Chapitre 2
L’obscurité lapait déjà les murs et concessions lorsque le vieux portail des Titi, un portail formé de quelques planches et une vieille tôle, claqua au bout d’une intermittente de secondes. Dans la cour de la maison, venait d’apparaître une jeune femme qui avait sur la tête une bassine chargée de quelques bâtons de canne à sucre.
A quelques centimètres de l’entrée, était assise une vieille femme avec un poing au menton.
– Maman, pourquoi la main au menton ? remarqua la nouvelle venue, l’air surpris.
La cinquantaine, en face de cette interrogation, ne répondit pas aussitôt. Au lieu d’une réponse, ce furent plutôt deux gouttes de larmes qui lui perlèrent les paupières.
– Maman, peux-tu me dire ce qui ne va pas s’il te plaît ? reprit la nouvelle arrivée en posant tout doucement sa bassine à même le sol en fléchissant les genoux entre les jambes de sa mère.
La vieille femme, toute inquiète et attristée, répondit qu’elle avait lasse de la vie.
– Quoi ? s’écria Florencia de plus bel. Tu as lasse de faire quoi ? Et à qui comptes-tu me laisser ? A qui comptes-tu laisser mes deux frères et mes deux sœurs ? Maman, est-ce que tu prends le temps de t’écouter quand tu parles ?
– Ma fille, tu ne peux pas comprendre !
– Je ne peux pas comprendre quoi ? Que ne puis-je pas comprendre, maman ? Les malades qui sont couchés dans des hôpitaux rêvent d’une bonne santé, un privilège gratuit que ton Dieu t’a accordé sans aucun prix et tu oses me dire que tu en as lasse ? Oh maman, tu me fais mal, franchement !
Florencia se leva, toute furieuse.
– Avant les prochaines secondes, il va falloir que tu m’essuies rapidement ces larmes qui te perlent le visage !
À ses recommandations, la mère se désola et lui présenta ses excuses avant d’essuyer les larmes.
– D’accord, tu es pardonnée, maman ! Mais que ça soit la première et la dernière fois que je t’entende sortir ces expressions de non-sens !
– C’est entendu, ma chérie.
– Merci ! À présent, je voudrais te parler de mon coup de cœur de la journée ; un coup de cœur auquel tu vas me donner ton opinion.
– D’accord, prends le tabouret et parle-m’en !
Maman Florencia se repositionnait sur son tara pendant que Florencia allait chercher un tabouret pour venir s’asseoir en sa face.
– Je t’écoute maintenant, ma fille !
– Merci maman ! D’abord, où est passé papa ?
Par à coup, le poignet du vieux portail gesticula et difficilement, mère et fille réussirent à percevoir du lointain celui qui pénétrait dans la cour à défaut de l’obscurité qui battait son plein.
– Maman, où est passé Fidélia ? Il faut qu’elle vienne allumer le lampion.
– Je ne sais même pas où elle serait. Il me semble bien que c’est ton père qui vient d’ouvrir le portail.
– Bonne arrivée ma fille, fit le nouveau venu.
– Merci, papa, répondit la saluée.
– Comment a été le marché d’aujourd’hui ?
– Comme d’habitude, papa ! J’ai beaucoup vendu mes cannes.
– C’est super de l’apprendre, ça ira un jour, ma chérie.
– Merci papa ! Tiens, je t’ai apporté quelques beignets en revenant de la ville.
– Merci ma chérie ! Tu es bénie à jamais. Rien ne va te manquer tout au long de ta vie. La nature te sera toujours reconnaissante. Tu ne rechercheras pas longtemps avant d’en trouver. Tout le bonheur de ce monde te sourira plaise à Dieu.
– Merci papa ! Toutes vos prières sont déjà exaucées par l’Éternel Dieu des armées.
– Oui, déjà exaucées je te dis. Tu seras la lumière de cette famille. Partout où tu partiras, tu ne manqueras de rien. Tu es l’aînée de la famille. Tu n’as que vingt-trois ans mais tu raisonnes encore plus que ton âge. Dieu t’aidera davantage.
