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Chapitre 1

...Personne ne comprend vraiment Victoria. Même moi, parfois, j’ai l’impression de me regarder depuis l’extérieur. Ce soir, je suis assise dans ce restaurant sans charme particulier, entre Constance et Florence, et je me surprends à me demander pourquoi j’ai accepté cette invitation. Probablement parce que les deux piaillent comme des oiseaux depuis une heure et que je n’avais rien de mieux à faire.

- Tu devrais voir l’homme que j’ai ramené chez moi la semaine dernière ! lance Florence, yeux pétillants, sourire carnassier.

Je hoche à peine la tête. Ses récits m’ennuient autant qu’ils m’agacent. Pourquoi est-ce que ces histoires de conquêtes m’ennuient autant ? Parce qu’elles tournent toutes autour du même scénario, bien sûr : l’homme est impressionné, la femme est conquérante, et tout le monde repart satisfait. La mécanique est bien rodée, et franchement, je n’ai aucune envie d’y participer.

Constance, quant à elle, ne se laisse jamais distancer.

- Et toi, Victoria ? dit-elle en me lançant un regard curieux. Je sens tout de suite le piège. Elle attend de moi un commentaire, une confession croustillante sur ma vie sentimentale, ou plutôt sur l’absence de celle-ci.

Je souris, doucement, avec cette assurance froide qui m’est naturelle.

- Moi ? dis-je, en laissant mes doigts jouer distraitement avec le bord de ma serviette. Oh, vous savez… les hommes et moi, c’est… compliqué.

Complication ? Non. Détachement. Je n’ai jamais eu besoin d’un homme pour me sentir complète. Je fais tourner toutes les têtes, mais c’est un jeu, pas une quête. Et franchement, je n’ai aucune intention de changer cela. Florence pouffe et lance un regard entendu à Constance.

- Compliqué ? Tu veux dire que tu ne touches jamais à personne ?

- Exactement. Je réponds avec un petit haussement d’épaules qui se veut désinvolte.

Les mots sont précis, tranchants, comme une lame invisible. La vérité, c’est que je me fiche des hommes. Ils sont fascinés par moi, oui, mais moi… je les trouve prévisibles, ennuyeux, un peu trop transparents. Ils ne voient jamais la vraie Victoria. Et je ne veux pas qu’ils la voient. Constance soupire, exaspérée mais amusée.

- Tu es insupportable.

Je hausse les sourcils.

- Merci.

La répartie est naturelle. Je me délecte de ce pouvoir discret que j’ai sur les gens, sur leurs attentes, sur leurs curiosités. Les autres s’attendent toujours à ce que je craque, que je cède. Ils ne savent pas que je ne cède jamais. Le serveur arrive, et je me laisse distraire un instant par la carte. Les plats me paraissent ordinaires, comme ce restaurant et, en quelque sorte, comme cette conversation. Mais je continue d’écouter mes amies. Florence raconte ses aventures avec un enthousiasme théâtral, et Constance, fidèle à elle-même, intervient pour ajouter des détails croustillants. Elles rient, elles se moquent, elles s’émerveillent. Moi, je les regarde, fascinée par leur énergie, mais intérieurement, je reste à distance. Je prends une gorgée de mon vin, sentant la chaleur me remonter doucement le long de la gorge. Le goût est amer et doux à la fois, un peu comme ma propre vie. Mes amis me parlent d’un homme qu’elles ont rencontré récemment, et je souris, polie mais intérieurement détachée. Leur monde est fait de tentatives, de flirt et de petites victoires. Le mien est fait de contrôle, de pouvoir, d’admiration sans engagement.

À un moment, Florence s’exclame :

- Mais Victoria, tu ne veux vraiment personne dans ta vie ? Personne ?

Je les regarde, le regard froid mais amusé.

- Personne ne mérite ma vie.

Ma voix est ferme, définitive. Et c’est vrai. Je n’ai besoin de personne. Jamais. Les hommes sont fascinants, certes, mais inutiles. Comme des marionnettes dans une vitrine de luxe, ils n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent vraiment… et moi non plus.

