À malin, à malin et demi
ALICE KABLAN
Cette voix m'était étrangement familière.... Avec mon stylo en main, je me suis rapidement relevée pour me présenter à mon nouveau patron. Une fois debout, je me suis retrouvée nez à nez avec lui.....Cedric Yoan NZOLA!
Seigneur je suis foutue !
Je voulais rentrer sous terre, m'envoler bref je voulais disparaître. La honte de ma vie!!!
Il m’a regardée de manière impassible et m’a lancée
CEDRIC N(d’un calme déconcertant) : Bonjour Mademoiselle. Je suppose que vous êtes la nouvelle assistante. Bienvenue dans notre équipe.
MOI(titubant ) : d’accord…. Eeeh je veux dire… enfin merci monsieur
CEDRIC N : C’est une très belle montre que vous avez là
Seigneur Jésus !!!! Il il vient de me complimenter sur ma montre ou plutôt sa montre. Cette montre Cartier, je l’ai prise chez lui. C’était la seule qui était un modèle mixte pouvant être portée tant par une femme que par un homme. J’ai donc préféré la garder au lieu de la vendre comme les autres.
Je n’ai pas pu lui dire merci pour son compliment. C'en était trop pour moi.
CEDRIC N : c’est quoi votre nom ?
Il se fout de moi ou alors il ne me reconnaît vraiment pas ? C’est mieux qu’il appelle maintenant la police au lieu de me torturer de la sorte.
MOI(perturbée) : Je suis Alice
CEDRIC N( toujours aussi serein) : Je suppose que Alice est votre prénom. J’ai demandé votre nom.
MOI : eeuuh je m’appelle Kablan …. Alice Kablan
CEDRIC N(après un léger sourire) : Très bien mademoiselle Kablan. Je vous laisse prendre vos marques. Si vous avez des questions, je suis à mon bureau.
Si j’ai des questions ? Bien sûr que j’ai des questions. Je veux savoir à quel moment il compte prévenir la police.
De mon coin de bureau, je le voyais à l’intérieur de son bureau entrain de passer un coup de fil. S’il croit que je vais sagement rester là qu’on vienne m’arrêter, il se trompe complètement.
J’ai rapidement ramassé les effets que j’avais mis sur mon comptoir et je marchais d’un pas décidé vers l’ascenseur pour m'enfuir. J’ai d’abord cru avoir mal entendu mais il a répété
CEDRIC N(d’un ton ferme) : Appelez la sécurité svp !!!
Lorsque j’ai entendu sécurité, mon sang ne fit qu’un tour dans mes veines. Mon rythme cardiaque s’accélérait pendant que je perdais tous mes moyens. J’étais tétanisée. Mes pieds se sont alourdis comme si on m’avait lancée un sort qui m’empêchait de bouger. Submergée par la peur, J’ai senti des gouttes verser dans mon pantalon… de fines gouttes qui ont ensuite doublé d’intensité sans que je ne puisse rien faire pour stopper cela. J’étais entrain de me pisser dessus.
Vraiment quand Dieu veut te punir, il n’y va pas de main morte.
CEDRIC N : Mais qu’est-ce qui se passe ? Vous allez bien ?
Aucun son ne pouvait sortir de ma bouche..
CEDRIC : Vous m’expliquez s’il vous plaît ? Je vous demande d’appeler la sécurité parce que j’ai des questions à poser à leur chef et vous, vous faites une crise.
Toujours aucune réponse de ma part. Des larmes remplirent mes yeux
CEDRIC N : Je sais que c’est votre premier jour de boulot mais déstressez voyons. Je ne vais pas vous torturer ou vous voler.
Il me regardait droit dans les yeux en disant ;ce qui m’a davantage mise mal à l’aise. Les larmes que je refoulais depuis ont envahi mon visage.
Donc il m’a reconnue ? Pendant un bref instant, j’ai espéré qu’il ne me reconnaisse pas. Il a agit au début comme s’il ne savait pas qui j’étais. J’ai fait des calculs dans ma tête en me disant que même s’il n’était pas vraiment soûlé, c’était possible qu’il ne me reconnaisse pas. Certaines personnes ne sont pas physionomistes du tout. J’espérais qu’il soit de cette catégorie.
J’étais toujours arrêtée au milieu de mon urine qui a fini par s’étaler au sol après avoir mouillé le pantalon de mon ensemble tailleur.
CEDRIC N(appuyant sur le bouton de l’ascenseur) : Venez avec moi
Je suis finie ooooh ! Il me conduit à la police pour qu'on m’enferme ?
MOI : Notre père qui est aux cieux. Que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne, Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé . (Il m’a regardée et a éclaté de rire. J’ai alors réalisé que j’avais prononcé cette partie à voix haute.)
MOI(Continuant à voix basse) : Et ne soumet pas à la tentation mais délivre nous du mal. Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour des siècles et des siècles. Amen
Nous étions à présent dans l’ascenseur mais au lieu d’appuyer sur le chiffre 1 il a appuyé sur T
MOI(intérieurement) : eeeeh ça c’est quoi encore ow ? Donc il va me tuer au lieu de me livrer à la police ?
