Bibliothèque
Français
Chapitres
Paramètres

Chapitre2:Le masque du passé

La nuit tombait lourdement sur Rivemarine, étouffant la lumière des réverbères dans une brume salée. Élise déambulait dans les rues pavées, son esprit englué dans les souvenirs de Samuel, du carnet mystérieux, et, bien sûr, de Thomas. L’absence du carnet lui pesait, comme si elle avait perdu une partie essentielle de son propre cœur. Pourtant, son intuition la poussait à continuer. Chaque pas sur ces pierres usées par le temps était un battement dans le rythme de sa quête pour la vérité.

Alors qu’elle atteignait la porte de sa maison, son téléphone vibra sur le rebord de son manteau. L’écran éclaira brièvement la pénombre, et elle s’arrêta net. Un message. Non, pas de Lydia cette fois, ni même de Samuel. Mais “A”. Antoine LEROY.

Élise hésita. Antoine avait été là, autrefois, pendant les jours heureux où Thomas et elle partageaient des projets pour l’avenir. Antoine et Thomas avaient été collègues et amis. Puis, sans véritable explication, Antoine s’était éloigné après la disparition de Thomas, comme s’il portait sur ses épaules une culpabilité qu’il refusait de partager. Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce silence soudain brisé par un message aussi bref ?

Elle resta immobile devant la porte, ses doigts resserrant un instant le téléphone. Le message était urgent. Elle le savait. Pourtant, une vague d’appréhension l’envahissait. Antoine avait toujours été une énigme, à la fois familier et distant, à la fois chaleureux et énigmatique. Pouvait-elle lui faire confiance ?

Finalement, elle se détourna de sa maison et fit demi-tour, prenant la direction du port où se trouvait l’ancien atelier d’Antoine. L’air froid de la mer giflait son visage, mais ses pas ne ralentirent pas. Elle devait savoir. L’atelier d’Antoine était un bâtiment modeste, presque oublié dans le paysage vibrant de Rivemarine. Les murs en bois vieilli dégageaient une odeur d’huile et de rouille, et une lumière vacillante filtrait à travers les fenêtres. La porte était entrouverte, comme pour l’inviter à entrer dans un espace où les mystères semblaient l’attendre. Élise hésita une seconde, puis poussa la porte.

L’intérieur était un chaos organisé : des établis surchargés d’outils, des moteurs à moitié démontés, et des croquis de bateaux épinglés aux murs. Antoine était là, courbé sur un moteur qu’il ajustait avec précision, sa chemise tachée d’huile. Il semblait concentré, presque absent, jusqu’à ce que ses yeux se lèvent vers elle.

— Élise, tu es venue, dit-il doucement, posant ses outils. Son visage, marqué par des cernes et une barbe mal entretenue, semblait porter le poids de secrets qu’il était prêt à partager.

— Ton message, Antoine… Pourquoi maintenant ? demanda-t-elle, son ton mi-curieux, mi-agacé.

Antoine essuya ses mains sur un chiffon avant de se diriger vers une vieille armoire en bois. Il en sortit une boîte métallique qu’il posa sur l’établi avec précaution. Ce qu’il sortit ensuite paralysa Élise : une boussole dorée, gravée d’une étoile identique à celle de son pendentif.

— Où as-tu trouvé ça ? souffla-t-elle.

— À bord du Lune de mer, dit Antoine, le regard rivé sur l’objet brillant.

Le cœur d’Élise s’emballa. Cet objet appartenait au monde perdu de Thomas, elle le sentait. Mais la réponse d’Antoine ne faisait qu’ajouter à sa confusion.

— Tu étais sur ce bateau ? insista-t-elle, cherchant à percer le mystère.

Antoine esquissa un sourire amer, secouant légèrement la tête.

— Non. Mais j’ai mes façons de savoir. Ce que je peux te dire, c’est que cette étoile n’est pas qu’un simple symbole. Elle est liée à quelque chose… de beaucoup plus vaste.

Ses mots résonnaient comme une énigme.

