Chapitre 05
Chapitre 5
Je baisse le feu sous ma poêle et me dirige vers le réfrigérateur, mon portable à la main.
- Mais enfin, Marina…
- Non, non et non, coupe-t-elle. J’ai déjà dit que je ne voulais pas.
Je soupire, pendant qu’elle continue :
- Ce n’est pas une obligation, que je sache ?
- Non, je réponds posément. Ce n’est pas une obligation. Cependant, ça me ferait vraiment très plaisir. Je suis devenue proche d’elles et j’estime que ce serait plus simple si vous vous rencontriez.
- Puisque vous êtes si proche que ça, fais donc ta vie avec elles et laisse-moi dans mon coin.
Pfff, vous parlez de mélodrame…
- Tu exagères, Marina.
- Moi j’exagère ? C’est toi qui cherches à me remplacer, avec deux filles sorties de je ne sais où, de surcroit, et tu trouves que j’exagère ?
Je coince le téléphone entre mon oreille et mon épaule pour sortir à deux mains le bac à légumes. Je referme le frigo d’un coup de pied et reprend ma conversation.
- Alors, primo, elles ne sont pas sorties de je ne sais où. Je t’ai dit que j’avais déjà rêvé d’elles et que j’estimais qu’elles étaient dignes de confiance.
- Oh mais parce que ça change tout, que tu aies rêvé d’elles, ironise-t-elle.
- Deuxio, je continue sans relever, le fait que je sois proche d’elles ne change rien au fait que tu es ma meilleure amie. Mieux même, ma sœur. On ne peut pas remplacer sa sœur. Tertio, je n’apprécie pas vraiment que tu essaie de me faire choisir entre vous, surtout qu’il n’y a aucune raison de le faire.
- Je ne les aime pas, ça devrait te suffire.
- Tu ne les connais même pas ! je m’exclame, à la fois de dépit et d’agacement.
Elle garde un moment le silence avant de reprendre d’une petite voix :
- Et maintenant, tu me cries dessus ? A cause d’elles ?
- Je n’ai pas crié.
- Tu vois, quand je dis qu’elles ont une mauvaise influence sur toi… d’abord, cette histoire avec Seye, ensuite le fait que tu demandes ton transfert à Accra, et maintenant ça ?
- Marina…
- Tu as changé, Liah. Je ne te reconnais plus.
Je soupire. Encore et toujours le même refrain. Je commence à saturer.
- Parce que maintenant, je mange autre chose que du poulet, que je veux repartir à Accra et que je suis agacée par les chichis que tu fais, tu ne reconnais plus ? Tu ne me connaissais peut-être pas, alors.
Elle garde le silence un moment, je crois bien qu’elle est choquée. Je n’entends plus que sa respiration à l’autre bout du fil.
Puis, au bout d’un moment, elle reprend doucement :
- Peut-être, pas après tout.
Sa voix tremble et je sens, à ses inflexions, qu’elle est sur le point de pleurer.
Merde !
- Marina…
- Je vais y aller. Prend soin de toi, Liah.
- Mari…
Trop tard, elle a déjà raccroché.
Je reste un moment à regarder mon portable dans ma main avant de le lancer contre le mur.
Toute cette situation me tape sérieusement sur les nerfs.
Depuis 6 mois que je fréquente Audrey et Agatha, je suis en conflit perpétuel avec Marina.
Elle est tout le temps en train de les dénigrer, de parler mal d’elles et de les juger. Au début, je prenais son attitude pour la manifestation de sa jalousie et j’ai essayé de la comprendre et de laisser passer certaines choses, mais là, je sature.
Ce qui m’énerve, c’est que Marina ne fait aucun effort, alors que les filles, elles, n’ont aucun problème avec elle. Parfois, quand je suis au téléphone avec Marina, elles lui passent le bonjour ou prennent de ses nouvelles.
Je me suis dit que si elles se rencontraient et sympathisaient, le problème serait résolu.
Sauf que madame Marina refuse de les rencontrer, allez savoir pourquoi. Je la poursuis depuis des mois, en vain.
