dans un nouveau monde
Alma se tenait là, sous sa nouvelle apparence, encore légèrement troublée par cette transformation inattendue. Complètement nue, elle trébucha avant de se relever. Sans son pelage, elle avait très froid.
Elle avait l’air d’une jeune femme d’une beauté envoûtante, avec une silhouette élancée et des mouvements fluides qui conservaient quelque chose de l’agilité animale dont elle était issue. Ses cheveux étaient d’un brun profond aux reflets dorés, légèrement ondulés, retombant sur ses épaules avec une élégance naturelle. Ses yeux, d’un bleu perçant, semblaient capter chaque nuance de lumière, brillants d’une intensité indomptable.
Sa peau était douce, légèrement hâlée, comme si elle avait absorbé la lumière de la lune durant toutes ces années passées sous sa forme de louve. Ses traits étaient harmonieux, marqués par une force subtile qui contrastait avec la douceur apparente de son regard.
Kaelen, déjà transformé en homme, l’observa longuement, son regard parcourant chaque détail de son apparence.
Il finit par se ressaisir et lâcha, d’une voix légèrement rauque :
— Tu es très belle.
Mais Alma ne réagit pas.
Elle était bien trop occupée à comprendre ce qu’elle venait de vivre, à ressentir cette étrange sensation d’un corps qui n’était pas tout à fait le sien.
Alors, elle releva le visage vers lui et demanda sans détour :
— Par quoi doit-on commencer ?
Kaelen croisa les bras, scrutant les maisons qui se profilaient au loin.
— Il nous faut un endroit où dormir. Et de l’argent.
Alma haussa légèrement un sourcil.
— C’est quoi, l’argent ?
Kaelen la fixa un instant avant de soupirer doucement.
— Je vais t’expliquer les bases du monde humain.
Et ainsi commença la première leçon d’Alma sur ce monde qui n’était pas le sien. Un monde qu’elle allait devoir comprendre… avant qu’il ne la dévore.
Kaelen guida Alma vers une petite maison en bois, à l’écart des rues principales. L’endroit semblait modeste mais chaleureux, imprégné d’une atmosphère bien différente de la tanière où elle avait grandi.
À mesure qu’elle traversait les rues, chaque détail du monde humain éveillait une étrange sensation en elle. Les maisons alignées, les lampadaires qui diffusaient une lumière artificielle, le bruit discret du vent contre les vitres… Tout lui semblait étrangement familier, comme si une partie d’elle appartenait à cet endroit.
Mais marcher sous cette forme humaine était un défi.
Ses jambes lui semblaient trop longues, trop faibles comparées à la puissance qu’elle possédait en tant que louve. Chaque pas était hésitant, maladroit, comme si elle apprenait à se déplacer pour la première fois.
Elle s’arrêta brusquement devant une flaque d’eau, son regard accroché à son reflet ondulant sous le souffle du vent.
Puis, plus loin, elle aperçut son visage sur le pare-brise d’une voiture.
Elle ne pouvait pas détourner les yeux.
Cette jeune femme qui la regardait… était-ce vraiment elle ?
Kaelen l’observa en silence, son regard analysant chaque réaction qu’elle avait.
— Tu t’habitueras, murmura-t-il finalement.
Mais Alma savait que ce n’était pas seulement une question d’habitude.
C’était une question de vérité.
Elle venait d’arriver dans le monde humain.
Et au fond d’elle, elle avait la sensation de ne jamais vraiment l’avoir quitté.
Ils arrivèrent dans une cabane en bois et s'installèrent.
Kaelen s’adossa contre le mur de la petite maison en bois, les bras croisés, un sourire à peine visible aux lèvres.
— Ici, sans argent, tu ne peux rien faire, lui expliqua-t-il d’un ton détaché. Tout s’achète. La nourriture, les vêtements, le droit d’avoir un toit sur la tête.
Alma l’écoutait en silence, essayant d’intégrer ces nouvelles règles qui régissaient le monde humain.
— Et… comment obtient-on cet argent ? demanda-t-elle finalement, intriguée.
Kaelen haussa un sourcil, amusé par son ignorance.
— Le moyen le plus rapide, c’est de le prendre aux autres.
Alma fronça légèrement les sourcils.
— Le prendre ?
— Oui, les humains sont distraits. Ils ne font pas attention à leurs affaires. Un vol rapide et discret, et nous avons ce qu’il faut pour survivre ici.
Alma resta silencieuse.
Elle ne comprenait pas encore les implications de ces actions, mais elle savait qu’elle n’était pas en position de discuter. Ce monde était nouveau pour elle, et elle devait apprendre.
Kaelen observa son hésitation puis ajouta, son ton plus froid :
— Le corps humain est faible, Alma. Nous devons nous adapter, sinon nous ne tiendrons pas longtemps ici.
Il lui jeta un dernier regard avant de se redresser.
— Repose-toi. Je vais m’occuper de ça.
Sans attendre de réponse, il disparut dans l’obscurité des rues, laissant Alma seule face à ses nouvelles réalités.
Elle ignorait encore tout de ce monde, mais quelque chose lui disait que Kaelen ne lui enseignait que ce qui l’arrangeait.
Un frisson traversa son échine.
Elle devait rester sur ses gardes.
Toujours.
Avant qu’il ne soit trop tard.
Alma sentit son corps s’alourdir à mesure que la fatigue s’installait. Son esprit était encore alerte, mais ses muscles protestaient, trop faibles sous cette forme humaine qu’elle découvrait à peine. Elle s’allongea sur la natte rudimentaire, le sol dur sous son dos l’empêchant de trouver un véritable confort.