Alors qu’Élise tentait de faire sens des révélations d’Antoine, un autre détail dans la pièce attira son attention. Une carte accrochée au mur, marquée de plusieurs points rouges qui semblaient suivre une trajectoire maritime. Elle s’en approcha, son regard suivant ces points.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en montrant la carte.

Antoine fronça les sourcils, visiblement hésitant.

— C’est une piste. Les ports où le Lune de mer a fait escale avant… ce qui s’est passé, répondit-il à contrecœur.

Élise sentit son esprit s’emballer. Elle voulait poser mille questions, mais quelque chose dans l’attitude d’Antoine la freina. Il était nerveux, constamment sur le qui-vive, comme s’il attendait l’arrivée de quelqu’un ou quelque chose.

— Antoine, commence par le début, supplia-t-elle. Je mérite des réponses. Thomas mérite des réponses.

Mais au lieu de répondre, Antoine se détourna, son visage marqué par une expression indéchiffrable.

— Il y a des choses que tu ne devrais pas savoir, Élise, dit-il finalement. Crois-moi, certaines vérités ne feront qu’ajouter à ta douleur.

— Tu as peur de quoi ? Des gens ? Des conséquences ? Tu me caches quelque chose, je le sens.

Antoine se tourna vers elle, ses yeux d’un bleu acier brillant d’une intensité qui la désarma. Il posa la main sur son épaule, son ton se faisant soudainement plus doux.

— Élise, écoute-moi. Ce que tu cherches… ce que tu veux découvrir… pourrait te mettre en danger. Tu ne réalises pas à quoi tu t’exposes.

Ces mots frappèrent Élise comme un avertissement, mais au lieu de l’effrayer, ils renforcèrent sa détermination. Elle n’était pas prête à laisser les secrets du passé la contrôler. Elle voulait tout savoir, même les sombres vérités. Alors qu’ils continuaient à parler, un bruit retentit à l’extérieur. Antoine se raidit, sa main glissant instinctivement vers une porte arrière qui semblait mener à une sortie secondaire.

— Tu dois partir, dit-il précipitamment. Maintenant.

— Quoi ? Pourquoi ? Antoine, qu’est-ce qui se passe ?

Mais Antoine se dirigeait déjà vers la sortie, la tension palpable.

— Fais-moi confiance, Élise. Il vaut mieux que tu sois loin d’ici. Je t’appellerai.

Élise hésita, mais l’insistance dans ses paroles la poussa à quitter l’atelier. Dehors, elle retrouva l’air glacial du port, mais quelque chose avait changé. Elle savait que les mystères entourant Antoine allaient bien au-delà de ce qu’elle avait imaginé.

Sur le chemin du retour, ses pensées tournaient en boucle. Elle repassait chaque mot, chaque geste, chaque détail. Qui étaient ces “gens” dont Antoine avait parlé ? Et pourquoi semblait-il si nerveux ? La boussole, la carte, ses avertissements… tout semblait converger vers un complot plus vaste, plus sombre.

Élise savait qu’elle n’en avait pas fini avec Antoine. Il détenait des réponses, mais il semblait aussi pris dans les filets d’une force qu’elle ne comprenait pas encore.

Lorsque la silhouette d'Élise disparut au coin de la rue, Antoine resta planté à la porte de l’atelier, la mâchoire crispée. Il scrutait l’obscurité, ses yeux courant sur le moindre mouvement suspect dans la nuit. Le vent marin s'insinuait sous son col, mais il ne bougea pas, comme paralysé par une inquiétude qu’il portait seul.

Une fois certain qu’Élise était hors de portée, il referma la porte à clé et s’adossa contre celle-ci, soupirant longuement. Antoine n’avait jamais été un homme craintif, mais ces derniers mois avaient mis son sang-froid à rude épreuve. Il passa une main dans ses cheveux en bataille, comme s'il espérait y trouver des réponses, puis marcha lentement jusqu’à l’armoire où il avait rangé la boussole. Il la prit dans ses mains, l’observant sous la faible lueur vacillante d’une lampe suspendue.

La boussole brillait d’un éclat ancien, usée par le temps mais toujours fascinante. Antoine connaissait son importance — pas seulement pour Élise ou même pour Thomas, mais pour une raison bien plus sombre et complexe qu’il n’osait admettre.

