L’ombre d’un lien
Le jet privé des D’Arkheval se posa en douceur sur la piste lisse de l’aéroport international de Velysia. La nuit enveloppait la grande ville d’un voile étoilé, contrastant avec les projecteurs aveuglants qui illuminaient le tarmac. À bord, le silence régnait, pesant, presque irréel.
Rebecca tenait toujours Eliandra contre elle, observant l’enfant d’un regard chargé de mille questions sans réponses. Cassian, assis en face d’eux, semblait plus calme qu’à l’habitude, mais son visage était marqué par une colère froide qu’il n’osait pas exprimer.
Samuel, lui, pianotait nerveusement sur son téléphone, lançant les premiers appels. La véritable quête venait de commencer.
Dès leur arrivée à l’aéroport, la famille D’Arkheval activa son réseau d’influence et de pouvoir. Leur richesse, colossale, leur permettait d’engager des dizaines d’enquêteurs privés, d’investir dans les meilleures technologies de surveillance, et de mobiliser des ressources gouvernementales.
Samuel passa la soirée au centre de commandement improvisé dans la résidence familiale, un vaste bureau d’où il pouvait coordonner les opérations. Il dépensa sans compter, exigeant des résultats.
— Je veux savoir où est notre fille biologique, ordonna-t-il, la voix tendue. Quelqu’un a dû la prendre. Ou la cacher.
Rebecca, plus réservée, laissa éclater sa peur dans des rares instants de solitude. Elle regardait Eliandra dormir paisiblement, un calme presque surnaturel enveloppant l’enfant. Ce bébé n’était pas le sien, et pourtant elle sentait déjà un attachement profond.
Les enquêteurs quadrillèrent chaque aéroport, chaque route, chaque hôpital de la région. Ils interpellèrent les nourrices, examinèrent les caméras de surveillance, firent appel à des experts en génétique pour confirmer l’erreur.
Mais malgré l’ampleur de la recherche, la vérité resta introuvable.
Aucune trace de la véritable Aurore D’Arkheval.
Les jours qui suivirent furent lourds de tension.
Dans le grand salon aux boiseries anciennes et aux fenêtres donnant sur les jardins sculptés, Rebecca et Samuel discutèrent longuement, tard dans la nuit.
— Nous ne pouvons pas garder Eliandra officiellement, murmura Rebecca, la voix brisée. Elle n’est pas à nous, Samuel. Ni dans le sang, ni dans le nom.
— Mais elle est là. Elle grandira avec nous. Nous ne pouvons pas simplement l’effacer, répliqua Samuel, les traits tirés.
— Pas encore. Nous lui dirons la vérité quand elle aura huit ans. Elle décidera elle-même si elle veut être une D’Arkheval.
Samuel acquiesça, conscient du poids de la promesse.
— Jusque-là, elle ne figurera pas sur le registre officiel. Mais dans nos cœurs, elle est notre fille.
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L’enfance dans l’ombre
Eliandra grandit dans une maison luxueuse et froide. La richesse des D’Arkheval ne manquait de rien : les plus beaux vêtements, les meilleures écoles, une éducation stricte et parfaite.
Mais le secret pesait sur la famille comme une ombre constante. Cassian, devenu plus possessif encore, veillait sur elle avec une intensité inquiétante. Rebecca, distante mais jamais cruelle, la traitait avec une froide neutralité, la gardant à distance, par peur de s’attacher.
Le jour de ses huit ans, tout changerait.
Le moment venu, ils expliqueraient tout. La vérité sur son échange, la trahison du destin, et le choix qui lui serait laissé : rester ou partir.
Mais pour l’instant, Eliandra était simplement une enfant. Un secret vivant. Une fleur fragile dans un jardin d’acier.
Le calme était revenu à la demeure D’Arkheval. Après des mois d’agitation et de recherches effrénées, la frénésie laissait place à une routine délicate, presque fragile.
Pourtant, derrière les hauts murs de la résidence familiale, la quête de la vérité ne s’était jamais interrompue. Samuel, toujours tendu, recevait régulièrement des rapports. Chaque piste, chaque indice, même infime, faisait naître l’espoir, puis retombait dans l’oubli.
Rebecca, elle, oscillait entre la volonté d’oublier et le poids de l’incertitude. Elle consacrait ses journées à Eliandra, prenant soin d’elle avec une tendresse qu’elle refusait d’admettre à voix haute.
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L’aube d’un nouveau printemps apporta un souffle d’espoir : Rebecca annonça sa grossesse. La maison s’emplit d’une énergie nouvelle, mêlée d’appréhension et de joie contenue.
Cassian, désormais âgé de dix ans, accueillit la nouvelle avec une émotion sincère. Pour lui, cette vie à venir était une promesse — peut-être de stabilité, peut-être d’un avenir moins fragile.
Les mois passèrent, et la maison D’Arkheval vit naître deux étoiles : Alina et Arlan, des jumeaux aux yeux curieux et aux rires cristallins.
Dès ses premiers pas, Eliandra trouva en Cassian un protecteur infatigable. Leur lien, complexe et intense, s’épanouit dans les petites choses du quotidien.
Un après-midi d’automne, dans les vastes jardins, Cassian attrapa la main d’Eliandra pour l’entraîner dans une course effrénée entre les allées bordées d’ifs taillés.
— Viens, Eliandra ! cria-t-il, un éclat malicieux dans le regard.
Eliandra s’arrêta, surprise.
— Eliandra ? Pourquoi ça ? demanda-t-elle, la voix pleine d’étonnement.
Cassian sourit, un peu embarrassé.
— C’est plus court. Et plus doux. Pour toi, c’est parfait. Eliandra.
Cette fleur, planté sur un souffle, devint leur secret, leur marque d’affection. Dès lors, Eliandra ne fut plus seulement la petite fille à la chevelure sombre, mais Eliandra, l’âme sœur de Cassian.
Ils partageaient des heures à s’inventer des mondes imaginaires, à construire des forts dans la bibliothèque, ou à échanger des secrets dans la pénombre de la salle de musique.
Cassian, malgré son âge et son rôle d’héritier, laissait parfois tomber sa carapace de sérieux pour rire aux éclats avec Eliandra.
Lors d’un soir d’hiver, alors que la neige recouvrait le domaine, ils s’étaient blottis près de la cheminée, un vieux conteur sur les lèvres, un feu dans les yeux.
Cassian avait murmuré, la voix douce :
— Peu importe ce que disent les autres. Tu es ma sœur. Et personne ne pourra nous séparer.
Eliandra avait souri, ses yeux brillants d’un éclat nouveau.
Mais au-delà de ces instants précieux, le poids du secret planait toujours. Rebecca veillait à ce que la vérité ne soit pas révélée avant l’âge promis. Et Cassian, bien que parfois contradictoire, respectait cette règle, dans un mélange de protection et d’obsession.
Le temps passait, les liens se resserraient, mais une question demeurait : que ferait Lia, le jour où elle saurait tout ?