– Merci papa, merci ! Que Dieu te donne aussi la longévité afin que tu puisses jouir davantage de tes fruits !
– Ma fille, tant que vous ne serez pas de grands cadres dans cette maison, je ne mourrai pas !
– Amen et merci papa.
La mère, coi et silencieuse, observait père et fille dans leur entretien. Elle avait un petit sourire qui entourait ses lèvres même si quelques secondes plus tôt, elle avait pleuré. Elle était attirée par l’amusement de son mari et de sa fille aînée et les regardait avec admiration.
Le sexagénaire, après son entretien avec sa fille, disparut de la cour après lui avoir arraché le sachet noir.
– Maman, tiens aussi ta part, fit la jeune fille en tendant un autre petit sachet attaché à sa mère.
La dame, d’un air plus gai, s’empara du sachet noir et le détacha aussitôt comme si elle guettait déjà l’offre de ce cadeau et en sortit un beignet puis, avec ses mâchoires, mordit le mets avec des prières de bénédictions lesquelles elle gratifiait Florencia.
– Bien, maman ! En revenant ce soir du marché Wando, un homme m’a hélée. Au commencement, je croyais qu’il voulait acheter mes fruits et je m’étais dirigée vers lui et l’ai salué avec respect. À ma grande stupéfaction, il a commencé avec ses histoires de « tu es belle ; est-ce que quelqu’un t’a une fois dit que tu es belle ? Comment on t’appelle et où tu habites… ». Tu sais déjà de quoi je veux parler, maman ! Après avoir raconté ses futilités, il a ensuite suggéré que je sois sa moitié. Dans ses dires, j’avais comme impression qu’il était sérieux.
Après cette dernière phrase, la jeunette se tut et fixa droit sa mère dans les yeux comme pour attendre une réponse ou opinion de la part de cette dernière. La mère l’écouta minutieusement, toussota et lui fit :
– Ma fille, je t’ai bien écoutée. Alors, selon toi, que comptes-tu faire ?
– Maman, si je savais ce qu’il fallait faire, je ne te demanderais point d’aide !
– Je vois ! Vous vous étiez auparavant vus ?
– Non, maman ; c’est notre première rencontre !
– Très bien ! Malgré tout ce que te disait le prétendant, ton cœur t’a-t-il fait un signe ?
– Comment, maman ?
– Oui ! Quand un homme fait la drague à une femme, c’est le cœur qui émet une action et c’est cette action qui permet après tout à la jeune femme abordée de dire soit “oui” ou soit “non”. Alors, qu’est-ce que ton cœur t’avait dit de faire ?
À cette interrogation, la fille des Titi émit un petit sourire et répondit :
– Maman, pour t’être franche, mon cœur ne m’a rien dit. Au contraire, je me suis souvenu de quelques conseils que tu m’avais légués le jour où tu m’avais dit de ne jamais minimiser l’homme au cas où il m’appellerait et que c’est après l’appel que je pourrais donner mon avis et…
– Merci de t’être souvenu de ça. Et après le passage de ce conseil dans ta cervelle, qu’as-tu fait à ton tour ?
– Que devrais-je faire selon toi ? Je lui ai juste dit que je ne voulais pas rentrer chez mes parents à la tombée de la nuit et aussitôt dit, je lui ai faussé compagnie.
– Merci, ma chérie ! Tu as bien joué les cartes ! Était-il à pieds ou à cheval ?
– À cheval ! Il était dans sa voiture.
– Cool ! Ma fille, je te félicite beaucoup ! Tu es à féliciter. Malgré ta condition de vie, tu n’as point prêté attention à sa voiture. Tu seras toujours bénie, je te dis. Les grandes personnes vont courir après toi comme des mouches derrière une orange.
– Amen, maman !