Au mois de janvier, après qu’elles soient rentrées des congés de Noël, Seye a invité les filles – Audrey, Agatha, Sonya et Naomi, une autre de qui je suis devenue proche - à Lagos. Je comptais en profiter pour les présenter à Marina, mais cette dernière a disparu de la ville quand elle a su que j’étais venue avec les filles.
Elle a ensuite prétendu avoir dû aller à je ne sais quelle retraite de prière, mais ça m’a vraiment vexé.
Et depuis, à chaque fois que je lui demande de venir me voir, vu que j’étais au Nigéria deux fois déjà, elle refuse. Au début, elle avait commencé par inventer des excuses toutes plus bidons les unes que les autres. Et quand elle a vu que je ne lâchais rien, elle a clairement dit qu’elle ne viendrait pas. Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs, m’a-t-elle dit.
Moi, je suis fatiguée. Courir après les gens, je n’aime pas ça. En plus si c’est pour les affaires sans queue ni tête comme ça.
En plus, à cause des conneries comme ça, j’ai cassé mon portable.
Je laisse tout ce que j’étais en train de faire sur le plan de travail pour aller le ramasser à côte du mur.
L’écran est cassé, la surface de verre au dos du téléphone aussi. Je soupire et commence déjà à penser à ce que je vais dire à mon père pour lui expliquer. Si je dis que j’étais en train de cuisiner et que j’ai posé une casserole dessus, c’est crédible, vous pensez ?
Moi je crois que oui. De toute façon, je suis connue pour être maladroite. Je n’aurais qu’à dire que le portable faisait le quart de mon poids et qu’il m’a échappé des mains parce qu’il était trop lourd.
Me voilà, obligée de me casser la tête à cause des conneries de Marina.
Je range les morceaux restants de mon portable et me remets à la cuisine. Je préparer une recette thaïlandaise à base de crevettes que j’ai trouvée sur un forum de cuisine sur lequel Audrey m’a inscrite.
Je termine de faire la cuisine, me sers et vais m'installer à mon bureau, devant l'ordinateur pour appeler Seye via skype. C'est devenu une sorte de rituel. Il aime me voir manger, allez savoir pourquoi.
Je lance l'appel et la sonnerie a à peine retentit que son beau visage apparaît à l'écran.
- Coucou chérie. Me sourit-il.
- Salut bébé. Comment ça va?
- Mal. Tu me manques.
Je soupire. Depuis 3 semaines, Seye est en pleine tentative de séduction pour que je reparte à Lagos. Il me "harcèle" jour et nuit, se lamente du fait que je lui manque et que sans moi, il maigrit.
Je veux bien le voir, il me manque aussi.
Mais je refuse d'aller à Lagos. En tout cas, pas tant que Marina ne sera pas venue à Accra en premier. Parce que je me connais. Je sais que dès que je vais mettre les pieds à Lagos, au lieu d'aller retrouver le payeur du billet ; je vais seulement aller faire l'amitié et essayer de me réconcilier avec elle alors qu'elle n'aura fait aucun effort.
Donc mieux chacun reste chez lui.
Et mieux, il vient lui plutôt.
Mais quand j'explique ça à Seye, il ne comprends pas. Il estime qu'il n'a rien à voir avec mon histoire avec Marina, donc je dois dissocier les deux.
Nous sommes donc actuellement en pleine négociations. Il a même appelé Serge pour lui demander de me convaincre.
- Tu me manques aussi, chéri. Tu as pris ton billet?
Il rigole.
- N'inverse pas les rôles. C'est moi qui doit te poser cette question.
- Mais non, la dernière fois on avait décidé que tu viendrais la semaine avant Pâques.
- Tu as décidé, corrige-t-il.
Oui, bon okay, j'ai décidé.
Je veux qu'il vienne, lui, pendant mes congés de Pâques, dans 6 semaines. Je dois rentrer à Lomé, parce que mes parents ont invités les filles pour les rencontrer. Je veux lui faire la surprise et le présenter à mes parents en même temps.