Antoine Leroy n’avait pas toujours été cet homme replié sur lui-même. Avant, il était plein de vie, connu à Rivemarine pour ses compétences en mécanique et son sourire facile. Sa passion pour les bateaux et la mer l’avait conduit à travailler sur le Lune de mer aux côtés de Thomas, à une époque où l’avenir semblait clair et prometteur. Mais les événements de cette fameuse nuit avaient tout changé.

Il se souvenait encore du jour où on lui avait présenté Thomas. « Un gars bien, » avait-on dit. Et c’était vrai. Thomas avait cette manière de rassembler les gens, de les faire se sentir importants. Rapidement, une camaraderie s’était nouée entre eux. Mais Antoine n’avait jamais été aussi insouciant que Thomas. Là où Thomas voyait la mer comme un terrain de jeu ou une passion, Antoine y voyait un territoire dangereux, peuplé de secrets et de choses mieux laissées tranquilles.

Leur dernier voyage ensemble sur le Lune de mer hantait encore ses nuits. Antoine n’avait rien dit à Élise, ni à personne d’autre, mais il se souvenait des murmures à bord, des regards échangés dans l’ombre, des caisses scellées qui semblaient toujours voyager sous les radars. Il n’avait pas posé de questions à l’époque, préférant fermer les yeux sur ce qu’il considérait comme des affaires qui ne le concernaient pas. Mais aujourd’hui, ces choix le rattrapaient.

De retour à son établi, Antoine ouvrit un tiroir secret dissimulé sous un faux panneau de bois. À l’intérieur, une série de documents soigneusement pliés et un carnet noir relié en cuir. Contrairement au carnet qu’Élise avait trouvé, celui-ci était rempli de son propre écriture. Des dates, des observations, et même des croquis de certains symboles mystérieux qu’il avait vus gravés sur les caisses du Lune de mer. Il passa ses doigts sur les pages, le visage sombre.

Antoine n’avait pas voulu impliquer Élise. Elle était innocente dans cette affaire, une victime d’une tragédie plus grande qu’elle ne pouvait l’imaginer. Mais le hasard — ou peut-être le destin — avait décidé autrement. Et maintenant qu’elle était embarquée, il savait qu’il ne pourrait pas la protéger éternellement.

À travers une petite fenêtre de l’atelier, Antoine jeta un dernier coup d’œil à l’extérieur. Dans la rue, une ombre semblait bouger, lente et calculée. Ses sourcils se froncèrent. Il éteignit rapidement la lumière de l’atelier, s’accroupit derrière l’établi, et écouta. Le bruit de pas, discrets mais audibles, confirma ce qu’il redoutait.

« Ils sont là, » murmura-t-il pour lui-même.

Ces derniers temps, il avait remarqué qu’on l’épiait. Des visages inconnus dans les cafés, des voitures qui restaient garées trop longtemps devant son atelier, des appels anonymes où personne ne parlait de l’autre côté du fil. Antoine savait ce que cela signifiait : il avait attiré leur attention. Et maintenant, avec le retour d’Élise et son carnet disparu, les choses ne feraient que s’intensifier.

En fouillant dans un vieux coffre, Antoine sortit une petite boîte métallique. À l’intérieur, une clé en argent et un morceau de papier plié. Sur le papier, une adresse : "Port de Valmont, Quai 7. Demain à minuit." Il déglutit difficilement en relisant ces mots. Il savait que ce rendez-vous pouvait sceller son destin, mais il n’avait plus le choix.

Avant de quitter son atelier pour la nuit, il écrivit rapidement une note qu’il glissa sous une pierre posée près de l’entrée. Elle était adressée à Élise, au cas où elle reviendrait avant lui. La note disait simplement :

“Garde tes distances. Ne fais confiance à personne.”

Il prit une profonde inspiration, enfila son manteau, et quitta l’atelier en silence, s’enfonçant dans la nuit noire.

Téléchargez l'application maintenant pour recevoir la récompense
Scannez le code QR pour télécharger l'application Hinovel.