Chapitre 2. Le fil invisible
Puis, lentement, la discussion prit un ton plus sérieux.
— Clémentine, je voulais vraiment qu’on ait ce moment seuls pour parler de nous. De notre avenir, de ce que nous envisageons ensemble…
Je hochai la tête, l’écoutant attentivement.
— Tu sais que je t’aime, poursuivit-il. Je n’ai jamais été aussi sûr de mes sentiments pour quelqu’un. Avec toi, je me projette vraiment, je me vois construire quelque chose de solide.
Mon cœur se réchauffa à ses paroles. Je ressentais la même chose pour lui.
— Moi aussi, Joseph. Tu es quelqu’un de bien, et j’ai confiance en nous.
Il me sourit, satisfait, puis marqua une pause avant de reprendre, d’un ton légèrement plus grave :
— Alors pourquoi attendre ?
Je fronçai légèrement les sourcils, incertaine de ce qu’il voulait dire.
— Attendre quoi ?
— Attendre pour… tout. Pour nous. Pour vivre pleinement notre amour.
Il s’était légèrement penché vers moi, son regard intense planté dans le mien.
Je sentis un frisson me parcourir. Je connaissais cette tournure de conversation. Je l’avais déjà entendue, prononcée par d’autres avant lui. Mon instinct me soufflait que ce moment que je redoutais tant était arrivé.
Je pris une profonde inspiration et répondis calmement :
— Joseph, tu sais ce que je pense à ce sujet. J’ai des principes, et je veux les respecter.
Il se redressa, passa une main dans ses cheveux, visiblement frustré.
— Clémentine, je te respecte. Je respecte tes valeurs. Mais… est-ce vraiment nécessaire d’attendre ? Nous nous aimons, nous allons finir ensemble, alors pourquoi ne pas laisser les choses se faire naturellement ?
J’eus un pincement au cœur. Ce discours, je le connaissais trop bien. Il était en train de basculer du côté des autres, de ceux qui avaient fini par me tourner le dos à cause de mon refus.
— Parce que c’est important pour moi, répondis-je fermement. Je ne veux pas qu’on se précipite. Je veux que notre amour se construise sur des bases solides, sur le respect de nos engagements.
Il soupira longuement et se leva, marchant lentement dans la pièce.
— Tu sais, Clémentine… parfois, j’ai l’impression que tu mets une barrière entre nous. Comme si tu avais peur de t’abandonner à moi.
— Ce n’est pas une barrière, Joseph. C’est une conviction.
Il s’arrêta net, me regarda, et dans son regard, je vis cette lueur que je ne voulais pas voir. L’impatience. L’incompréhension. Peut-être même une pointe de déception.
— Alors, tu es en train de me dire que ça ne changera jamais ? Que je devrai attendre jusqu’au mariage, peu importe combien de temps cela prendra ?
— Oui.
Un silence pesant s’installa entre nous.
Je compris à cet instant précis que, malgré tout ce que nous avions construit, malgré toutes les belles promesses, Joseph ne ferait pas exception. Comme les autres, il finirait par s’éloigner.
Et c’est exactement ce qui arriva.
Quelques semaines plus tard, nos conversations devinrent plus espacées, nos rencontres plus rares. Puis vint le jour où il me dit, d’un ton presque froid :
— Clémentine, je crois que nous avons des visions différentes de l’amour.
C’était sa manière de dire qu’il ne voulait plus attendre. Sa manière de me dire adieu. Et ainsi, une fois de plus, une relation que je croyais sérieuse s’effaça devant cette exigence à laquelle je refusais de céder.
Joseph n’avait pas disparu comme les autres. Tandis que le temps et la distance avaient effacé peu à peu la présence de certains, le rendant flou dans mon esprit, lui, il était resté. Il avait trouvé le moyen de se frayer un chemin au-delà de l’absence, de contourner la séparation, de s’accrocher à moi par des liens invisibles mais tenaces. Il était parti, certes, mais en réalité, il était encore là.
Chaque jour, il s’arrangeait pour créer des occasions où nos chemins se croiseraient. Rien ne semblait le dissuader, ni les contraintes du temps ni celles de l’espace. Comme un architecte patient, il bâtissait ces instants, les tissant avec soin, veillant à ce qu’aucun d’eux ne soit laissé au hasard. Il m’invitait à boire un verre de jus avec lui, toujours sous des prétextes anodins : une envie soudaine de discuter, un simple besoin de compagnie, une pause dans sa journée qu’il préférait partager avec moi plutôt que de la passer seul. Mais au fond, ces rencontres n’avaient rien de fortuit. Elles étaient voulues, construites, désirées. Et moi, sans trop savoir pourquoi, je me retrouvais toujours à accepter.
Nos conversations n’étaient jamais vides. Il savait toujours quoi dire pour me faire sourire, pour attiser mon intérêt, pour faire vibrer en moi quelque chose d’indéfinissable. Ses paroles étaient pleines de douceur, parfois de légers sous-entendus, jamais trop appuyés mais assez présents pour laisser place au doute, à l’interrogation. Il n’était pas seulement un homme qui parlait, il était un homme qui tissait, qui tissait sa place en moi, mot après mot, échange après échange.
Mais ce qui me troublait le plus, c’était ses appels. Il ne se contentait pas d’un simple message pour prendre de mes nouvelles, ni d’un rapide coup de téléphone pour entendre ma voix. Non, il voulait me voir. Il exigeait parfois des appels vidéo, me disant qu’il avait juste envie de contempler mon visage. Cette demande, qui aurait pu sembler banale, prenait une tout autre dimension lorsqu’elle venait de lui. Il insistait avec une douceur désarmante, une insistance à laquelle il était difficile de résister. Je finissais toujours par céder, par répondre, par apparaître sur l’écran de son téléphone, sous son regard attentif et admiratif.
Et lorsqu’il me regardait ainsi, lorsqu’il laissait son regard s’attarder sur moi à travers l’écran, il ne pouvait s’empêcher de m’adresser des compliments. Il louait mes qualités, admirait ma beauté avec une sincérité troublante. Il trouvait toujours un détail à souligner : un éclat dans mes yeux, une douceur dans ma voix, une grâce dans ma manière d’être. Il ne disait jamais les choses de manière brutale ou ostentatoire. Non, ses paroles avaient cette subtilité qui les rendait encore plus marquantes, encore plus pénétrantes.
Peu à peu, presque sans que je m’en rende compte, cette présence qu’il entretenait s’était ancrée en moi. Il ne m’accordait pas la possibilité de l’oublier, il ne me laissait pas cette distance que les autres avaient naturellement imposée. Il était toujours là, même dans son absence. Il s’infiltrait dans mes pensées, dans mes habitudes, dans mon quotidien.
Oui, il était parti. Mais d’une étrange manière, il était resté. Plus présent que jamais.