J'estime que presque 3 ans, c'est largement suffisant pour que je le présente officiellement à ma famille. Même si on ne se marie pas, même si notre histoire ne dure pas jusqu'à la fin des temps, je veux qu'il sache que je l'aime et que je prend suffisamment notre histoire au sérieux pour laisser mes parents savoir qu'on se fréquente. Surtout que, de son côté, tout le monde me connaît.
À sa place, je ne sais pas si j'aurais tenu aussi longtemps dans la clandestinité.
Certes, il ne se plaint pas, à cause de cette histoire de mariage arrangé que je lui ai raconté pour lui parler de Christophe, mais je sais que ça le frustre. N'importe qui serait frustré dans une telle situation, moi la première.
Je veux qu'il comprenne que je ne suis pas avec lui "en attendant" comme certains de ses amis semblent penser que c'est le cas. Je veux lui montrer que je tiens vraiment à notre histoire et que je le veux dans ma vie. Il y aura toujours moyen de gérer les choses quand (si) Christophe montrera sa face. Après tout, s'il est vraiment celui que je pense qu'il est, DIEU va lui même disposer le temps et les circonstances pour qu'on se retrouve. IL n'a pas mis Seye sur mon chemin pour qu'on se contente d'une amourette sans profondeur, si?
Je passe l'heure qui vient à parler de choses et d'autres avec mon chéri et à essayer de le convaincre de venir à Pâques. Mais il ne lâche rien.
À ce rythme, je vais déléguer Agatha pour le convaincre. Elle pourrait l'appeler, lui demander s'il vient et lâcher innocemment que je veux le présenter aux parents. Je pense que c'est ce que je vais faire.
*******
Je sors de mon dernier examen partiel avant les congés de Février.
Je l'ai bâclé, j'en suis sûre, tellement j'ai la tête ailleurs.
Quand mes tantes me disaient qu’il faut se concentrer sur l’école et éviter les hommes, au risque d’échouer, je pensais qu’elles exagéraient.
Jusqu’à ce que j’en fasse l’expérience.
Je ne dors plus, je ne mange plus – ce n’est pas nouveau – et je n’étudie plus depuis deux semaines à cause de Seye. Je le soupçonne de me tromper.
Ça fait exactement 13 jours qu’il est bizarre. Bizarre, dans le genre ne décroche pas mes appels, ne m’appelle pas non plus, réponds une fois sur trois à mes messages, n’a plus de temps pour nos entrevues skype…
Ce n’est pas la première fois qu’on ne se parle pas aussi longtemps. En général, quand je suis dans ma période de révision et/ou que lui a plein de boulot, on décide de faire un break niveau communication pour mieux se concentrer. On se contente de s’échanger des petits textos, tous les deux jours, histoire de rassurer l’autre.
Donc, en soi, la situation n’a rien d’inhabituel, à part qu’il ne m’a pas prévenue.
Je n’aurais donc pas tout de suite crié à l’infidélité si Marina – qui s’est excusée de son attitude – ne m’avait pas avoué le voir régulièrement dans la ville avec une fille pendue à son bras.
Je ne suis pas d’un naturel jaloux – peut-être parce qu’il ne m’a jamais donné d’occasion de l’être, mais là, c’est chaud. Surtout que j’ai vu des photos de la fille en question.
Marina m’a envoyé des captures d’écran du profil Instagram de la fille, profil sur lequel elle a des tonnes de photos avec mon chéri (okay, juste 3 mais quand même). La fille est tout ce que je ne suis pas : grande, voluptueuse, avec une poitrine grosse comme la terre et des fesses comme la lune.
Je n’ai jamais été particulièrement complexée par ma petite taille ou ma forme ou mon poids. Mais maintenant que je sais que Seye aime les filles plus en chair, j’avoue que ça me travaille.
Bref, donc là, je vais à Lagos. Voyage intempestif, comme dirait mon père.
J’y vais sans bagages, juste avec mon sac à main et un peu d’argent. Comme ça, si mes soupçons sont confirmés, je reviens immédiatement. Sinon, je reste là-bas et laisse à mon chéri le plaisir de me voir dans des vêtements qu’il aura achetés pour moi. Il aime particulièrement ça, m’habiller, comme si j’étais sa poupée.
