Chapitre 7
Madeleine, les yeux pleins de larmes, tenta une dernière fois de le calmer. « Nous avons toujours fait ce que nous pensions être le mieux pour toi, Viel. Toujours. »
Mais il secoua la tête, un déchirement dans la voix.
« Le mieux ? » répéta-t-il, d’un ton glacé. « Vous avez ruiné ma vie. Vous m’avez laissé dans ce corps, dans ce piège. Alors, n’essayez pas de me dire que vous avez agi pour mon bien. »
La pièce était silencieuse, hormis les sanglots de Viel. Ses parents étaient restés figés, impuissants, face à la douleur de leur fils. Ils savaient qu’aucune parole ne pourrait réparer ce qu’il ressentait. Mais, dans leur cœur, ils savaient aussi qu’il leur faudrait du temps, et beaucoup de patience, pour reconstruire cette relation brisée.
Le lendemain matin, Viel n’avait pas dormi. Les émotions de la veille tournaient encore dans sa tête, et il n’arrivait pas à échapper à cette douleur lancinante qui le rongeait. Il se leva tôt, ses pensées aussi sombres que l’air autour de lui. Il n’avait même pas pris le temps de se préparer correctement. Habillé à la hâte, il se dirigea vers la cuisine pour un café rapide. Mais chaque geste, chaque mouvement, était lourd, comme si son corps ne lui obéissait plus après avoir déposer de l’argent sur la table et se dit qu’il était le moment d’y aller.
Ses parents, eux, étaient encore dans le salon, les yeux rouges d’avoir pleuré toute la nuit, mais aucune parole ne sortait de leurs bouches. Ils savaient qu’il allait partir. Il l’avait déjà annoncé la veille, dans cette explosion de colère. Ils avaient compris, même sans le dire.
Mathias et Elsa, ses petits frères, étaient assis à l’écart, les yeux gonflés de larmes. Ils n’étaient que des enfants, mais ils avaient compris la violence de ce qui venait de se passer. Ils avaient vu leur grand frère se briser, et cela les effrayait. Ils ne savaient pas pourquoi Viel était parti, pourquoi il criait, pourquoi il semblait aussi perdu.
Viel se dirigea vers la porte, sans un mot. Ses mains tremblaient, et son cœur battait fort dans sa poitrine. Mais il n’avait pas la force de rester. Il n’en avait pas la volonté. À chaque seconde qui passait, il se sentait plus étranger à cette maison, plus étranger à sa propre vie.
En traversant le salon, il croisa le regard de sa mère. Madeleine. Elle le regarda, les yeux emplis de désespoir, mais il ne s’arrêta pas. Il baissa simplement la tête, incapable de lui répondre. Il ne pouvait plus la regarder. Il avait trop mal. Trop honte. Et il savait qu’il ne pouvait plus rester là, dans cet endroit qui ne semblait plus être le sien.
La porte se ferma derrière lui avec un bruit sourd, et il se retrouva dans le calme de la rue, seul. L’air frais du matin frappait son visage, mais il n’en ressentait rien. Rien. Il marcha sans but, la tête pleine de ses propres pensées, tout en cherchant un moyen d’échapper à ce vide dans lequel il se noyait.
Il n’avait pas envie de rester là-bas, pas un instant de plus. Il n’était plus chez lui, plus dans sa famille. Il avait l’impression de tout avoir perdu. Et tout ce qu’il voulait, c’était fuir. Loin de ses parents, loin de ce qu’il ressentait. Loin de cette souffrance qui semblait l’étouffer.
Il monta dans un taxi sans réfléchir. Il n’avait pas de destination précise, il s’en fichait. Il demanda simplement au chauffeur de l’emmener où il voulait. Il était perdu dans ses pensées, regardant les rues défiler sans même les voir. Tout lui semblait flou, irréel. Son monde entier était devenu un chaos, une masse d’émotions contradictoires qu’il n’arrivait pas à comprendre.
“Vous allez où, monsieur ?” demanda le chauffeur, brisant le silence pesant du taxi.