Nous sommes arrivés dans un parking sous-terrain. Il a décondamné sa voiture et m’a invitée à prendre place dedans. C’était la même voiture que la dernière fois. C’est toute honteuse, que je suis montée.
Est-ce que j’ai besoin de décrire l’atmosphère dans la voiture ? C’était juste infernal.
Parfois on voit les gens mourir de crise cardiaque sans comprendre ce qui s’est passé. Je me trouvais dans une voiture avec l’homme que j’ai volé la semaine passée et qui feignait de ne pas me reconnaître. Il conduisait en silence et suivait l’itinéraire du commissariat de police. Je sentais l’urine et j’étais à deux doigts d’avoir une attaque cardiaque. Ce qui me perturbait le plus, C’était son indifférence. Il faisait celui qui ne comprenait rien.
CEDRIC N : Détendez-vous. Ça restera entre nous.
MOI(balbutiant): Je ....vous voulez dire quoi?
CEDRIC N: Que personne ne saura que vous vous êtes pissée dessus en ma présence. Disons que ça sera notre petit secret.(en faisant un clin d’œil)
J'ai cru un instant qu'il parlait de l'incident de la dernière fois. Ce gar joue vraiment avec mes nerfs. Avant que je n'eus le temps de répondre, il avait déjà garé devant le commissariat du 8ème arrondissement.
CEDRIC N: Allez! descendez
MOI(en tremblant): Est ce que je peux appeler ma copine Désirée pour qu'elle prévienne mes parents au moins?
CEDRIC(me prenant par la taille) : On doit traverser
De l'autre côté de la rue, se trouvent des magasins de vêtements de luxe. Ce gar veut que je l'accompagne faire du shopping avant d'aller en prison? ça n'a aucun sens. Comme s'il lisait dans mes pensées, il a répondu
CEDRIC N: Choisissez une tenue et changez vous.
Je le regardais, ébahie et stupéfaite. Que signifie tout ceci? Donc il ne m'a vraiment pas reconnue? Ou alors c'est un moyen pour me déstabiliser et me faire péter les plombs.
MOI: Je ne comprends pas ce que vous voulez. Je dois choisir des vêtements ici? Je n'ai pas les moyens.
CEDRIC N:C'est moi qui offre ! Il faut que mon assistante soit à mon image. Sans vous vexer, votre tenue n'est pas vraiment de bonne qualité.
MOI(d'une voix faible): Je ne suis pas d'humeur à faire du shopping. Je veux juste être située sur la suite de ma vie
CEDRIC(me fixant dans les yeux): si vous coopérez, tout se passera bien.
Je comprenais tout ce qu'il disait au sens figuré; le moindre propos sonnait comme une menace pour moi. Je savais que je n'avais plus rien à perdre. Si je dois aller en prison, je refuse de supporter ce supplice encore Longtemps.
Sur un coup de tête, j'ai attrapé rapidement un vêtement, je l’ai pris par le bras et l'ai tiré dans la cabine d'essayage avec moi.
MOI: Si je coopère comment ? , qu'est ce que vous voulez dire? Allez droit au but.
On était tellement à l’étroit dans cette cabine que nos deux corps se frôlaient provoquant au passage, une agréable sensation.
CEDRIC N(visiblement distrait par cette proximité): Si vous êtes une bonne assistante, je serai un bon patron. C'est aussi simple que ça. De quoi voudriez-vous que je parle? Vous m'avez l'air très tendue mademovisiblemen
MOI: Monsieur Nzola si vous comptez porter plainte, traversons pour aller au commissariat et finissons-en une fois pour toute. Je suis au bord de l’infarctus et c'est pire que la prison.
CEDRIC N:(faussement étonné): Plainte??? Pourquoi est ce que je devrais porter plainte? Simplement à cause du pipi? Tout le monde a été stressé pour son premier jour de travail.
Il a marqué une petite pause avant de reprendre
CEDRIC N(sortant de la cabine): Si vous ne voulez rien prendre, alors je vous dépose chez vous;
MOI: Pardon?????
CEDRIC: Vous avez bien entendu. Je vous dépose chez vous et on se voit demain. Tâchez d'être plus zen demain.
D'un pas nonchalant je l'ai suivi jusqu'à la voiture.
CEDRIC N: Laissez moi deviner! je parie que vous habitez à Yopougon.
MOI: houm
CEDRIC N: Qu'est ce qu'il y a? Je me trompe?
MOI: houm non ow!
Je me sentais comme condamnée. Cet homme joue avec moi. Il fait comme s'il ne me reconnaît pas mais me montre clairement le contraire.
Nous sommes arrivés une cinquantaine de minutes plus tard devant l'immeuble dans lequel Désirée et moi louons notre studio.