Je n’ai prévenue personne, ni Marina, ni les filles d’ici, ni même Serge. Je ne veux pas prendre le risque que quelqu’un lâche l’info sans faire exprès, et puis il va cacher sa maitresse.
Oui, c’est déjà arrivé là-bas. D’ailleurs, cette fille, si je mets la main sur elle, je risque de la tabasser. Ne regarder pas ma minceur hein. Les ivoiriens disent que ‘’c’est naissance’’.
Et voilà, à cause d’un homme, je vais aller faire ce que je n’ai jamais fait : me battre. Cette histoire est en train de me faire perdre la tête.
J’arrive à Lagos à 16h25 et prends immédiatement un taxi pour chez Seye. Il vit à Ikoyi, à l’est du centre-ville. Avec les bouchons, le trajet dure plus d’une heure, c’est juste l’enfer. Déjà que je ne suis pas dans de bonnes dispositions…
Quand j’arrive chez Seye, vers 18h, sa femme de ménage est en train de partir.
Elle me reconnait et me salue chaleureusement, avant de m’informer que ‘’le patron ne devrait pas tarder, il part en voyage aujourd’hui’’.
Bien.
Je m’installe, pied sur pied, dans le séjour et sors mon portable pour relire les messages de Marina. Comme ça, le temps qu’il arrive, je serais bien énervée et j’aurais réussi à me composer un visage fâché.
Sauf qu’à un moment, entre deux messages, je m’endors, pour ne me réveiller que quand je me sens doucement secouée.
- Bébé ? j’entends une voix douce appeler.
Puis, d’autres secousses, un peu plus fermes.
J’ouvre les yeux et découvre le visage de Seye tout près du mien.
Il est tellement beau, mon bébé ! En plus, quand il me regarde comme ça, comme si j’étais la plus belle chose du monde, j’ai juste envie de le serrer dans mes bras et de le couvrir de baisers.
Chose que je commence à faire, avant de me souvenir que je suis supposée être en colère contre lui.
Je détache alors mes bras que j’avais noué autour de son cou et détourne la tête pour séparer nos bouches qui avaient fusionnées.
Mon geste n’est pas brusque – je n’arrive pas à faire la sauvage avec lui, même quand j’en ai envie – alors il ne remarque pas tout de suite que je ne suis pas dans mon assiette et m’adresse un sourire radieux.
- Je suis tellement content que tu sois là ! Tu aurais dû me prévenir, je serais allé te chercher à l’aéroport.
Et te laisser la possibilité de cacher ta maitresse ?
- Ça aurait gâché la surprise, je réponds à la place.
- En tout cas, pour une surprise, c’en est une. C’est bien la première fois que tu m’en fais une pareille. Quelle mouche t’a piquée ?
Genre, il me faut une raison pour venir voir mon copain ? Ou je dois écrire une lettre de demande manuscrite ?
Je le pense très fort, mais je ne le dis pas. Je vous l’ai dit, j’ai du mal à faire la folle avec lui. Au lieu de quoi, je réponds :
- Tu me harcelais. Et comme c’est les congés de février, j’ai décidé de venir.
Il se lève d’à côté de moi, sur le sofa et s’étire.
- Ça me fait plaisir, ifè mo. Tu restes tous tes congés ? C’est combien de temps déjà ?
Pour que tu puisses faire ton programme avec ta petite trainée ? jamais !
- Je ne sais pas encore, ça dépendra de toi.
Il me prend par la main, m’aide à me mettre debout et prend mon sac à main, posé à côté de moi, sur son épaule.
- Ça tombe vraiment bien que tu sois venue aujourd’hui, continue-t-il en m’entrainant vers sa chambre. Tu aurais pu me rater, je pars en voyage tout à l’heure. TU as déjà rangé tes valises dans la chambre ?
- Ou vas-tu ? je demande sans prendre la peine de répondre.
- Londres ! Réunion avec le comité de mise en place de l’écurie. J’ai mon vol à 23h.
