses mots.

— Clémentine, je ne suis pas ici pour tergiverser ni pour m’amuser. Je ne veux pas d’un amour qui se construit sur l’indécision, les doutes interminables ou les jeux d’attente. J’ai déjà trop attendu.

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