Les Liens Inaltérables
La grande maison D’Arkheval s’était couverte d’un calme presque irréel depuis quelques années. Bien que la douleur de l’enfant perdu à l’aéroport soit toujours présente, elle s’était lentement fondue dans une routine nouvelle, adoucie par les rires, les jeux et les câlins d’une fillette à la chevelure d’ébène qu’on appelait Eliandra.
Elle avait maintenant sept ans.
Ses boucles noires dansaient lorsqu’elle courait dans les longs couloirs marbrés, ses yeux pétillants reflétaient un monde qu’elle ne comprenait pas encore, et son sourire avait quelque chose de magique, capable d’apaiser même les tensions les plus profondes dans le cœur de ses parents adoptifs.
Mais surtout, elle avait Cassian.
Cassian D’Arkheval, le fils aîné, héritier de l’empire familial, du haut de ses douze ans, portait déjà l’assurance d’un futur maître du monde. Mais aux yeux de Lia, il était surtout son Cassian. Son frère, son héros, son protecteur, et parfois, son tyran bien-aimé.
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Une routine pleine d’amour
Depuis la naissance des jumeaux, Arlan et Alina, la maison avait retrouvé une effervescence nouvelle. Ces deux petites âmes, venues au monde alors que Lia avait tout juste quatre ans, avaient jeté leur dévolu sur elle avec la même intensité qu’un papillon pour une fleur éclatante. Ils la suivaient partout, l’adoraient, et pleuraient dès qu’elle disparaissait de leur champ de vision.
— Lia ! Liaaa ! Où t’es ? gémit Alina un matin, ses boucles blondes en bataille, traînant derrière elle son doudou abîmé.
— J’suis là, crapaud, répondit Lia en riant, les bras grands ouverts.
Alina s’y jeta comme dans un cocon de sécurité.
Arlan, toujours plus calme, se contenta de lui glisser un petit bracelet de perles colorées qu’il avait fabriqué pendant la nuit, les joues rouges d’un mélange de fierté et de timidité.
— C’est… pour toi.
— Il est magnifique ! Je vais le garder tout le temps ! s’écria Lia, émerveillée.
Cassian, en haut des escaliers, croisa les bras. Il observait la scène en silence, le visage impassible. Mais au fond de lui, une étrange chaleur luttait avec une pique de jalousie. Il n’aimait pas qu’elle sourie autant à quelqu’un d’autre.
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Un surnom né d’un moment simple
C’était par une après-midi d’hiver que tout changea. Le soleil s’amusait à percer à travers les vitres givrées du salon, et la petite Eliandra, emmitouflée dans une couverture, lisait un livre avec Cassian assis non loin.
— Eliandra, passe-moi le plaid, j’ai froid aux pieds, grogna-t-il.
Elle le fixa, fronça le nez et déclara :
— Tu pourrais demander plus gentiment !
— Hmph. Lia, passe-moi le plaid, s’il te plaît, marmonna-t-il sans réfléchir.
Un silence suivit.
Elle releva la tête brusquement.
— Qu’est-ce que tu as dit ?
— Le plaid, Lia, t’es sourde ?
— Tu m’as appelée Lia !
Cassian grimaça légèrement, réalisant à peine ce qu’il avait fait. Ce surnom, il lui était venu naturellement. C’était plus doux, plus personnel. Moins protocolaire que Eliandra. C’était leur mot à eux.
Elle sauta sur le canapé, rayonnante.
— J’adore ! Tu peux m’appeler comme ça tout le temps ?
— Je suppose, soupira-t-il. Mais moi seul, compris ?
Elle hocha la tête, les joues roses de bonheur.
À partir de ce jour-là, elle ne fut plus Eliandra dans son cœur. Elle fut Lia.
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Les petites guerres du quotidien
Les jumeaux adoraient Lia. Peut-être un peu trop.
Lorsqu’elle sortait jouer dans le jardin avec eux, c’était un concert de cris, de rires et de disputes pour tenir sa main ou s’asseoir sur ses genoux.
— C’est MON tour ! hurlait Arlan.
— Non, c’est MOI qui suis la princesse aujourd’hui ! répliquait Alina.
Cassian, depuis la fenêtre de la bibliothèque, observait la scène avec une irritation mal dissimulée.
Le soir, lorsque Lia entrait dans sa chambre en robe de nuit, un sourire encore accroché à ses lèvres, il ne pouvait s’empêcher de demander :
— Tu t’amuses bien avec eux ?
Elle hochait la tête.
— Oui, ils sont trop mignons. Arlan m’a même préparé une couronne avec des feuilles.
Cassian s’allongeait alors sur son lit, les bras derrière la tête, l’air détaché.
— Tu sais qu’ils ne sont que des bébés, hein ? Ils ne savent même pas lacer leurs chaussures.
— Peut-être, mais ils sont gentils, eux, au moins !
Elle disait cela en riant, mais Cassian faisait toujours la moue.
Il n’aimait pas partager. Surtout pas sa sœur.
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Une amitié précieuse
À l’école, Cassian veillait toujours sur Lia. Même si elle n’était pas encore dans le même cycle que lui, elle savait qu’il n’était jamais bien loin. Il avait menacé deux garçons qui s’étaient moqués de ses cheveux noirs.
— Tu veux que je les frappe ? avait-il demandé, les poings serrés.
— Non ! protestait-elle, les yeux ronds. Juste… ignore-les. Ils sont bêtes.
— T’es trop gentille.
Il l’aimait comme une petite sœur, mais parfois, l’intensité de cette affection allait bien au-delà. Cassian avait l’impression que Lia était née pour lui apporter un équilibre invisible, un souffle chaud dans un monde qu’on attendait déjà de lui qu’il domine.
Elle était la douceur dans son monde rigide. Et lui, le roc dans le sien.
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Les promesses d’enfants
Un soir d’orage, alors que le tonnerre faisait trembler les murs et que les jumeaux pleuraient dans la chambre d’à côté, Cassian s’était glissé dans la chambre de Lia. Elle s’était réveillée, les yeux embués.
— T’as peur ? chuchota-t-elle.
— Non. Je viens juste m’assurer que toi, t’as pas peur.
Elle lui fit de la place sous sa couverture. Et, dans un silence entrecoupé de grondements, ils regardèrent le plafond.
— Tu vas toujours être là, hein, Cassian ?
Il tourna la tête vers elle.
— Promis. Je serai toujours là, Lia.