– Ce que je te conseillerais sera ceci : Ignore-le pour le moment. Si cet homme est vraiment l’homme de ta vie et qu’il est fait pour toi, vous vous reverrez prochainement. Mais si vos destins ne sont pas faits l’un pour l’autre, oups, vous ne vous reverrez plus.
– Merci maman ! Voilà pourquoi je te qualifie de meilleure parmi les mères. Que Dieu te bénisse.
– Amen !
– Et où sont passées Fidélia et Fidéliana ?
– Ces filles jumelles, je ne sais pas où elles sont parties.
– Sérieux ? Elles continuent de quitter la maison sans permission ? Elles viendront me voir aujourd’hui.
Aussitôt dit, Florencia se leva et se glissa dans le salon. Elle positionnait sa bassine quand tout à coup apparurent ses deux jeunes sœurs jumelles.
– Vous, où étiez-vous allées ? s’écria Florencia à l’adresse des nouvelles venues.
– Et quel sera ton problème si nous te disons que nous sommes allées nous promener ? répartit l’une des deux jumelles.
– Est-ce à moi que tu réponds sous ce ton, Fidélia ?
Énervée, la sœur aînée se dirigea vers la provocatrice et lui asséna une baffe bien sonore.
La deuxième jumelle, quant à elle, aussitôt furieuse à son tour, se jeta sur la grande sœur et commença par lui tirer les cheveux. En cet instant, la première qui avait reçu la claque s’associa à sa sœur et toutes deux, elles se mirent à frapper leur sœur aînée. Toutes les scènes se produisaient dans le salon alors que père et mère étaient assis dans la cour, discutant d’un sujet privé. Soudain alerté par le cri de la plus grande, les parents pénétrèrent dans la pièce pour secourir la crieuse.
– Que se passe-t-il ici ? s’écria la mère.
Le père, quant à lui, ne posa aucune question et calmement, alla rabattre la porte à clef. Il se dirigea ensuite dans l’une des chambres à coucher et revint quelques secondes plus tard avec une chicote fabriquée à base de la peau de bœuf.
– Allez ! Toi Fidélia, viens là et toi Fidéliana aussi, viens par ici ! Déshabillez-vous ! Aujourd’hui, vous allez aussi me frapper, disait furieusement le père et, sans plus attendre, commença par labourer de cravache le corps des deux sœurs jumelles.
Le père les frappa correctement et ce fut lorsqu’il les blessa chacune qu’il les abandonna.
– Voilà, ça vous servira de leçon qu’une aînée demeure toujours une aînée, ces idiotes. Attendez que je meure d’abord avant de pourrir dans votre impolitesse. Ou croyez-vous que parce que vous êtes âgées de dix-neuf ans, je n’ai plus l’autorité sur vous ? Même si vous vous mariez, je vous frapperai devant vos enfants en cas d’acte offensif.
***
Il était six heures du matin. La lumière du jour souriait déjà peu à peu au paysage. Florencia, malgré les petites querelles de la veille entre elle et ses sœurs, avant son départ pour le petit village où elle se rendait pour acheter ses fruits, elle avait appelé ses deux sœurs et leur avait distribué leur petit déjeuner habituel. Ensuite, elle se dirigea vers son père et sa mère et les salua.
– Papa, maman, bonjour ! Je m’en vais déjà. On se verra le soir. Mes sœurs vous chaufferont les miettes de la nuit dernière ; tenez ces trois pièces de cent francs pour vous acheter quelque chose en cas du besoin.
– Pas de souci ! s’exclama la mère, tu as notre bénédiction qui te suivra tout au long de cette journée.
– Merci, maman. Papa, tu n’as aucune prière pour moi ?
– Oui, ma fille ! Tu as aussi ma bénédiction. Va et reviens ! Les anges qui veillent seront avec toi.
La jeune femme prit congé de ses parents et sortit de la cour. Quelques heures après le départ de Florencia, les deux sœurs jumelles vinrent s’installer à la face de leur mère qui était assise sur un petit canapé et lui firent en chœur :
– Maman, nous voulons te parler.