Constance rit doucement, secouant la tête.

- Tu es incorrigible.

Et je souris, parce que j’aime être incorrigible. Parce que j’aime savoir que je reste imprévisible. Dans ce restaurant ordinaire, avec ces amies ordinaires, je reste l’inaccessible Victoria, celle qui fait tourner les têtes mais ne se laisse jamais atteindre. Je me penche légèrement sur la table, observant leurs yeux brillants et leurs gestes enthousiastes, et je me surprends à penser que, parfois, le monde entier semble si naïf. Si simple. Je suis au-dessus de tout ça, au-dessus des sentiments, au-dessus des hommes. Je suis Victoria. Et rien ne peut me toucher...

Le dîner s’achève enfin. Je sors du restaurant avec un soulagement que je cache derrière un sourire poli. Constance et Florence bavardent encore, heureuses, insouciantes. Moi, je ne pense qu’à regagner ma voiture, regagner ma bulle. L’air du soir est frais, et les flashes des paparazzis me percent déjà la rétine.

Rien de nouveau. Je suis habituée à ce cirque. Mes gardes du corps se pressent autour de moi, trop nombreux, trop bruyants. On dirait une petite armée, et je déteste cette sensation d’être une bête de foire escortée. J’avance, tête haute, quand soudain… Je trébuche. Un simple faux pas, ridicule, humiliant. Mon talon accroche le bord du trottoir, et je perds l’équilibre. Le monde bascule autour de moi. Je sens mes mains glisser dans le vide, et avant que quelqu’un ne me rattrape, je tombe. Pas lourdement, non. Juste assez pour heurter le sol, assez pour que les flashs crépitent comme des feux d’artifice. Je suis Victoria. Je ne tombe pas. Pourtant, ce soir, tout le monde l’a vu. Les murmures éclatent aussitôt. Les paparazzis hurlent mon nom, immortalisant ma faiblesse, ce moment grotesque où la femme intouchable se retrouve à genoux sur le trottoir comme n’importe quelle idiote ivre sortant d’un bar. Une brûlure de honte me dévore de l’intérieur.

Un garde m’aide à me relever. Trop tard. L’image est déjà volée, déjà vendue. Je me redresse avec toute la dignité qui me reste, menton levé, regard glacé. Je fixe mes gardes avec une rage sourde. Ils auraient dû m’éviter ça. Ils auraient dû être mes ombres, mes boucliers. Au lieu de ça, ils m’ont laissée m’écrouler devant tout le pays.

Je monte dans la voiture, le cœur battant, les mâchoires serrées. Aucun mot ne franchit mes lèvres. Pas encore. J’attends d’être chez moi. Quand enfin les portes de mon manoir se referment derrière nous, je me retourne. La colère explose comme une tempête.

« DEHORS ! »

Ma voix résonne contre les murs de marbre. Je ne réfléchis pas, je ne pèse pas mes mots. Je hurle, je crache ma fureur sur ces hommes incapables.

- Vous êtes censés me protéger, me rendre intouchable, et voilà ce que je récolte ? Une humiliation publique ! Des photos ridicules dans tous les journaux demain matin !

Je les pointe du doigt un à un, chaque geste un couperet.

- Toi ! Toi ! Et toi aussi ! Virez-moi ça de ma vue ! Je ne veux plus jamais vous voir !

Ils baissent les yeux, maladroits, embarrassés. Aucun n’ose me répondre. Qu’ils osent ! J’arracherais leur carrière d’une seule phrase. Je suis Victoria. Et personne ne me ridiculise impunément. Quand la porte se referme sur leur départ précipité, je reste seule dans le silence oppressant de mon palais. Ma respiration est saccadée, ma poitrine se soulève trop vite. Je tremble encore, pas de douleur, mais de rage. Je monte l’escalier avec la dignité retrouvée d’une reine bafouée. Peu importe combien il m’en coûtera : je remplacerai chacun d’eux. Et cette fois, je trouverai quelqu’un d’infaillible. Quelqu’un qui ne me laissera jamais tomber.

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