Nous pénétrons dans la chambre et il me fait asseoir sur le lit avant d’aller dans sa penderie et d’en revenir avec une petite valise noire.
Il l’ouvre, la pose sur le lit et entame des va et vient entre les deux endroits pour la remplir.
Pendant tout ce temps, il continue à bavarder, m’expliquant que sa réunion n’était pas prévue, qu’il avait même essayé de me joindre pour me prévenir qu’il voyageait et qu’il était désolé de devoir m’abandonner.
- Me je rentre dans deux jours. Je te promets qu’une fois de retour, j’éteins tout pour me concentrer sur toi.
J’émets un vague grognement qu’il prend certainement pour un signe d’approbation, et il continue son monologue.
- Tu avais prévu de rester plus de deux jours, non ?
Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans ‘’ça dépend de toi’’ ?
- D’ailleurs, où sont tes valises ? enchaine-t-il en se dirigeant vers sa salle de bains. Je ne les ai pas vues dans la penderie.
- Est-ce que tu me trompes ?
Excusez mon manque de tournage autour du pot, mais ça me rend folle. Autant jouer cartes sur table.
Il se fige à l’entrée de la salle de bains, pivote sur ses talons et se retourne pour me regarder.
- Pardon ?
- Je demande si tu me trompes.
J’ai répété ma question moins fort, avec moins de confiance que la première fois. Et pour cause, il me regarde comme si je viens de lui poser la question la plus stupide de toute l’histoire des questions stupides.
- Non.
Il se retourne en direction de la douche, fais deux pas… et se retourne à nouveau pour me regarder.
- Bordel, Liah, non, je ne te trompe pas. Où tu as bien pu ramasser une idée pareille ?
Pourquoi est-ce que je me sens stupide tout d’un coup ?
Il avance jusqu’à moi et s’assied sur le lit avant de me faire asseoir sur ses genoux.
- Pourquoi tu penses que je te trompe ?
Je mâchouille une mèche de mon tissage, en réfléchissant à ce que je vais bien pouvoir lui dire.
- Liah ?
- Tu es bizarre avec moi.
- Mais encore ?
- Tu ne réponds pas à mes messages, tu ne décroche pas mes appels, tu as disparu de Skype…
Il secoue la tête, l’air dépassé.
- Mon ordinateur personnel et mon portable ont été volés. Je te l’ai dit, non ?
Comment tu me l’aurais dit, d’abord ?
Voyant que je secoue la tête, il continue.
- J’ai donné une petite réception ici il y a deux semaines. J’ai constaté que mes affaires avaient disparu quand j’ai voulu t’appeler après ça.
- C’est un de tes invités qui a fait le coup ?
- Je ne sais pas. C’est peut-être une des femmes de l’agence de ménage, et je ne m’en serais rendu compte que trop tard, ça peut être quelqu’un du service traiteur, ça peut être n’importe qui.
Je scrute son visage, il a l’air de dire vrai. En tout cas, s’il ment, je vais l’attraper un jour ou l’autre, je ne dis rien.
- Mais j’étais sûr de te l’avoir dit. Je t’ai appelé du fixe de la maison et ai laissé un message vocal sur ton numéro, parce que tu ne décrochais pas.
- Je n’ai rien reçu.
- Et pourtant. J’ai même essayé de t’appeler chaque soir, ensuite, en vain. Marina disait que tu avais surement encore cassé ton portable, et je n’avais pas non plus le numéro d’un de tes amis là-bas pour appeler dessus.
Je suis restée bloquée à ‘’Marina disait que tu avais surement encore cassé ton portable’’. Ce n’est pas elle que j’ai appelé en premier quand j’ai acheté un nouveau portable et changé de numéro ? Elle qui me parlait au moins une fois par jour, elle va dire que j’ai cassé mon portable ? Et elle ne pouvait pas me dire que Seye avait un problème, au lieu de me montrer les photos de la fille là ?
- Mon portable n’est pas cassé, Seye. Mais je n’ai reçu aucun message vocal ni reçu aucun appel. En tout cas, je n’ai rien vu.