MOI: C'est ici que je vis. Merci
CEDRIC N: J'ai très soif! Est ce que je peux monter boire un verre d'eau chez vous?
Bien qu'étant certaine qu'il prétextait la soif pour être sûr que je ne lui donne pas une fausse adresse, je n'ai pas eu d'autre choix que de le faire monter.
Après avoir bu ,
CEDRIC: très bien Mademoiselle Esmel! Désolé je voulais dire Kablan! Je vous vois demain au bureau sinon je viendrai vous chercher.
Je suis certaine qu'il a fait exprès de dire Esmel parce que c'est le nom que je lui ai donné la dernière fois.
Il est sorti, me laissant plantée là en me demandant ce que j'ai fait au ciel pour me retrouver dans une situation pareille.
*****DE L'AUTRE COTE DE LA VILLE *****
***NADINE MILA***
Quand papa a pris sa retraite, sa pension ne suffisait pas pour maintenir le niveau de vie très modeste que nous avions. Ayant une plantation de cacao au village, il décidé qu'on retournerait tous s'y installer. Je me souviens encore du jour où il nous a informé de sa décision. C'était un mercredi après-midi.
PAPA: On déménage le dimanche.
MOI(toute enthousiaste): C'est vrai papa? On déménage dans une maison plus grande?
PAPA: Oui oui une maison beaucoup plus grande dans un endroit moins bruyant
ALAIN (mon petit frère): On va habiter à Cocody papa?
MAMAN: Dis leur la vérité. Ils ont le droit de savoir qu'on va vivre au village
ALAIN ET MOI: Au village???
Papa a lancé un regard noir à maman qui s'est tout de suite tue.
PAPA: Oui au village. On va y aller pour les vacances et au retour, on ne viendra pas dans cette maison mais dans la nouvelle.
Le dimanche qui a suivi, un camion de déménagement est venu transporter toutes les affaires qu'on avait emballées pour les mettre dans notre future maison en attendant notre retour. Heureuse d'aller juste passer les vacances au village, ma joie s'est dissipée lorsque j'ai vu le même camion de déménagement devant notre maison du village.
MOI: Ahi papa! pourquoi c'est ici qu'il décharge les affaires?
MAMAN: houm! je vous avais dit ow!!
MOI (en pleurs): Nooon papa je refuse de déménager de la sorte. Je n'ai même pas dit au revoir à mes amis. Moi je refuse de vivre définitivement ici.
PAPA(ton sévère) : Si je t'entend te plaindre encore, tu verras de quel bois je me chauffe. On vivra ici, un point,un trait. Si tu comptes retourner en Catimini à Abidjan, non seulement le car dans lequel tu iras feras un accident, mais en plus je renierai même ton cadavre.
J'étais déconcertée par les menaces de mon père. Il a toujours été très doux et j'ai toujours été sa préférée....
Les premiers mois ont été les plus difficiles. Je déprimais presque et boudais mon père. Progressivement, Je me suis faite de nouveaux amis et j'ai commencé à apprécier la vie du village. Les choses vont mieux avec mon papa, je suis redevenue proche de lui comme avant. ça fait aujourd'hui deux ans que nous sommes au village et je suis en classe de terminale. J'ai hâte d'avoir mon bac pour habiter chez le frère de maman en ville pour aller à l'université.
Nous sommes en plein examen blanc et je viens de finir les épreuves du jour. Arrivée à la maison, j'ai vu mon père entrain de donner des beignets de haricot à manger au fils de la voisine. J'ai tendu la main pour en prendre et il a refusé en disant:
PAPA: tu es trop vieille pour ça!
Je n'ai pas eu insisté et je suis rentrée me changer et me reposer.
Je faisais le sieste quand j'ai entendu les gens crier dehors. Quand je suis sortie voir, c'était le fils de la voisine qui faisait une crise bizarre. Les gens s’agitaient autour de lui jusqu'à ce qu'il soit transporté en toute urgence au dispensaire du village. Analyses faites, il a été révélé que l'enfant avait été empoisonné à travers des beignets.
Mon père m'a appelée dans sa chambre pour me faire promettre de ne rien dire à personne. Selon lui, les beignets qu'il a donnés à Ali n'étaient pas empoisonnés mais il refuse de se dénoncer de peur d'être emprisonné.
Quelques jours plus tard, la vendeuse de beignets du village a été mise aux arrêts.
Je savais intérieurement qu'elle était innocente mais rien ne prouvait que mon père était coupable. Par amour pour mon père, j'ai décidé de garder le secret. Je n'avais pas prévu que la vendeuse apparaîtrait tous les jours dans mes rêves.
C'était toujours le même scénario. Elle pleurait en me disant "tu sais que je suis innocente. Mes enfants sont orphelins de père. Qui les nourrira à présent? Je compte sur toi pour rétablir la vérité". Je faisais exactement le même songe toutes les nuits.
Fatiguée de cette situation et refusant de devenir folle, j'ai décidé de m'enfuir du village. J’ignorais que c’était le début de mon calvaire.