La mère, stupéfaite, leur demanda de quoi elles tenaient à lui dire. Les deux sœurs se jetèrent un regard discret et suffoquèrent de rire.
– Maman, tu peux traiter nos paroles d’inutiles. Mais tu sais, moi, Fidélia, je n’aurai point peur de te dire la vérité qui me bouffe le cœur. Alors, peux-tu me dire la raison pour laquelle tu as fini par nous détester dans cette maison ?
La stupéfaction de la mère s’agrandit davantage.
– Combien de personnes regroupes-tu dans ton pronom personnel “nous” ? s’enquit la mère, calmement.
– Il s’agit de ma sœur et moi !
– D’accord ! Et pourquoi cette interrogation ?
– Maman, ne nous dis pas que tu es naïve ! Tu sais bien de quoi je veux parler.
– Pas du tout !
– Ah bon ?
– Parbleu !
– D’accord ! Pourquoi tu tiens plus à notre grande sœur qu’à nous ? Est-ce parce qu’elle t’apporte de l’argent dans cette maison ?
– Fidélia, sais-tu comment on appelle ce que tu essaies de faire ?
– Oui, maman ! N’est-ce pas de l’impolitesse ?
– Bien deviné ! Tu sais, un enfant bien éduqué ne parle pas de cette façon à sa mère ou à son père. Il vous manque beaucoup d’éducation.
– S’il nous manque d’éducation, à qui alors la faute ? fit la deuxième jumelle.
– Fidéliana, je ne sais quoi vous répondre mais il faut que vous sachiez une chose : tout ce que vous faîtes aujourd’hui vous rattrapera dans le futur.
– On s’enfiche ! s’exclama Fidélia.
– Tu nous maudis, c’est ça ? questionna Fidéliana à son tour.
– Je ne vous maudis pas parce que je n’ai pas votre temps ! Maintenant, il faut que je revienne à votre première interrogation. Vous savez, vous êtes toutes mes enfants et aucune mère ne peut jamais haïr son propre enfant. Si vous vous respectez, à quoi bon de vous envier ! Je sais bien la raison pour laquelle vous êtes venues me poser cette interrogation. N’est-ce pas parce que je vous avais laissées frapper par votre père la nuit dernière ?
– Exactement ! renchérit Fidélia.
– Bien ! Même si votre père ne réagissait pas, je ferais exactement ce qu’il a fait car, une aînée demeure toujours une aînée. Peu importe sa taille et sa corpulence, vous lui devez éternellement du respect. Quant à la deuxième question, si j’aime votre sœur que vous, c’est parce qu’elle me respecte et me comprend à tout moment. Ce n’est pas donc parce qu’elle est la base financière de la maison que je l’aime plus que vous. Vous n’êtes pas nées avant elle pour vous mettre à lui manquer du respect peu importe votre taille et votre corpulence ! Pour qui vous prenez-vous ? Pour des jumelles ? Êtes-vous les premières jumelles de cette terre ? Ou ne savez-vous pas que c’est ce que vous ferez que vos petits frères imiteront ? Je remercie Dieu qu’ils ne soient pas actuellement avec nous. Sinon, quelle image leur donnerez-vous ? Vous vous associez pour ne semer que du désordre. Vous oubliez qu’un jour, vous vous séparerez et que chacune de vous ira s’installer sous le toit de son homme.
– Tu crois ça, maman ? On se mariera au même homme ; s’il ne sera pas d’accord de nous supporter, alors il continue son chemin, s’empressa de répondre Fidélia.
– Ah bon ? Vous avez jamais vu ça ?
– Ça va te paraître étrange, maman.
La mère, trouvant ses filles ridicules, se mit à rire tout bas.
– Faites ça je vais voir, conclut-elle.
Les deux sœurs jumelles se jetèrent un clin d’œil et poussèrent un éclat de rire sonore et se serrèrent enfin les mains avant de se retirer d’en face de leur mère.