“Juste… emmenez-moi loin,” répondit Viel d’une voix rauque.
Le chauffeur acquiesça sans un mot et démarra. Viel s’enfonça dans le siège, fermant les yeux un instant, comme s’il espérait que tout disparaisse en un instant. Il n’avait pas envie de voir, pas envie d’entendre, pas envie de ressentir quoi que ce soit. La douleur qui déchirait son cœur était trop forte. Il savait qu’il avait brisé quelque chose, une chose qui ne se reconstruirait peut-être jamais.
Pendant le trajet, il se rappela des paroles de sa mère, de son père. Ils avaient essayé de comprendre. Mais comment comprendre ce qu’ils n’avaient jamais vécu ? Comment comprendre la souffrance de leur fils qui se sentait prisonnier de son propre corps ?
Le taxi s’arrêta finalement dans un coin de la ville qu’il ne connaissait pas bien. Il paya le chauffeur sans un mot, sortit du véhicule et se retrouva une fois de plus seul dans la rue, loin de chez lui, loin des cris et des pleurs de sa famille.
Il n’avait pas l’intention de rester là. Il ne savait même pas où il allait. Il se laissa simplement guider par ses pas, errant sans direction, comme un vagabond dans sa propre vie. La rue était déserte, les magasins encore fermés, les premières lueurs du matin à peine visibles à l’horizon.
Il s’arrêta enfin, juste au milieu de la rue, et s’appuya contre un mur, les bras repliés sur son ventre. Les larmes montèrent à ses yeux, mais il les repoussa. Il n’avait plus de larmes à verser, plus de force pour pleurer. Tout était déjà trop lourd.
Il pensa à sa mère, à son père, à Mathias et Elsa. Il pensait à tout ce qu’il venait de laisser derrière lui, à ce qu’il avait brisé sans le vouloir. Mais la douleur était trop intense, trop cruelle. Il avait du mal à accepter ce qu’il vivait. Et la solitude, cette sensation de vide qu’il ressentait, était plus accablante que tout le reste.
“Pourquoi ? Pourquoi suis-je né comme ça ?” murmura-t-il, sa voix se brisant dans le silence de la rue déserte.
Viel descendit du taxi, le visage fermé et la démarche lourde. Il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait, mais cela n’avait aucune importance. Il était dans un quartier qu’il ne connaissait pas, un quartier huppé, avec de grands immeubles modernes et des rues impeccablement entretenues. Portos. Un endroit qui semblait hors de portée pour lui, un monde qui n’était pas le sien.
Il marcha sans but, ses pas résonnant sur le pavé, tandis que son esprit se perdait dans un tourbillon de pensées sombres. Il n’avait pas voulu se retrouver là, mais il n’avait pas vraiment cherché à contrôler sa destination non plus. Le taxi l’avait amené là, sans poser de questions, et c’était exactement ce qu’il voulait. Peu importe où il se trouvait, tant qu’il était loin de chez lui, loin de la famille, loin de cette maison qui ne lui offrait que de la douleur.
Les immeubles autour de lui étaient majestueux, imposants, tout en verre et en acier, comme des géants figés dans le temps. Ces rues étaient vides à cette heure du matin, pas un bruit ne venait troubler la tranquillité du quartier. Il se sentait comme un étranger ici, comme un intrus dans ce monde d’opulence. Mais au fond de lui, il n’en avait rien à faire. Il se sentait déjà comme un étranger dans sa propre peau, dans sa propre vie.
Soudain, son téléphone vibra dans sa poche, brisant le silence lourd qui l’entourait. Il hésita une seconde, puis sortit l’appareil. Il regarda l’écran. C’était sa mère. Madeleine. Il serra les dents. Le cœur serré, il refusa de répondre. Il savait ce qu’elle voulait. Elle voulait s’excuser, lui demander pardon, essayer de le retenir. Mais il n’avait pas la force de l’écouter. Pas maintenant. Pas après ce qu’il venait de vivre.