Il me pousse un peu et s’étire afin de s’emparer de sa veste qu’il avait balancée négligemment sur le lit. Il en sort un téléphone portable flambant neuf et le manipule un instant avant de le mettre sous mon nez : s’affiche l’historique des appels. Je peux voir que chaque soir, au moins deux fois, il appelle le même numéro.
Qui ressemble au mien, mais qui n’est pas le bon.
- Non ! Bébé, mon numéro, c’est 45 et non pas 47 à la fin.
- Tu es sure ?
Non, je ne suis pas sure. Mon propre numéro, tu vas dire que je ne connais pas.
- Me regarde pas comme ça, ajoute-t-il. C’est juste que Marina m’a confirmé que c’était bien ton numéro.
Eeeh, je commence déjà à saturer d’entendre Marina a dit, Marina a fait.
Je vais aller la trouver chez elle là-bas demain, elle va m’expliquer son affaire.
En attendant, je vais finir de régler mon problème.
- Bon, même si on a volé ton portable, vu que tu en as un neuf, tu devrais voir mes appels et autres messages non ?
- Non. Mon ancien portable a été grillé à distance et mon numéro a été désactivé par l’opérateur pour des raisons de sécurité.
Ah oui. Nos amis qui travaillent pour le gouvernement et traitent des dossiers top-secrets.
- Donc tu ne me trompes pas ?
Il éclate de rire.
- Non, Dalhia, je ne trompe pas.
Fin de l’histoire.
Enfin, presque…
- Et tu vas quand même voyager alors que je suis venue express te voir ?
Il rit encore.
- Tu n’es pas venue me voir, tu es venue vérifier que je ne te trompais pas.
- DPAM.
- Quoi ?
- Du pareil au même.
Il continue de rire.
- Tu es plutôt venue faire ta terroriste.
- Donc je retourne ? je demande.
- Donc tu veux que je reste ? fait-il à son tour.
C’est quoi ce genre de questions ?
- Bien sûr.
Il soupire profondément, pour montrer à je ne sais qui que je le fatigue, avant de prendre son portable et de le manipuler longtemps. Il recherche le numéro de son assistant, apparemment – nos amis qui ont des assistants.
Il finit par retrouver le numéro et appelle l’assistant. Je fais semblant de ne pas écouter mais je tends quand même l’oreille pour m’assurer que c’est bien une voix masculine et que l’assistant n’est pas en réalité une assistante. Le pays est risqué, comme dit Agatha. Mieux vaut faire la jalouse que pleurer plus tard.
Il explique à celui qu’il appelle Erwan que sa femme – ignorez les cœurs dans mes yeux, merci – est venu le voir d’Accra et qu’il va repousser son vol d’un jour.
- De deux, rectifie-t-il quand il voit mon regard. La réunion ne commence que lundi, non ?
Donc ta réunion commence lundi et tu veux partir vendredi ? Vous voyez les gens ?
Non, ce n’est pas mon problème, qu’il doive se reposer ou pas.
- Oui, tu diras au ministre que j’ai une urgence.
Aah, Erwan bavarde déjà trop. On te dit on ne voyage pas, prend seulement le message et raccroche, non ? Mais non, c’est toi qui doit discuter et poser des questions.
Je pense qu’Agatha a déteint sur moi, c’est ce qui explique ma réaction.
J’arrache le téléphone de l’oreille de Seye, le porte à la mienne, juste le temps de dire à Erwan que :
- Seye est occupé, il vous rappellera demain.
Avant de raccrocher et d’éteindre le portable.
Seye me fixe, complètement abasourdi. C’est la première fois que je fais un truc pareil. Je vous l’ai dit, avec lui, je n’arrive pas à faire la folle. Enfin, je n’arrivais pas. Agatha a gâché ma vie.
Je me mets ensuite debout, passe ma main sous mon top pour le retirer et lui tends la main.
- J’ai besoin d’une douche, tu viens ?
Il referme sa bouche et se met debout aussi sec.
Ah les hommes. C’est si facile de les mener par le bout du téton.