Le sommeil l’emporta rapidement.
Lorsque ses paupières s’ouvrirent de nouveau, la lumière pâle du matin filtrait à travers les fenêtres de la maison en bois. Elle cligna des yeux plusieurs fois avant d’apercevoir Kaelen, accroupi devant un petit tas de provisions.
Il avait rapporté à manger et à boire.
Elle se redressa lentement, surprise de voir ces choses qu’elle ne reconnaissait pas. Des formes étranges, des odeurs nouvelles, des textures inconnues.
— Qu’est-ce que c’est ? murmura-t-elle, intriguée.
Kaelen haussa les épaules et poussa un bol vers elle.
— De la nourriture. Ce que le corps humain réclame pour fonctionner. Tu dois apprendre à t’adapter.
Elle fixa les aliments quelques secondes avant de se décider à manger. Affamée, elle engloutit le repas sans plus de questions.
Kaelen l’observa avec un sourire en coin, puis reprit d’un ton plus sérieux :
— Tu n’as que deux lunes pour accomplir ta mission. Chez les humains, ça signifie deux mois. En seras-tu capable ?
Alma releva la tête, son regard dur.
Le compte à rebours était lancé.
Et elle savait que chaque jour qui passerait la rapprocherait d’une vérité qu’elle n’était peut-être pas prête à entendre.
Kaelen déposa une photo sur la table devant Alma, ses yeux sombres scrutant sa réaction.
L’image dévoilait un jeune homme d’une vingtaine d’années, un étudiant au regard vif, absorbé par un livre qu’il tenait entre ses mains. Ses cheveux bruns légèrement en bataille lui donnaient un air rêveur, presque détaché du monde autour de lui. Il portait une veste sombre, le col relevé, comme s’il cherchait à se protéger d’une brise inexistante.
Alma observa la photo avec une intensité silencieuse.
Il n’avait rien fait. Rien pour mériter un tel destin.
Kaelen, imperturbable, reprit d’un ton neutre.
— Il s’appelle Ethan. Il étudie la littérature dans une université voisine. Il passe la plupart de son temps à lire, à errer dans les couloirs, à discuter avec peu de gens. Il est discret, facile à approcher.
Il marqua une pause, laissant les informations s’imprégner en Alma avant de poursuivre.
— Nous devons nous inscrire dans la même école que lui. Nous devons nous intégrer, nous approcher. Il ne doit jamais se douter de rien.
Mais Alma ne répondait pas.
Elle gardait les yeux rivés sur l’image, son cœur résonnant d’un malaise profond.
Ce garçon… cet humain…
Il n’avait rien fait.
Et pourtant, il avait été choisi.
Comme une simple pièce sur un échiquier où elle n’avait jamais voulu jouer.
Et où, pourtant, elle était maintenant piégée.
Alma observa Kaelen avec un mélange d’incompréhension et de frustration.
— Sur quelle base cet humain a-t-il été choisi ? demanda-t-elle, son regard toujours rivé sur la photo.
Kaelen haussa les épaules, son expression indifférente.
— Je n’en sais rien. Et ça n’a pas d’importance.
Il s’éloigna et ouvrit une sacoche qu’il avait ramenée plus tôt, en tirant une pile de vêtements soigneusement pliés.
— Ce qui compte maintenant, c’est que tu sois prête pour l’université.
Il lui tendit des vêtements soigneusement sélectionnés : un jean, un pull confortable, des baskets modernes. Puis, il ajouta un sac à dos, un téléphone portable et quelques accessoires typiques du monde humain.
Alma les prit avec une hésitation perceptible, ses doigts effleurant les tissus et les objets comme s’ils appartenaient à un monde qu’elle n’avait jamais touché.
Elle inspira profondément et s’habilla lentement, découvrant à chaque mouvement cette étrange aisance dans son nouveau corps.
Elle se sentait bien.
Bien dans cette peau qui n’était pas la sienne, bien dans cet univers qui aurait dû lui être étranger.
Et pourtant, quelque chose en elle lui soufflait qu’elle n’était peut-être pas si étrangère à ce monde après tout.
Elle ne savait pas pourquoi.
Mais elle était sur le point de le découvrir.
Alma s’éloigna de la cabane, le corps alourdi par la fatigue et l’inconfort de sa nouvelle apparence humaine. La rivière derrière la maison l’appelait, son eau sombre et apaisante promettant un instant de répit. Elle enleva les vêtements qu'elle venait d'essayer.
Elle entra lentement dans l’eau, frissonnant sous le contact frais contre sa peau. Chaque mouvement était nouveau, étrange, et pourtant… elle se sentait libre.
Kaelen, resté dans l’ombre de la cabane, l’observait à travers une fissure du bois.
Elle était d’une beauté sans pareille.
Ses cheveux luisants, mouillés par la rivière, s’enroulaient doucement autour de son visage. Ses yeux brillaient sous la lumière pâle du matin, et chaque geste, chaque respiration qu’elle prenait semblait imprégnée d’une grâce naturelle.
Un frisson parcourut Kaelen.
Il regretta, l’espace d’un instant, d’avoir pensé à l’éliminer.
Et alors, une nouvelle idée germa en lui.
Il voulait qu’elle échoue. Mais pas seulement.
Il voulait qu’elle l’aime. C'était le début de son obsession.
S’il pouvait gagner son cœur, alors il obtiendrait bien plus que le trône.
Un sourire fugace passa sur ses lèvres.
Cette mission allait être bien plus qu’un simple test.
Ce serait une conquête.
Et Alma ne se doutait encore de rien.
